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Droit des obligations
Recevabilité d’une vidéo clandestine comme mode de preuve de la faute du salarié
Le licenciement pour faute grave d’une salariée fondée sur le visionnage d’une vidéosurveillance de sécurité est justifié malgré la clandestinité du procédé dès lors que cette preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi.
Soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073
Très claire fut la volonté exprimée par la Cour de cassation, dans son arrêt « Néocel », de rejeter les preuves clandestines (Soc. 20 nov. 1991, n° 88-43.120). La chambre sociale avait alors jugé qu'un enregistrement effectué par un employeur à l'insu d'un salarié, à l’aide d'une caméra dissimulée dans une caisse de supermarché, devait être écarté des débats. Et vingt ans plus tard, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation confirma cette jurisprudence en consacrant solennellement le principe de loyauté de la preuve (Ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et n° 09-14.667 : « l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve »). Mais l’on se souvient qu’en fin d’année dernière, l'irrecevabilité systématique des preuves déloyales ou illicites qui avait été solennellement consacrée par l'Assemblée plénière a été abandonnée par un arrêt de revirement rendu au nom du droit à la preuve (Ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20-648 et 21-11.330). L'interdiction absolue de la preuve déloyale- qui avait le mérite de la clarté - doit depuis faire place à une opération - à l'issue plus incertaine - de mise en balance des intérêts reposant sur un contrôle de proportionnalité, à l'instar de celui effectué en présence d’une preuve illicite.
Ce contrôle, qui ne doit être exercé par le juge que « lorsque cela lui est demandé » (Ass. plén., 22 déc. 2023, préc., §12 ; pt n° 5 de l’arrêt) consiste à apprécier si la preuve illicite ou déloyale porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. D’égale valeur normative, ces différents droits fondamentaux doivent, en cas de conflit, être soupesés à l’appui du principe de proportionnalité : ainsi, le droit à la preuve peut-il justifier la production d'éléments probants portant atteinte à d'autres droits en présence, à la condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En libéralisant l’administration de la preuve, le revirement opéré en fin d’année dernière appelait des précisions quant à sa portée : en effet, on pouvait craindre que tout en conviant les juges du fond à l'exercice du contrôle de proportionnalité, la nouvelle admission de la preuve illicite ou déloyale conduise à un contrôle sommaire des différents intérêts en présence. La méticulosité du contrôle en l’espèce dément cette prédiction.
Au cas d’espèce, après avoir volé des médicaments dans la pharmacie dans laquelle elle avait été engagée en qualité de caissière, une salariée avait été licenciée pour faute grave. Ayant contesté en vain, devant la juridiction prud’homale puis en cause d’appel, les motifs de son licenciement, elle s’est pourvue devant la Cour de cassation, arguant de l’illicéité du mode de preuve de la faute à l’origine de son licenciement, soit un dispositif de vidéosurveillance installé à son insu par son employeur, ce qui aurait porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Pour rejeter son pourvoi, la chambre sociale procède au rappel du contenu des différentes étapes du contrôle de proportionnalité sus évoqué.
En premier lieu, la production d'une preuve déloyale ou illicite doit être indispensable à l'exercice du droit à la preuve. Cette première étape requiert du juge un double examen : « D’abord, le juge doit (…) vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié » (pt 6 de l’arrêt). Ce qui signifie que le juge doit examiner si la preuve rend vraisemblable le fait allégué et s'il n'existait pas un autre procédé de preuve, moins attentatoire à la vie privée. Il en est ainsi lorsque l’employeur disposait d'un autre moyen de preuve qu'il n'a pas versé aux débats (Soc. 8 mars 2023, n° 21-17.802). Mais en l'absence de mode de preuve alternatif, peut-on exiger de l’employeur, en sa qualité de demandeur à la preuve, de rapporter autrement que par un procédé déloyal ou illicite la véracité des faits dénoncés ? C'est ce que laissait entendre un arrêt rendu le 17 janvier dernier, par lequel la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir retenu que l’enregistrement clandestin d'un entretien d'un salarié n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve d'un harcèlement moral dès lors que les faits reprochés à ce salarié auraient pu être régulièrement établis par la rédaction d’un rapport d’enquête (Soc. 17 janv. 2024, n° 22-17.474). En l’espèce, il est jugé que la production des bandes vidéos était indispensable à l'exercice du droit de la preuve de l’employeur dans la mesure où la matérialité des faits reprochés à la salariée ne pouvait être rapportée par d'autres moyens. En effet, après avoir constaté des anomalies dans les stocks et réalisé des inventaires confirmant des écarts injustifiés, l’employeur n’a pas eu d’autre choix que de procéder au visionnage des enregistrements issus de la vidéo protection pour identifier l’auteur des vols : il est ainsi souligné par la Cour que le visionnage des enregistrements vidéo avait été effectué dans un contexte de disparition de stocks, et après des premières recherches restées infructueuses (pt n°9 de l’arrêt). Le caractère indispensable du droit à la preuve de l’employeur est également inféré de la réalité des faits révélés par l’enregistrement litigieux, une preuve illicite ou déloyale pouvant être considérée comme dispensable lorsqu'est exigé du demandeur à la preuve de démontrer une situation apparente, donc non avérée, tels que des faits laissant simplement supposer l'existence d'une discrimination ou d’un harcèlement (comp. Soc. 17 janv. 2024, préc.). En effet, la Cour souligne ici que le recoupement des opérations enregistrées à la caisse de la salariée avec le journal informatique des ventes de l’entreprise avait révélé au total dix-neuf anomalies graves en moins de deux semaines (pt 8 de l’arrêt).
En second lieu, l'atteinte portée par la production d'une preuve déloyale ou illicite au droit antinomique invoqué, tel que le droit à la vie privée, doit être strictement proportionnée au but poursuivi. Cette exigence suppose d’une part de vérifier l'intérêt légitime de l’employeur à collecter cette preuve : « le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur » (pt 6 de l’arrêt ; sur les modalités de ce contrôle, v. Soc. 8 mars 2023, préc. : le juge doit « s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci »). Cet intérêt légitime réside en l’espèce dans le droit de l’employeur de veiller à la protection de ses biens, nécessaire au bon fonctionnement de son entreprise. D’autre part, concernant l'appréciation de l'atteinte portée au droit en conflit avec le droit à la preuve, soit au droit à la vie privée du salarié, l'existence d'un stratagème ou d'une manœuvre oblige le juge à prêter une attention particulière au degré d’ingérence observé dans sa vie personnelle. En l’espèce, l’ampleur de l’intrusion réalisée au mépris de la vie privée de la salariée n’est pas jugée excessive en raison de sa limitation dans le temps et des personnes concernées, la production de l’enregistrement vidéo n’ayant été réalisé que par la seule dirigeante de la société (pt n°9 de l’arrêt).
En tout état de cause, cette décision confirme que la nouvelle recevabilité de la preuve déloyale ou illicite n’empêche pas de contrôler a posteriori le caractère à la fois indispensable et proportionné de la preuve ainsi rapportée. S’il conclut à la validité du procédé utilisé, l’arrêt rapporté ne permet cependant pas de prédire l’issue du contentieux à venir que le contrôle de proportionnalité, reposant sur une analyse circonstancielle, rend par essence incertaine. En outre, au-delà des droits traditionnels au respect de la vie privée ou de son image, le droit à la protection des données à caractère personnel devrait également compter parmi les nouvelles restrictions susceptibles d’être apportées au droit à la preuve, maintenant que constitue un « traitement » de données personnelles la « production en tant qu’élément de preuve d’un document, numérique ou physique, contenant des données à caractère personnel, ordonnée par une juridiction dans le cadre d’une procédure juridictionnelle » CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21, §28).
La preuve illicite ou déloyale est certes admise, mais non sans un contrôle judiciaire serré qui devrait, en outre, être à l’avenir renforcé.
Références :
■ Soc. 20 nov. 1991, n° 88-43.120 : D. 1992. 73, concl. Y. Chauvy ; Dr. soc. 1992. 28, rapp. P. Waquet ; RTD civ. 1992. 365, obs. J. Hauser ; ibid. 418, obs. P.-Y. Gautier
■ Ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et n° 09-14.667 : DAE 26 janv. 2011, note B.H., D. 2011. 562, obs. E. Chevrier, note F. Fourment ; ibid. 618, chron. V. Vigneau ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages ; ibid. 383, obs. P. Théry ; RTD eur. 2012. 526, obs. F. Zampini
■ Ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20-648 et 21-11.330 : DAE, 18 janv. 2024, note Merryl Hervieu, D. 2023. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien
■ Soc. 8 mars 2023, n° 21-17.802 : DAE, 17 mars 2023, note Merryl Hervieu, D. 2023. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien
■ Soc. 17 janv. 2024, n° 22-17.474 : D. 2024. 171
■ CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21 : D. 2023. 503 ; Dalloz IP/IT 2023. 142, obs. M. Triboulet
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