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Introduction au droit
L’interprétation de la règle de droit : les auteurs de l’interprétation (épisode 1)
Si la mise en œuvre du droit objectif suppose, tout d’abord, d’identifier et de déterminer la règle de droit applicable à une situation, celle-ci nécessite, ensuite, de savoir comment l’interpréter.
Le besoin d’interprétation n’est toutefois pas systématique : en effet, le sens d’une règle juridique peut être clair, limpide. Cela étant, même dans le cas où sa signification est univoque et ne prête pas, a priori, à interprétation, son application à un cas précis peut ne pas aller de soi.
Prenons l’exemple de l’article 221-6 du Code pénal : « Le fait de causer (…) la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement (...) ». À première vue, le sens de cette règle est parfaitement clair. Mais si l’on prête davantage attention au vocable utilisé dans cet article, les choses se compliquent d’emblée. Ainsi, que doit-on exactement entendre par « involontaire » ? L’absence d’intentionnalité dans l’acte commis ? L’absence de discernement de son auteur ? Son incapacité juridique ? Et que dire d’« autrui » ? Si le terme vise a priori, sans trop de difficultés, la personne physique, le problème de savoir si l’embryon décédé dans le ventre de sa mère entrait dans le champ de la répression de ce texte s’est posé en jurisprudence.
On pourrait ainsi multiplier les exemples illustrant la nécessité d’interpréter le sens exact de la règle de droit, ne serait-ce que parce que la question même de son interprétation est marquée par la pluralité, la diversité, la multiplicité. En effet, si l’interprétation poursuit un but unique - préciser le sens de la règle de droit -, ses auteurs (épisode 1), ses causes (V. épisode 2) comme ses techniques (V. épisode 3) sont pluriels.
L’interprétation de la règle : une pluralité d’interprètes
Si les auteurs de l’interprétation sont multiples, tous ne sont pourtant pas officiellement habilités à y procéder. En effet, si en soi, tout le monde est susceptible de donner son interprétation d’une règle de droit donnée (à commencer par le justiciable qui y est soumis), tout le monde n’a pas le pouvoir de l’imposer : seuls l’auteur de la règle et les autorités chargées de son application le détiennent.
■ L’interprétation de la règle par son auteur
L’auteur de la règle est l’interprète naturel et le plus légitime de celle-ci. Il est en effet le mieux placé pour clarifier le sens d’une règle qu’il a préalablement posée. En pratique pourtant, l’interprétation de la règle de droit par son auteur est relativement rare. Ainsi, l’interprétation de la loi par le législateur est peu fréquente. Elle intervient essentiellement par voie de lois interprétatives, par lesquelles le législateur précise le sens à donner à une précédente loi qu’il a adoptée.
Bien plus généralement, l’interprétation de la règle est donnée par les autorités chargées de sa mise en application.
■ L’interprétation de la règle par les autorités chargées de son application
Si l’interprétation de la règle devrait être réservée à son auteur, une telle exclusivité est en vérité difficilement applicable, comme le révèle le constat d’une délégation, par le créateur de la règle, de son pouvoir d’interprétation aux autorités, administrative et judiciaire chargées de son application.
· L’interprétation par les autorités administratives
L’interprétation de la règle provient tant des autorités administratives classiques que des autorités administratives indépendantes.
*L’interprétation par les autorités administratives classiques
Dans certains cas, l’Administration adopte une interprétation d’une loi qu’elle est chargée d’appliquer, et cette interprétation va faire autorité. Différents textes interprétatifs susceptibles d’être pris par l’administration peuvent être recensés.
° Les circulaires tout d’abord. Ce sont des textes par lesquels les ministres communiquent aux fonctionnaires rattachés à leurs ministères des guides d’interprétation des lois. Parmi les différentes circulaires, certaines sont dites « impératives » et ainsi, susceptibles de faire grief. De surcroît, pour le juge administratif, les circulaires impératives, sous réserve de leur légalité, s’imposent à ses destinataires, mais aussi au particulier et au juge (contra, la position du juge judiciaire, Civ. 3e, 26 mai 1992, n° 90-18.391).
° À côté des circulaires, le pouvoir d’interprétation de l’administration s’exprime par des réponses ministérielles qui sont, elles, indiscutablement dépourvues de force obligatoire. Celles-ci visent à répondre aux questions écrites posées par des parlementaires au sujet de l’interprétation d’une loi donnée sur un point précis.
° Enfin, les rescrits sont des actes d’interprétation par lesquels l’administration indique au particulier l’ayant sollicitée comment appliquer la loi à son cas particulier (notamment en matière fiscale, sociale ; v. LPF, art. L. 80-B). Contrairement aux réponses ministérielles, le rescrit lie l’administration.
*L’interprétation par les autorités administratives indépendantes
Les autorités administratives indépendantes ont la particularité d’être des organismes administratifs indépendants du Gouvernement… Elles agissent librement, mais au nom de l’État. Elles se présentent comme des autorités de régulation, intervenant principalement en matière économique et financière. Parmi les plus célèbres, on peut citer l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de la concurrence, ou encore la Commission des clauses abusives.
Ces autorités disposent de pouvoirs multiples, dont un pouvoir majeur d’interprétation. Il se traduit par des actes divers : avis, recommandations, communications, lignes directrices. Tous ont en commun de proposer une interprétation de la règle de droit applicable qui, quoique dénuée de force obligatoire, est en fait suivie par leurs destinataires comme par le juge.
Parmi les organes habilités à interpréter la règle, si les autorités administratives occupent une place de taille, l’autorité judiciaire les supplante.
· L’interprétation par l’autorité judiciaire
Le juge apparaît comme l’interprète principal de la règle dans la mesure où il détient le pouvoir d’imposer son interprétation de la règle en tranchant le litige conformément à celle-ci.
Conféré par l’article 4 du Code civil qui prohibe le déni de justice, ce pouvoir judiciaire d’interprétation participe du pouvoir créateur de la jurisprudence (v. les points sur le pouvoir normatif de la jurisprudence, DAE 21 sept. 2021 et 22 sept. 2021). C’est la raison pour laquelle la loi du 16-24 août 1790, marquant l’hostilité révolutionnaire au pouvoir normatif de la jurisprudence, avait privé le juge de tout pouvoir d’interprétation en instituant le référé législatif. Cette technique conduisait à imposer au juge de s’adresser au législateur chaque fois qu’un texte de loi appelait une interprétation.
Aujourd’hui, l’interprétation de la loi par le juge n’est plus discutée dans la mesure où le Code civil, par la prohibition du déni de justice, a clairement interdit au juge de refuser de juger en cas d’obscurité ou d’insuffisance de la loi, et même en l’absence de lois. Cela étant, l’interprétation de la loi ne relève pas de l’appréciation souveraine des juges du fond. Elle s’exerce sous le contrôle de la Cour de cassation.
L’interprétation de la loi appartient également, mais dans une moindre mesure, au Conseil constitutionnel. En effet, le juge constitutionnel émet des « réserves d’interprétation », par lesquelles il déclare une loi conforme à la Constitution sous réserve de l’interpréter dans un sens, qu’il définit, conforme à la Constitution.
Enfin, dans l’ordre juridique externe, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se présentent comme les interprètes exclusifs du droit qu’elles ont en charge d’appliquer, respectivement le droit de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme.
Le juge est donc le principal détenteur du pouvoir d’interpréter, à côté des autorités administratives et de l’auteur même de la règle. Mais peut-il exercer ce pouvoir en toutes circonstances ? Autrement dit, tout texte a-t-il besoin d’être interprété ? On pourrait répondre à cette question par l’affirmative, en considérant que tout texte invite à être interprété, et qu’estimer un texte clair est déjà un acte d’interprétation. Cette approche, certes défendable, n’est toutefois pas souhaitable en ce qu’elle conduit à autoriser l’interprétation de toute règle, même claire, au risque d’en trahir le sens. C’est la raison pour laquelle il est apparu nécessaire d’identifier les causes légitimes de l’interprétation de la règle. Or, comme ses auteurs, les causes de l’interprétation sont plurielles. Suite au prochain épisode ….
Références
■ Pour aller plus loin, V. Dalloz coaching, L’interprétation de la règle de droit
■ Civ. 3e, 26 mai 1992, n° 90-18.391 P : AJDI 1993. 435 ; RDI 1992. 356, obs. G. Leguay et P. Dubois ; ibid. 522, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
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