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GPA : conventionnalité de la jurisprudence française à l’égard de la mère d’intention
Ne porte pas atteinte au respect de la vie privée la non-transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une GPA désignant la mère d’intention comme sa mère, même si elle est sa mère génétique, pour autant que la procédure d’adoption permet de reconnaître un lien de filiation.
CEDH 16 juill. 2020, D. c/ France, no 11288/18
La décision rendue le 16 juillet 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme concerne le refus des autorités françaises de transcrire sur les registres de l'état civil français l'acte de naissance d'un enfant né d'une mère porteuse à l'étranger désignant la mère d'intention comme étant la mère légale alors qu'elle n'a pas accouché. Un couple de français, composé d’un homme (le père biologique) et d’une femme (la mère génétique), avait utilisé les services d’une mère porteuse en Ukraine (la femme qui a accouché). L’acte de naissance rédigé en Ukraine désignait le couple de français comme les parents de l’enfant né par GPA.
Il convient, préalablement à toute analyse, de rappeler les étapes de la construction jurisprudentielle française en matière de filiation des enfants nés d’une GPA à l’étranger.
Au début des GPA faites à l’étranger par des couples de français, lors de la demande de transcription de l’acte de naissance de ces enfants sur les registres de l’état civil, le droit français ne permettait pas la reconnaissance ou l’établissement d’un lien de filiation entre les enfants et les parents d’intention en raison de la contrariété au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes (C. civ., art. 16-7 et 16-9). (V. not. les affaires Mennesson et Labassee : Civ. 1re , 17 déc. 2008, no 07-20.468 ; Civ. 1re , 6 avr. 2011, nos 09-66.486, 10-19.053, 09-17.130 ; Civ. 1re, 13 sept. 2013, no 12-18.315).
La position française a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme considérant que le refus de reconnaissance ou d’établissement de tout lien de filiation, notamment à l’égard du parent biologique, constituait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH 26 juin 2014, Labassee c/ France, no 65941/11, Mennesson c/ France, no 65192/11 ; CEDH 21 juill. 2016, Foulon et Bouvet c/ France, nos 9063/14 et 10410/14).
Prenant acte de ces décisions, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence. Sans revenir sur le principe de l’interdiction de la GPA, elle a considéré néanmoins que cette pratique ne justifiait pas le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant à l’égard du père biologique. En effet, elle a jugé que l’acte de naissance n’était ni irrégulier, ni falsifié et que les faits déclarés correspondaient à la réalité selon l’article 47 du Code civil (Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21.323, 15-50.002). La Cour de cassation admet également qu’une adoption de l’enfant est possible par le parent d’intention (conjointe ou conjoint du père biologique) (V. Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-16.455).
De plus, à la suite de l’avis consultatif rendu par la Cour européenne des droits de l’homme à la demande de la Cour de cassation (avis, 10 avr. 2019, no P16-2018-001) relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA à l’étranger et la mère d’intention, selon lequel la filiation ne passe pas obligatoirement par la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a statué dans une affaire bien connue : l’affaire Mennesson (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, no 10-19.053). La Cour de cassation a pris parti, non sans surprise au regard de la relative liberté que lui laissait la Cour européenne des droits de l’homme dans l’avis consultatif précité, en faveur de la transcription en France des actes de naissance désignant la mère d’intention. Cependant, cette solution a été rendue en considération des faits propres à l’espèce. La Cour revendique d’ailleurs, en cette matière, une méthode d’« appréciation in concreto », « l’intérêt supérieur de l’enfant (…) exige(ant) pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances qui la caractérise ». En l’espèce, la transcription a été jugée préférable aux autres modes d’établissement légal de la filiation et, notamment, à ceux plus spécialement envisagés dans cette affaire, à savoir l’adoption et la possession d’état (V. Dalloz Actu Étudiant, La filiation des enfants nés d’une GPA, 11 oct. 2019, obs. M. Hervieu).
Par la suite, la Cour de cassation, en poursuivant son raisonnement, a confirmé que lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressées, l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une GPA peut être transcrit sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne comme parent le conjoint du père biologique, sauf s’il est irrégulier, falsifié ou que les faits déclarés ne correspondent pas à la réalité conformément à l’article 47 du code civil (Civ. 1re , 18 déc. 2019, nos 18-11.815, 18-12.327).
Lors des débats en seconde lecture à l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la bioéthique (juillet 2020), le Gouvernement a souhaité revenir à l’état antérieur de la jurisprudence. Un amendement (n° 1528) a été voté en ce sens pour les enfants nés de GPA, la transcription d'un acte d'état civil étranger est limitée au seul parent biologique. Le second parent dit « d'intention » devra passer par une procédure d'adoption.
Concernant l’affaire dont était saisie la CEDH qui a rendu sa décision le 16 juillet 2020, un jugement du 12 janvier 2017 du tribunal de grande instance de Nantes a fait droit à la demande de transcription de l’acte de naissance de l’enfant né en Ukraine d’une GPA sur les registres de l’état civil français, tant à l’égard du père biologique, qu’à l’égard de la mère d’intention. Or, la cour d’appel de Rennes a infirmé, le 18 décembre 2017, le jugement faisant droit à la demande de transcription de l’acte de naissance au titre de la filiation maternelle, aux motifs que l’acte d’état civil n’était pas conforme à la réalité, puisqu’il désignait comme mère celle qui n’avait pas accouché. En outre, selon la cour d’appel, ce refus de transcription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant (Conv. EDH, art. 8), car l’adoption permet, si les conditions légales sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, de créer un lien de filiation entre l’enfant et l’épouse de son père. Dans cette affaire, il n’y a pas eu de pourvoi en cassation.
Devant la Cour européenne, les requérants soutenaient que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant pour autant qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère était constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée dès lors que la mère d’intention est la mère génétique.
Dans son arrêt du 16 juillet 2020, la Cour européenne a rappelé qu’elle s’était déjà prononcée sur la question du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique dans les arrêts Mennesson et Labassee (CEDH, 26 juin 2014, préc.). L’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requière la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention par l’unique voie de la transcription de son acte de naissance étranger.
En l’espèce, la Cour affirme donc que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance de l’enfant ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait que sa mère d’intention est également sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre la mère d’intention et l’enfant peut être établi par une autre voie.
La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé également dans cet arrêt l’avis consultatif du 10 avril 2019 (préc.), dans lequel, elle a relevé que l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.
Ainsi, au regard des circonstances de l’espèce, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et sa mère d’intention. En conclusion, il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention (respect de la vie privée) pris isolément et combiné avec son article 14 (discrimination).
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Art. 8. « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Civ. 1re, 17 déc. 2008, no 07-20.468 P: D. 2009. 340, obs. V. Egéa, note L. Brunet ; ibid. 332, avis J.-D. Sarcelet ; ibid. 773, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2009. 81, obs. F. Chénedé ; Constitutions 2010. 78, obs. P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2009. 320, note P. Lagarde ; RTD civ. 2009. 106, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 6 avr. 2011, nos 09-66.486 P, 10-19.053 P, 09-17.130 P : D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; ibid. 1001, édito. F. Rome ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262 ; ibid. 265, obs. B. Haftel ; ibid. 266, interview M. Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 13 sept. 2013, no 12-18.315 P : Dalloz Actu Étudiant, 3 oct. 2013 ; D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. C. Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser
■ CEDH 26 juin 2014, Labassee c/ France, no 65941/11, Mennesson c/ France, no 65192/11 : AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs., note F. Chénedé ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499 ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud
■ CEDH 21 juill. 2016, Foulon et Bouvet c/ France, nos 9063/14 et 10410/14 : D. 2016. 2152, et les obs., note A.-B. Caire ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 407, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 819, obs. J. Hauser
■ Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21.323, 15-50.002 P : D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1481, édito. S. Bollée ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 915, obs. REGINE ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 496 ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-16.455 : Dalloz Actu Étudiant, 15 sept. 2017 ; D. 2017. 1737, communiqué C. cass., note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017. 482, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest.
■ CEDH, gr. ch., avis consultatif, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001 : Dalloz Actu Étudiant, 19 avr. 2019, note Merryl Hervieu ; D. 2019. 1084, note H. Fulchiron ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD civ. 2019. 307, obs. A.-M. Leroyer ; AJ Famille 2019. 289, obs. G. Kessler
■ Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, no 10-19.053 P : D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 613 ; ibid. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 640 et les obs. ; RTD civ. 2018. 847, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2019. 90, obs. A.-M. Leroyer
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