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[ 2 juin 2022 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La qualification du contrat des chauffeurs VTC toujours en question !

Il y a deux ans, la Cour de cassation se prononçait en faveur d’un contrat de travail pour qualifier la relation unissant un chauffeur VTC et la plateforme UBER. Les médias viennent de largement relayer la condamnation de la société Deliveroo à une amende de 375 000 euros d’amende pour travail dissimulé. Pourtant, il ne faudrait pas bruler les étapes du raisonnement et conclure trop rapidement que tout travailleur d’une plateforme est nécessairement un salarié. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 13 avril 2022 concernant un chauffeur « Le Cab ».

Soc. 13 avr. 2022, n° 20-14.870 ; Tribunal Correctionnel de Paris 19 avr. 2022

Les faits de l’espèce sont des plus classiques. M. T conclut un contrat de location longue durée d'un véhicule avec une société ainsi qu'un contrat d'adhésion au système informatisé développé par cette société sous le nom « Le Cab ». La société rompt le contrat d’adhésion et le travailleur intente alors une action en requalification de sa relation de travail en contrat de travail. Il demande par ailleurs des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour procédure irrégulière, une indemnité compensatrice de congés payés et de préavis, le remboursement de frais d’essence mais aussi des dommages intérêts pour travail dissimulé. La Cour d’appel fait droit à l’ensemble de ces demandes mais son arrêt est cassé pour insuffisance de motifs. Les éléments retenus par la Cour d’appel ne permettaient pas de vérifier l’existence d’un lien de subordination. Il convient donc de reprendre ces éléments avant de mesurer les risques d’une condamnation pour travail dissimulé.

I.               Les éléments caractérisant le lien de subordination

Le travailleur étant inscrit au répertoire des métiers, il convenait de faire application de l’article L. 8221-6 du code du travail. En effet les personnes physiques immatriculées à certains registres sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail. Toutefois, il est possible d’apporter la preuve contraire, en démontrant l’existence d’un lien de subordination. La cour d’appel comme la Cour de cassation rappellent que ce lien est « caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution ». C’est toutefois sur la compréhension de ces indices qu’une opposition apparaît entre juges du fond et juge du droit.

La cour d’appel retient différents indices pour admettre la subordination : le chauffeur n'avait pas le libre choix de son véhicule, il y avait interdépendance entre les contrats de location et d'adhésion à la plateforme, le GPS permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à une répartition optimisée et efficace des courses et d'assurer - selon les juges du fond - un contrôle permanent de l'activité du chauffeur. La société fixait le montant des courses qu'elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, elle modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires, la société disposait enfin, toujours selon les juges du fond, d'un pouvoir de sanction à l'égard du chauffeur, à travers le système de notation par les personnes transportées. La situation ressemblait donc sensiblement à l’affaire Uber. Or dans cette dernière affaire, la Cour de cassation avait souligné le caractère fictif du statut de travailleur indépendant. La réalité devait prévaloir sur l’apparence : en réalité ce chauffeur Uber ne choisissait rien. Un prétendu « indépendant » qui n’est pas libre de son activité, libre de développer sa propre clientèle, libre de ses marges de profit, libre de son organisation, autrement dit qui ne dispose d’aucune liberté d’exploitation doit être considéré comme un travailleur dépendant. Cette fictivité n’est pourtant pas relevée par la Cour régulatrice dans l’arrêt Le Cab. Bien au contraire. La Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir relevé en quoi la société adressait à M. T des directives sur les modalités d'exécution de son travail, si elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation. Elle retient donc une approche beaucoup plus classique de la subordination et se rapproche davantage d’un arrêt de la seconde chambre civile de la Cour de cassation du 12 janvier 2022 (Com. 12 janv. 2022, n° 20-11.139) exigeant une « analyse concrète des conditions effectives dans lesquelles les chauffeurs exercent leur activité ». Il est toutefois regrettable que la Cour régulatrice ne prenne pas le temps d’expliquer en quoi l’organisation du travail d’un chauffeur « Uber » diffère d’un chauffeur « Le Cab ». La motivation n’évoque d’ailleurs à aucun moment l’arrêt Uber du 4 mars 2020 (Soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316). Plus surprenant, sur Légifrance, lorsqu’on recherche les « précédents jurisprudentiels » dans l’onglet dédié à l’arrêt du 13 avril 2022, il est mentionné l’arrêt de la chambre commerciale du 12 janvier 2022 mais ni l’arrêt Uber ni l’arrêt Take eat easy de 2018 (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079) ne sont rappelés. Par ailleurs, l’avis de l’avocat général et du conseiller rapporteur ne sont pas publiés. Ce silence étrange ne facilite pas la compréhension de la solution. Faut-il y lire une évolution jurisprudentielle ? La Cour entend-elle abandonner l’idée de fictivité du travail indépendant et revenir à une approche très classique liée à l’identification d’ordres donnés sur le travail à exécuter et non simplement sur l’environnement du travail ? Difficile de l’affirmer car la lecture du pourvoi laisse entrevoir que Monsieur T disposait d’un peu plus de liberté dans la gestion de son activité : il pouvait sous-traiter les courses, l’itinéraire était laissé à sa discrétion sauf exigence particulière émanant du client, il pouvait travailler pour d’autres plateformes entre deux courses. La fictivité de l’indépendance n’était donc pas si évidente. Quoi qu’il en soit, l’arrêt Le Cab révèle qu’il n’y a pas de généralisation de la situation des chauffeurs de VTC travaillant pour des plateformes. Ce constat pourrait avoir des conséquences sur l’identification d’un travail dissimulé. 

II.             Le travail dissimulé

La mauvaise qualification de la relation de travail expose le donneur d’ordre du travail à une condamnation pénale et civile pour travail dissimulé. Sur le terrain pénal, il est nécessaire de rappeler que le défaut de déclaration préalable à l’embauche constitue l’un des éléments matériels du travail dissimulé (L. 8221-5 c. trav.). Or si le chauffeur est déclaré au répertoire des métiers, il n’y a pas eu, par hypothèse, de déclaration préalable à l’embauche de la part de la plateforme. L’élément matériel est donc systématiquement établi. Par ailleurs, la chambre criminelle ne se montre pas très exigeante sur l’élément intentionnel puisqu’elle considère que « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale ou règlementaire implique de la part de son auteur l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du code pénal » (Crim. 27 sept. 2005, n° 04-85.558). Faire travailler une personne en tant que travailleur indépendant alors qu’il s’agit en réalité d’un contrat de travail conduit donc rapidement à des sanctions pénales. Ne disposant pas de la décision Déliveroo, il est délicat de la commenter. Mais il semble que le tribunal ait suivi les réquisitions de la procureure qui faisait valoir que le statut d’indépendant est « une fiction juridique » car « Deliveroo ne met le livreur en relation avec personne, il organise la prestation de ce dernier en son propre nom ». (Lamy- Bulletin des Transports et de la Logistique, nº 3871, 21 mars 2022). On retrouve donc cette idée de fictivité retenue par la Chambre sociale dans l’arrêt Uber.

Sur le terrain du droit du travail, l’existence d’un travail dissimulé emporte le versement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire (L. 8223-1 c. trav.). Toutefois, cette condamnation n’a rien d’automatique. Dans l’arrêt Ile de la tentation de 2009 (Soc. 3 juin 2009, L’île de la tentation, n° 08-40.981), la chambre sociale précise que « le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié ». Toutefois, lorsqu’arrêt après arrêt la Cour explicite une situation, il est plus facile de retenir cette intention. Ainsi, en 2016, dans une affaire Kho-Lanta (Soc. 18 févr. 2016, Koh Lantah, n° 14-23.396, 14-25.763 et 14-25.764), la Cour retient l’intention de dissimulation en précisant que dans la mesure où elle a tranché les contentieux multiples relatifs à ce genre d'émission, il en ressort que lors du recrutement des salariés début 2010 il n'existait plus de doute sur la qualification de contrat de travail pour définir la prestation des participants. Concernant la situation des chauffeurs de VTC, on vient de voir que la situation d’un chauffeur Uber n’est pas forcément la même qu’un chauffeur Le Cab. Il sera donc plus délicat de condamner la plateforme à verser l’indemnité de 6 mois de salaire au titre du travail dissimulé puisque la requalification en contrat de travail dépend de chaque situation particulière. Le recours à la notion de fictivité pourrait dès lors être intéressante. L’organisation volontaire d’une situation fictive devrait être suffisante pour démontrer l’intention de la dissimulation.

Références :

■ Com. 12 janv. 2022, n° 20-11.139 D. 2022. 116

■ Soc. 4 mars 2020, Uber n° 19-13.316 DAE, 3 mars 2020, note Chantal MathieuD. 2020. 490, et les obs. ; ibid. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; AJ contrat 2020. 227, obs. T. Pasquier ; Dr. soc. 2020. 374, obs. P.-H. Antonmattei ; ibid. 550, chron. R. Salomon ; RDT 2020. 328, obs. L. Willocx

■ Soc. 28 nov. 2018, Take eat easy, n° 17-20.079 DAE, 12 déc. 2018, note Quentin MlapaD. 2019. 177, et les obs., note M.-C. Escande-Varniol ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel

■ Crim. 27 sept. 2005, n° 04-85.558 

■ Soc. 3 juin 2009, L’île de la tentation, n° 08-40.981 D. 2009. 2517, note B. Edelman ; ibid. 1530, obs. M. Serna ; ibid. 2116, chron. J.-F. Cesaro et P.-Y. Gautier ; ibid. 2010. 342 et les obs. ; Dr. soc. 2009. 780, avis D. Allix ; ibid. 791, obs. J.-J. Dupeyroux ; ibid. 930, note C. Radé ; RDT 2009. 507, obs. G. Auzero ; RTD com. 2009. 723, obs. F. Pollaud-Dulian

■ Soc. 18 févr. 2016, Koh Lantah, n° 14-23.396, 14-25.763 et 14-25.764 Dr. soc. 2016. 650, étude S. Tournaux

■ B. Géniaut, L’intention du travail dissimulé et la qualification de contrat de travail. À propos d’une divergence persistante de jurisprudence, à paraitre JCP soc. 2022

 

Auteur :Chantal Mathieu


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