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Le recours préventif et effectif devant le juge judiciaire : un nouveau pas franchi par la Cour de cassation
Dans son édition du 12 octobre dernier, Dalloz Actu Étudiant vous présentait le nouveau recours, encadré par les dispositions de l’article 803-8 du Code de procédure pénale et offrant aux détenus la possibilité de saisir le juge judiciaire par voie de requête lorsqu’ils estiment que leurs conditions d’incarcération sont contraires au respect de leur dignité et qu’il doit y être mis fin.
Crim. 20 oct. 2021, n° 21.84-498
Dans un arrêt rendu le 20 octobre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce sur la mise en œuvre de ce dispositif, créé par la loi no 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, dont le décret no 2021-1194 du 15 septembre 2021 pris en application de l’article 803-8 précédemment cité est entré en vigueur le 1er octobre dernier.
En l’espèce, un individu, mis en examen pour les chefs d’infraction à la législation des stupéfiants, association de malfaiteurs en récidive et recel, a été placé sous mandat de dépôt correctionnel. Presque sept mois plus tard, toujours dans l’attente de son jugement, sa détention a été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le mis en examen a relevé appel de cette décision, faisant valoir l’indignité de ses conditions de détention devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel compétente, rappelons-le, pour connaître des appels contre les décisions rendues par le juge des libertés et de la détention.
Cet argument ne semble pas avoir prospéré dès lors que les juges bordelais ont confirmé ladite ordonnance après avoir considéré que les données factuelles relevées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de visite de la maison d’arrêt d’Angoulême, un an précédant l’incarcération de l’intéressé, ne pouvaient correspondre à sa situation individuelle et que ce dernier n’avait pas démontré « avoir subi lui-même les conséquences du caractère exceptionnel de l’encellulement individuel qu’il relève dans ce rapport ».
L’intéressé s’est alors pourvu en cassation, critiquant l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux le 24 juin 2021, « alors que, saisie de la description précise et actuelle de ses conditions de détention, rendue crédible par le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la chambre de l’instruction ne pouvait faire peser sur » lui « le fardeau de la charge de la preuve ». Le requérant reproche ainsi aux magistrats d’avoir exigé de lui qu’il démontre le caractère indigne de sa détention allégué.
Dans l’arrêt de cassation rendu le 20 octobre dernier, la chambre criminelle motive avec grande précision sa décision en deux temps distincts.
■ Tout d’abord, s’agissant de la « recevabilité du grief », de manière très didactique, la Cour rappelant son rôle prépondérant pour pallier ce qui était jusqu’alors un vide juridique au regard des recommandations générales de la Cour européenne, revient sur le contexte préexistant à la création du recours préventif et effectif : « tirant les conséquences de l’arrêt J. M. B. et autres rendu le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation, en application des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (…) a ouvert à une personne détenue la faculté d’invoquer le caractère inhumain ou dégradant de ses conditions de détention à l’occasion du contentieux de la détention provisoire (Crim. 8 juill. 2020, no 20-81.739) ». Et de poursuivre qu’à la suite de « la décision du Conseil constitutionnel no 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020 » - qui avait été saisi par la Chambre criminelle -, le législateur (…) a entendu instituer un recours autonome et exclusif », inséré à l’article 803-8 du Code de procédure pénale.
Par conséquent, en présence d’un tel recours « autonome et exclusif », la Cour de cassation en déduit l’incompatible coexistence avec la faculté à laquelle elle fait référence dans l’arrêt commenté et qu’elle avait ouverte « de manière générale en raison de la carence de la loi », une faculté qui n’a donc plus lieu d’être.
Pour autant, la Cour précise très clairement ne pas exclure être amenée à contrôler l’effectivité du nouveau recours préventif et effectif devant le juge judiciaire, dans le cadre d’un contrôle de conventionnalité.
La Cour explique enfin la portée de sa propre jurisprudence et son articulation avec ce nouveau recours : « les moyens régulièrement soulevés avant le 1er octobre 2021 devant la chambre de l’instruction saisie dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, doivent continuer à être examinés au regard des principes dégagés le 8 juillet 2020, sauf à méconnaitre l’effectivité du droit à un recours dans les affaires considérées » comme c’est le cas avec l’arrêt commenté, ce qui sous-entend, que pour les demandes présentées à compter du 1er octobre 2021, les personnes détenues concernées doivent présenter un recours dans les conditions prévues par la loi du 8 avril 2021.
■ S’agissant ensuite du « bien fondé au grief », la Cour retient, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale relatif à l’indispensable motivation de tout arrêt rendu par la chambre de l’instruction, que le requérant avait décrit à la juridiction ses conditions de détention et avait ainsi évoqué, à titre d’exemples, un « espace personnel réduit », dans « une cellule partagée avec d’autres détenus » ou encore « la présence de cafards et de punaises de lit ».
Eu égard à cette description prodiguée par le détenu, la Cour de cassation reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir justifié sa décision. Elle a ainsi manqué d’apprécier le « caractère précis, crédible et actuel » des conditions de détention, de s’être arrêtée à l’antériorité du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté par rapport à l’incarcération du détenu et, comme le soulevait le requérant dans son pourvoi, d’avoir exigé de lui « qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention ».
Par conséquent, la Cour casse l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, laissant à la chambre de l'instruction de renvoi, autrement composée, se prononcer conformément aux principes dégagés par l'arrêt du 8 juillet 2020.
Ce raisonnement apparaît tout à fait cohérent au regard de la jurisprudence dégagée par la chambre criminelle depuis l’arrêt précédemment cité en matière de conditions de détention provisoire, faisant du juge judiciaire le contrôleur de la dignité en détention.
Selon cette jurisprudence, applicable aux faits de l’arrêt du 20 octobre 2021, il appartient au juge judiciaire de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par un détenu sous réserve que celles-ci soient crédibles, précises, actuelles et personnelles et d’ordonner le cas échéant la mise en liberté de la personne.
L’arrêt du 20 octobre exprime à propos la rigueur attendue par la chambre criminelle dans la justification de la prolongation d’une telle mesure, certes provisoire mais attentatoire à la présomption d’innocence et à la liberté de manière plus générale. Si le détenu se prévaut du caractère indigne de ses conditions de détention et produit ce qui pourrait être considéré comme un commencement de preuve, le juge judiciaire, garant de la liberté individuelle, doit ensuite procéder à un véritable travail de vérification supplémentaire pour établir la réalité ou la fausseté de l’atteinte à la dignité de l’intéressé et ainsi ne pas faire peser sur celui-ci la charge de la preuve.
Références
■ Crim. 8 juill. 2020, no 20-81.739 P : DAE 16 juill. 2020, note Sabrina Lavric ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774, note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 517, obs. D. Zerouki-Cottin ; RTD civ. 2021. 83, obs. P. Deumier
■ Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC : AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158, note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs., note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 475, obs. A. Botton ; RTD civ. 2021. 88, obs. P. Deumier
■ CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c/ France, n° 9671/15 et 31 autres : DAE 24 avr. 2020, note C. Laurent ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064, note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs., note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré
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