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Droit des régimes matrimoniaux
L’apport en capital pour financer la construction du logement familial ne relève pas de la contribution aux charges du mariage
Sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer la construction d'un bien personnel appartenant à l'autre et affecté à l'usage familial ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
Civ. 1re, 5 avr.2023, n° 21-22.296 B
En parfaite cohérence avec sa ligne jurisprudentielle, la première chambre civile poursuit la construction, par la décision rapportée, du régime applicable aux dépenses effectuées au profit du logement familial à l’aune de la contribution aux charges du mariage, dans le cadre de la liquidation d’un régime de séparations de biens.
La Cour de cassation a d’abord posé le principe selon lequel le financement du logement familial par un seul époux relève de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. Si ces charges incombent, par principe, aux deux époux, elles doivent toutefois être réparties à proportion de leurs facultés respectives en sorte que chacun des époux ne verse que ce dont il est possiblement redevable sans pouvoir, en contrepartie, se prévaloir d’une quelconque créance à l’encontre de son conjoint., sauf à ce qu'il démontre que les paiements effectués étaient disproportionnés au regard de ses facultés contributives ou ont manifestement excédé sa part contributive (v. not. Civ. 1re, 12 juin 2013, n° 11-26.748 ; 24 sept. 2014, n° 13-21.005).
Une exception à ce principe, qui prive l’époux contributeur de tout droit à remboursement, a ensuite été prévue : lorsque le financement résulte d’un apport en capital de fonds personnels, cet apport donne lieu à remboursement, même s’il s’agit de financer un bien immobilier à usage familial, dans la mesure où il est considéré comme indépendant de l’obligation de contribuer aux charges du mariage. L’apport en capital n’étant pas reconnu comme un mode de contribution, comme peut l’être le remboursement d’un emprunt, la paralysie du droit au remboursement résultant de l’obligation contributive aux charges maritales n’a donc plus lieu d’être. Jusqu’alors, cette exception avait été posée par la Cour de cassation dans le cas où l’apport permettait de financer la part de son conjoint pour l'acquisition d'un bien indivis (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-20.828 ; 17 mars 2021, n° 19-21.463 ; 9 févr. 2022, n° 20-14.272) ou l’amélioration, par voie de construction, d’un tel bien (Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-21.277). Restait à savoir si cette solution trouvait également à s’appliquer dans l’hypothèse d’une propriété exclusive. C’est tout l’intérêt de l’arrêt sous commentaire d’étendre la jurisprudence précitée à l’apport en capital de fonds personnels à un époux séparé de biens pour financer la construction d’un bien personnel à l’autre époux.
En l’espèce, après le divorce d’un couple marié sous le régime de la séparation de biens, l’ex-époux avait sollicité le remboursement d’une créance au titre du financement d'une partie des travaux de construction d'une maison édifiée sur un terrain appartenant à son ex-femme, l’investissement immobilier qu’il avait effectué ayant été financé à l’aide de capitaux provenant de son épargne personnelle. Pour contester le droit à remboursement de son ancien conjoint, l’ex-épouse lui opposa son obligation de contribuer aux charges du mariage. Convaincue par cet argument, la cour d’appel rejeta la demande en remboursement au motif que l'espèce concernait le financement de la construction d'un bien personnel de l'épouse et non celui de la part indivise du conjoint (cf Civ. 1re, 9 juin 2022, préc.), que le montant de la facture demeurait relativement modeste et constituait une dépense ponctuelle, qu'il n'était pas établi de surcontribution aux charges du mariage de l’époux (cf Civ. 1re, 12 juin 2013 et 24 sept.2014, préc.) et qu'il n’était pas contesté que celui-ci avait bénéficié avec les enfants du couple d'un hébergement dans le bien immobilier considéré. La juridiction du second degré en avait donc déduit que le paiement de la facture versée aux débats pour établir sa créance relevait de sa contribution aux charges du mariage, ce qui le privait du droit d’en obtenir le remboursement.
La décision des juges du fond est censurée par la première chambre civile qui, au visa de l’article 214 du Code civil, juge par un attendu de principe que « sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l'amélioration, par voie de construction, d'un bien personnel appartenant à l'autre et affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ». Dès lors, pour faire échec à la demande en remboursement, il aurait fallu démontrer l’existence d’une convention entre époux prévoyant que le mari exécuterait son obligation contributive sous la forme d’un apport en capital. Faute d’avoir caractérisé une telle convention, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Le principe selon lequel l’apport en capital ne peut être un mode d’exécution de la contribution aux charges du mariage se trouve ainsi renforcé par l’extension de son domaine d’application au bien personnel, et non plus seulement indivis, de l’époux bénéficiaire de l’investissement, et ce à l’effet de protéger les intérêts de l’époux investisseur.
Références :
■ Civ. 1re, 12 juin 2013, n° 11-26.748 P : D. 2013. 2242, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 448, obs. B. de Boysson ; RTD civ. 2014. 698, obs. B. Vareille.
■ Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005 P : DAE, 20 oct. 2014, note M. Hervieu ; AJ fam. 2014. 641, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 106, obs. J. Hauser.
■ Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-20.828 P : DAE, 6 nov. 2019, note M. Hervieu ; D. 2020. 60, note B. Chaffois ; ibid. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2019. 604, obs. J. Casey ; RTD civ. 2019. 913 et les obs.
■ Civ. 1re, 17 mars 2021, n° 19-21.463 P : D. 2021. 631 ; ibid. 819, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1784, chron. V. Champ, C. Dazzan, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, X. Serrier, J. Mouty-Tardieu, E. Buat-Ménard et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot ; AJDI 2021. 383 ; AJ fam. 2021. 314, obs. J. Casey.
■ Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 20-14.272 : RTD civ. 2022. 693, obs. I. Dauriac.
■ Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-21.277 B : D. 2022. 1151 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 750, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2022. 445, obs. J. Casey ; RTD civ. 2022. 954, obs. I. Dauriac.
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