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[ 17 septembre 2024 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Le Premier ministre et le Gouvernement sous la Ve

Depuis plusieurs mois maintenant, on peut lire ou entendre de nombreuses actualités sur le régime constitutionnel français. Sont alors souvent utilisés des mots comme 49, alinéa 3 ; motion de censure, vote de confiance ; dissolution ; destitution ; cohabitation ; coalition ; « coalitation » ; coexistence exigeante ; Gouvernement démissionnaire ; …. Au cours de cette nouvelle année universitaire, DAE vous proposera divers points sur des notions de droit constitutionnel. Pour cette rentrée, le premier point traitera du Premier ministre et de son Gouvernement sous la Cinquième.

■ Le choix du Premier ministre. Le Premier ministre est nommé par le Président de la République (Const., art. 8) qui n’a normalement pas d’autre possibilité que de choisir une personne issue de la couleur politique majoritaire à l’Assemblée nationale. 

Avant juillet 2024, la pratique constitutionnelle de la Cinquième était assez simple : soit la majorité présidentielle et la majorité parlementaire concordaient et le Président de la République nommait librement un Premier ministre de sa couleur politique, soit la majorité parlementaire ne concordait pas avec la majorité présidentielle, s'ouvrait alors une période de cohabitation et le choix du Premier ministre par le Président de la République était assez limité, il retenait la personnalité que la majorité parlementaire lui indiquait (1986-1988: Mitterrand/Chirac; 1993-1995: Mitterrand/Balladur; 1997-2002: Chirac/Jospin). À noter qu’en 1988 et 2022, la majorité à l’Assemblée nationale n’a été qu’une majorité relative (1988 : 275 sièges sur 577 et 2022 : 246 sur 577 ; majorité absolue à 289) ; cette situation n’a toutefois pas empêché le Président de la République de nommer un Premier ministre de sa couleur politique (Présidence de François Mitterrand 1988 : Gouvernements successifs de Michel Rocard : 10 mai 1988 – 15 mai 1991, Edith Cresson : 15 mai 1991 – 2 avr. 1992 et Pierre Bérégovoy : 2 avr. 1992 – 29 mars 1993; Présidence d’Emmanuel Macron en 2022 : Gouvernements successifs d’Elisabeth Borne : 16 mai 2022 – 9 janv. 2024 puis de Gabriel Attal : 9 janv. 2024 – 5 sept. 2024). 

Depuis les élections législatives anticipées de juin/juillet 2024, une nouvelle situation inédite s’est imposée : aucun parti ne détient de majorité à l’Assemblée nationale. Cinquante et un jours après les résultats des élections, le Président de la République a fait seul le choix de nommer Michel Barnier (LR) comme Premier ministre (Décr. du 5 sept. 2024). 

■ La formation d’un Gouvernement. Une fois nommé, le Premier ministre est chargé de former un Gouvernement, les membres sont nommés par le Président de la République sur proposition du Premier ministre (Const. 58, art. 8). Si cela est effectivement une réalité en période de cohabitation, le Président peut toutefois refuser certaines propositions (François Mitterrand avait en 1986 refusé la nomination de François Léotard à la Défense et celle de Jean Lecanuet au Quai d'Orsay). L'initiative du Premier ministre est beaucoup plus réduite en période de concordance des majorités où le Président de la République participe pleinement au choix des ministres, et parfois même l'impose au Premier ministre. La nouvelle situation de septembre 2024 redonne au Premier ministre un certain pouvoir quant au choix des ministres.

■ La déontologie et la transparence des membres du Gouvernement. Les membres du Gouvernement exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts ou tout risque d'influence étrangère. Ils ont l’obligation d’adresser personnellement au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique, dans les deux mois qui suivent leur nomination, une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leur situation patrimoniale concernant la totalité de leur biens propres ainsi que, le cas échéant, ceux de la communauté ou des biens indivis (L. n° 2013-907 du 11 oct. 2013 relative à la transparence de la vie publique, art. 1er et 4).

■ Les incompatibilités (Const. 58, art. 23). L’incompatibilité des fonctions ministérielles avec un mandat parlementaire est une des conditions de la stabilité gouvernementale recherchée par les auteurs de la Constitution de 1958. Avant la Cinquième République, les ministres conservant leur mandat restaient parlementaires et étaient simultanément « contrôlés » comme ministres et « contrôleurs » comme parlementaires. Ils continuaient de voter dans la chambre dont ils étaient membres. Par ailleurs, les ministres n’ont pas non plus la possibilité d’exercer des fonctions de représentation professionnelle à caractère national ni continuer à exercer une activité professionnelle, publique ou privée, afin de limiter les éventuelles pressions d’intérêts privés sur le Gouvernement. Ils ne peuvent pas non plus être, par exemple, membres du Conseil constitutionnel (Const. 58, art. 57).

■ L’absence d’investiture. Le Gouvernement entre en fonction dès la signature du décret de nomination par le Président de la République (Cons. const. 6 sept. 2000, Hauchemaille: JO 9 sept., p. 14164; CE 29 janv. 1965, Mollaret: Lebon 61). En effet, il n’existe pas d’investiture obligatoire sous la Cinquième République contrairement à ce qui était prévu sous les Troisième et Quatrième Républiques. L'usage de l'alinéa 1er de l’article 49 de la Constitution (« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ») est bien, pour le Premier ministre, une simple faculté, y compris au moment de sa nomination ou de celle du Gouvernement. Il n'existe donc pas de lien juridique entre la nomination du Premier ministre et un quelconque vote parlementaire, vote de confiance. Certes, l'usage du présent de l'indicatif « engage » semble indiquer non une simple faculté mais une obligation (l'adverbe « éventuellement » ne s'applique qu'aux déclarations de politique générale. Mais, dès lors qu'aucun délai n'est imposé par l'alinéa 1er de l’article 49, le Premier ministre a la faculté de choisir le moment le plus opportun pour demander ce vote de confiance sur son programme. Dès lors, s’il le souhaite, il peut ne jamais le demander. La pratique constitutionnelle montre que certains Premiers ministres ont renoncé totalement à l'usage de cette faculté. 

■ Les principales compétences du Premier ministre (Const. 58, art. 21). Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il en est le chef. Il est responsable de la défense nationale, il dirige l'action du Gouvernement en matière de sécurité nationale et exerce la direction générale et la direction militaire de la défense. Il assure ensuite l’exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire sous réserve de la signature des ordonnances et décrets délibérés en Conseil des ministres par le Chef de l’État. Le Premier ministre assure la coordination de l’action gouvernementale en arbitrant les politiques décidées dans les différents ministères. Cependant, il n’est pas le supérieur hiérarchique des autres ministres. Sous réserve des pouvoirs du Président de la République, il nomme aux emplois civils et militaires.

■ La détermination et la conduite de la politique de la Nation. Selon l’alinéa 1er de l’article 20 de la Constitution il appartient au Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation. Cette rédaction est éloignée de la réalité politique en période de concordance des majorités parlementaire et présidentielle. En effet depuis l'élection au suffrage universel direct du Chef de l’État (1962), et plus encore depuis la mise en place du quinquennat (2000), c'est au Président de la République qu'il revient de déterminer la politique de la Nation. Il présente, lors de son élection, un programme et doit logiquement le mettre en œuvre une fois élu. Le Président de la République se dote alors des moyens de déterminer la politique et même de la conduire. En revanche, cette disposition prend tout son sens lors d’une période de cohabitation, le Premier ministre n’a plus le rôle d’exécutant mais il détermine et conduit la politique de la Nation. La situation inédite de septembre 2024, période sans majorité à l’Assemblée nationale, ouvre une nouvelle ère constitutionnelle qui contraindra le Premier ministre à négocier sans cesse avec les diverses forces politiques afin d’aboutir à une coalition pour chaque projet de loi.

■ La responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. Conformément aux dispositions de l'article 20 de la Constitution, si le Gouvernement est responsable devant le Parlement, c'est uniquement dans les conditions et suivant les procédures des articles 49 et 50 de la Constitution. Pour éviter l'instabilité gouvernementale chronique connue sous les Troisième et Quatrième Républiques, le Constituant de 1958 a rationnalisé les mécanismes permettant la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. Ces dispositions ont été efficaces puisqu’un seul Gouvernement a été reversé par l’Assemblée nationale depuis 1958 (Gouvernement Pompidou I, le 5 oct. 1962 : motion de censure spontanée). Les trois premiers alinéas de l’article 49 de la Constitution donne la possibilité à l’Assemblée nationale de renverser le Gouvernement :

-        L’article 49, alinéa 1er : le vote de confiance. À tout moment, le Premier ministre peut demander un vote de confiance à l’Assemblée nationale sur l'ensemble de la politique du Gouvernement ou sur un large aspect de celle-ci (par ex. réforme de la protection sociale : Juppé II en nov. 1995; retour de la France dans l'OTAN : Fillon II en mars 2009). Toutefois cet alinéa ne peut pas être utilisé sur un point particulier faisant l'objet d'un texte précis. Dans ce cas, ce sont les dispositions de l'alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution qui s'appliquent.

-        L’article 49, alinéa 2 : la motion de censure spontanée.  Celle-ci n'est recevable que si un dixième au moins des membres composant l'Assemblée nationale l'a signée (58 députés). Une fois la motion déposée, elle est discutée et mise aux voix après un délai de réflexion de quarante-huit heures. La motion est adoptée si la majorité absolue des députés vote en sa faveur ; dans ce cas, le Gouvernement est renversé et le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement. Toutefois, cet usage n’est pas illimité, en effet, chaque député peut en signer jusqu’à trois au cours de la session ordinaire et une au cours de chaque session extraordinaire.

-        L’article 49, alinéa 3 : l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un texte. Cette procédure s’apparente plus à un moyen de procédure législative pour obtenir l'adoption forcée d'un texte qu'à un simple moyen de contrôle du Gouvernement. Elle peut être utilisée par le Premier ministre lorsque l’Assemblée nationale n'est pas très favorable à voter un texte. La responsabilité du Gouvernement est alors engagée sur ce texte. C'est un chantage à la démission qui est fait à l'Assemblée nationale. Ou bien les députés renversent le Gouvernement en votant une motion de censure ou bien ils admettent le texte proposé. En pratique, le débat parlementaire s'interrompt immédiatement. Si pendant les vingt-quatre heures, aucune motion de censure n’est déposée, le texte est considéré comme adopté sans vote. En revanche, si une motion de censure est déposée, l'Assemblée nationale se prononcera alors, à l'issue d'un nouveau délai de quarante-huit heures, sur la censure et non plus sur le texte. Si la motion de censure est adoptée à la majorité absolue, le Gouvernement est renversé et le texte est donc rejeté ; le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement (Const. 58, art. 50). En revanche, si la motion de censure ne recueille pas la majorité absolue, le texte est considéré comme adopté et le Gouvernement reste en place. 

-        Si l’alinéa 4 de l’article 49 de la Constitution permet au Premier ministre de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale, il s’agit d’une simple faculté et la responsabilité du Gouvernement ne peut pas être engagée même si le vote est défavorable 

■ La responsabilité pénale des membres du Gouvernement devant la Cour de justice de la République. Les articles 68-1 à 68-3 de la Constitution traitent de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Ainsi, les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. V. Focus sur La Cour de justice de la République en question et  la Une La Cour de justice de la République.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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