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[ 26 avril 2018 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

La faute pénale sportive

Les dispositions relatives à l'indemnisation des victimes d'une infraction ne sont applicables entre concurrents d'une compétition sportive qu'en cas de violation des règles du sport pratiqué constitutive d'une infraction pénale.

Lors d’une épreuve de course pédestre à obstacles, une participante avait été heurtée, en sortant d’un toboggan, par une concurrente, qui n’avait pas pu être identifiée. Ayant été blessée, elle avait saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pour obtenir l’octroi d’une provision sur sa créance en réparation de la part du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). 

Si sa demande fut rejetée par les premiers juges, elle fut, au contraire, en appel accueillie au motif que la victime versait deux nouvelles attestations de témoins, suffisamment précises, pour établir la réalité de l’accident causé par une autre concurrente ; l’un d’eux précisait en outre qu’il avait assisté à l’accident et insistait sur l’imprudence commise par la concurrente qui suivait de trop près la victime sur le toboggan, tandis que l’autre témoin indiquait qu’il avait filmé la scène avec sa caméra et vu son amie se faire percuter lors de la sortie du toboggan. Ces éléments caractérisaient, selon les juges du fond, une infraction de blessures involontaires causées par la concurrente non identifiée justifiant le droit de l’appelante à indemnisation. Au visa de l’article 706-3 du Code de procédure pénale et des articles 121-3, alinéa 3, et 222-19 du Code pénal, la deuxième chambre civile casse cette décision. Énonçant que selon le premier de ces textes, les dispositions relatives à l’indemnisation des victimes d’une infraction ne sont applicables entre concurrents d’une compétition sportive qu’en cas de violation des règles du sport pratiqué constitutive d’une infraction pénale ; elle reproche en conséquence à la cour d’appel de ne pas avoir caractérisé, en l’espèce, une violation des règles de la course pédestre à obstacles pratiquée présentant le caractère matériel d’une infraction. 

Cette décision présente l’intérêt de rappeler, sur un plan pénal (V. déjà Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.808), la spécificité, de la faute sportive, qui se démarque nécessairement de celle de droit commun en raison de la particularité, inhérente à la pratique sportive, des règles qui lui sont réservées, notamment de celles applicables aux sports de contact ou à risques, comme l’est la course pédestre à obstacles, inspirée du parcours du combattant militaire et consistant à ramper sous des troncs d’arbres, des poutres en béton, des barbelés, à escalader des murs, à franchir des fossés, etc… 

Ainsi, un comportement qui serait, dans la vie ordinaire, qualifié de fautif, échappera souvent à ce grief en matière sportive. Par exemple, si le coup de poing porté par un boxeur est, en dehors du ring, constitutif d’une faute, le même geste, exécuté lors d’un match de boxe, est autorisé. C’est la raison pour laquelle les juges exigent la démonstration, par la victime d’un geste sportif, d’une faute qualifiée commise par son auteur ou, plus précisément, d’une « faute caractérisée par une violation des règles du jeu » (Cass., ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141 ; Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 03-11.653 ; Civ. 2e, 20 nov. 2014, n° 13-23.759), telles qu’elles ont été définies par les fédérations sportives (C. sport, art. L. 131-16). La faute ordinaire appréciée par les juges selon le standard du « bon père de famille » est ainsi, en matière sportive, délaissée pour être plus spécialement recherchée sous l’angle du modèle du « bon sportif » (V. J.-P. Vial, Rugby et responsabilité pénale, Dalloz Actu Étudiant, 14 avr. 2016). Si le premier a trait au comportement d’une personne normalement avisée, diligente, raisonnable et prudente, le second renvoie plus étroitement et plus simplement à celui qui respecte le règlement du sport qu’il pratique. La faute pénale suppose donc une violation de la norme sportive qui n’était pas, en l’espèce, caractérisée, la cour d’appel s’étant contentée, sans tenir compte du rehaussement du seuil de la faute sportive, de relever la faute d’imprudence de l’auteur du dommage, sans constater que celui-ci avait méconnu les règles applicables à la compétition pratiquée. Or, en la matière, la simple maladresse, considérée comme faisant partie des risques encourus lors de la pratique d'un sport, ne justifie pas que la responsabilité de l'auteur du dommage soit engagée, dès lors qu'aucune infraction aux règles de jeu n'a été constatée. 

On l’a vu, toute infraction aux lois du jeu n’est pas susceptible de caractériser une infraction pénale. En ce sens, la recherche d’une faute caractérisée supposant que celle-ci soit empreinte d’une intensité et d’une gravité particulière, la simple faute technique, de jeu, n’est ainsi pas suffisante pour caractériser le délit. La victime a la charge, plus difficile, de prouver une faute contre le jeu, ce qui tempère la faveur de la règle édictée, dans son intérêt, par l’article 706-3 du Code de procédure pénale qui n’exige que le seul établissement de l’élément matériel de l’infraction : celle-ci, pour être caractérisée, suppose ainsi la violation par son auteur, même sans intention de porter atteinte à l’intégrité physique de la victime, d’une règle dont il sait que la méconnaissance présente le risque d’une telle atteinte. Comme en matière civile (Civ. 2e, 16 nov. 2000, n° 98-20.557, la faute pénale en matière sportive sera caractérisée par le constat d’un geste exécuté par son auteur dans des conditions excédant les dangers normalement encourus et les risques inhérents à la compétition, mettant ainsi en péril la sécurité de ses partenaires de jeu. 

Il est enfin intéressant de relever que, tout en illustrant le particularisme de la notion de faute sportive, cette décision témoigne de la similitude d’analyse pénale et civile de celle-ci, caractérisée par une violation des règles du jeu dont la gravité et l’intentionnalité excèdent les risques normaux encourus lors de la pratique du sport considéré.

Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-16.873 P

Références

■ Civ. 2e, 4 nov. 2004, n° 03-15.808  P: D. 2004. 3117.

■ Cass., ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141 P : D. 2007. 2455, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2007. 782, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 03-11.653 P : D. 2004. 2601, note Y.-M. Serinet ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; ibid. 2006. 190, obs. Centre de droit et d'économie du sport ; RTD civ. 2004. 517, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 20 nov. 2014, n° 13-23.759 : Dalloz Actu ÉtudiantA vos copies, 26 mars 2015; D. 2015. 394, obs. Centre de droit et d'économie du sport.

■ Civ. 2e, 16 nov. 2000, n° 98-20.557 P: D. 2000. 307.

 

Auteur :M. H.


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