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Droit international privé
L’ordre public international français au soutien du droit fondamental de l’enfant de voir établir sa filiation paternelle
Dans un arrêt rendu le 30 avril 2025, la Cour de cassation affirme la primauté de la loi française sur la loi étrangère qui soumet l’action en recherche de paternité intentée par la mère de l’enfant à un délai de forclusion de deux ans après la naissance, privant ainsi l’enfant de son droit fondamental à voir établir sa filiation paternelle.
Civ.1re, 30 avr. 2025, n° 22-24.549
Le 15 mai 2019, une ressortissante camerounaise avait assigné le prétendu père de son enfant mineur, né en France le 13 avril 2014, en recherche de paternité. Or sa loi personnelle prescrivait le respect d’un délai de forclusion de deux ans après l’accouchement pour exercer cette action. En première instance, le tribunal a néanmoins jugé son action recevable et dans cette perspective, ordonné une expertise biologique. Sur appel interjeté par le père prétendu, la juridiction du second degré a, pour confirmer le jugement rendu, écarté la fin de non-recevoir tirée de l’application de la loi camerounaise, loi personnelle de la mère, et appliqué au litige la loi française par exception tirée de l’ordre public international français. Après avoir rappelé que la loi étrangère normalement applicable prévoit qu'à peine de forclusion, l'action en recherche de paternité doit être intentée par la mère dans un délai de deux ans à compter de l’accouchement, ce qui rendrait celle engagée irrecevable, les juges du fond ont estimé que, si cette loi ne prohibe pas de manière générale l'établissement du lien de filiation entre le père prétendu et l'enfant, l’application de celle-ci, compte tenu de ses dispositions « considérablement plus restrictives que celles de la loi française », aboutirait à priver un enfant mineur, né en France et y demeurant habituellement, de son droit d'établir sa filiation paternelle. Par contraste, il est vrai que l'enfant dispose en droit français d'une action en recherche de paternité ouverte jusqu'à ses 28 ans révolus. Plus restrictive, la loi camerounaise fut donc jugée contraire à l'ordre public international français et dès lors écartée par les juges du fond. Devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir inféré la contrariété à l’ordre public international français de ce que la loi camerounaise n’apporte pas les mêmes droits et garanties aux enfants que la loi française, alors que la cour avait elle-même constaté que cette loi n’interdit pas en soi l’établissement du lien de filiation mais l’encadre simplement dans des délais plus stricts. Selon le demandeur, cette absence d’équivalence ne suffirait pas à établir l’atteinte à l’ordre public français, qui ne pourrait être caractérisée qu’en cas de refus par la loi étrangère de reconnaître à l’enfant né hors mariage le droit d’établir sa filiation paternelle. En ce sens, le demandeur reprochait également à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de l’ouverture de l’action à l’enfant majeur, dans un délai préfix d’un an à compter de sa majorité. Le moyen posait ainsi la question de la loi applicable à une action en recherche de paternité d’un enfant né hors mariage et de la conformité à l’ordre public international français d’une loi étrangère qui enferme son exercice par la mère de l’enfant dans un bref délai de forclusion. La Cour de cassation confirme la contrariété de la loi camerounaise à l’ordre public international français pour justifier son éviction. Elle rappelle qu’il résulte des articles 3 et 311-14 du Code civil que si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement de la filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation, peu important que l'action soit ouverte à l'enfant après sa majorité. Tel est le cas de l’espèce de la loi nationale de la mère, qui enferme son action en recherche de paternité dans un délai de forclusion de deux ans après l’accouchement, ce qui rend l’action engagée au-delà de ce délai irrecevable et prive en conséquence l’enfant mineur de son droit de voir sa filiation paternelle judiciairement établie. La cour d'appel en a exactement déduit que cette loi étrangère devait être écartée comme contraire à l'ordre public international français et qu'il convenait d'appliquer la loi française, plus protectrice des droits de l’enfant.
La solution confirme la règle selon laquelle la loi étrangère doit être écartée, au nom du droit fondamental de l’enfant d’établir sa filiation, lorsque celle-ci s’oppose à l’établissement de la filiation naturelle d’un enfant mineur (v. not. Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-20.948 : « Il résulte des articles 3 et 311-14 du Code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation » ; comp. ant., Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-11.568, conditionnant l’éviction de la loi étrangère à la seule privation du droit de l’enfant à obtenir des aliments). Elle la renforce considérablement en affirmant, au même motif pris de la protection des droits fondamentaux de l’enfant en matière de filiation, que la loi étrangère doit être pareillement écartée lorsqu’elle réduit à l’excès les possibilités d’établir cette filiation par des délais pour agir exagérément stricts ou inflexibles, étant précisé qu’en droit français, la mère peut agir pendant toute la minorité de l’enfant et que ce dernier le peut également jusqu’à l’âge de vingt-huit ans (C. civ., art. 321).
En cette matière, les juges doivent adopter une approche concrète, fondée sur le principe de proportionnalité, des effets qu’aurait l’application de la loi étrangère en matière de filiation en général et des délais pour agir en particulier (v. not. Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-19.853). Dans cette perspective, il convient de déterminer si la nature du délai de prescription ou de forclusion dont il s’agit et/ou la manière dont il est appliqué respecte le droit fondamental du mineur de voir établir sa filiation, avec lequel les règles de délai doivent se concilier (Sur l’intégration des droits fondamentaux à l’ordre public français en matière internationale, v. Civ.1re, 14 nov. 2024, n° 23-50.016). Ici transposée à l’examen, sous le prisme de l’ordre public international français, d’une loi étrangère établissant un bref délai de forclusion de l’action en recherche de paternité, cette approche concrète du résultat auquel conduit l’application de la règle étrangère justifie d’écarter la loi camerounaise qui, in abstracto, n’est pas contraire à l’ordre public français en matière internationale (respect de l’égalité des filiations par l’absence de prohibition de principe d’établir la filiation paternelle naturelle de l’enfant) mais qui, in concreto, porte une atteinte disproportionnée au droit de l’enfant d’établir sa filiation paternelle, d’une part en ce qu’elle limite à deux ans la possibilité pour la mère d’agir en recherche de paternité pendant la minorité de l’enfant, d’autre part parce qu’elle rend impossible à l’enfant mineur, qui doit attendre sa majorité, d’agir en recherche de paternité : la combinaison de ces délais excessivement stricts pour agir qui aboutirait, concrètement, à priver un enfant mineur, pourtant né et élevé en France, de son droit d’établir sa filiation paternelle caractérise une atteinte à l’ordre public international français qui justifie l’éviction de la loi étrangère.
À travers la mise en œuvre de l’exception d’ordre public en matière internationale, le contrôle de proportionnalité in concreto est ainsi étendu de l’application de la loi nationale à la loi étrangère.
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