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Droit du travail - relations individuelles
Neutralité dans l’entreprise : Cour de cassation et CJUE à l’unisson
Mots-clefs : Liberté religieuse, Foulard islamique, Discrimination, Règlement intérieur d’entreprise, Licenciement
L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
Par cet arrêt du 22 novembre 2017, la Cour de cassation reprend les solutions jurisprudentielles dégagées par la CJUE en matière de port du voile au travail dans ses arrêts du 14 mars dernier.
Saisie d’une question préjudicielle, la CJUE avait ainsi dit pour droit dans la présente affaire que l’interdiction de porter le voile, dans la mesure où elle vise un signe religieux en particulier, constitue une discrimination directe qui ne peut être justifiée qu’en présence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante (CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, n° C-188/15). Elle avait ajouté que les seuls souhaits de la clientèle ne pouvaient constituer pareille exigence. En l’espèce, la Cour de cassation constate, comme la CJUE l’a invitée à le faire, que l’ordre fait à une salariée de retirer son foulard islamique ne s’appuyait sur aucune clause générale du règlement intérieur. Il s’agissait pour une entreprise de conseil, de faire droit à la demande d’un client ne souhaitant plus que la salariée ingénieur en question effectue sa prestation ainsi revêtue. « Pas de voile la prochaine fois » avait enjoint le client. La qualification juridique de « discrimination directe » s’impose donc. Les fonctions d’ingénieur conseil n’étant en rien incompatibles avec le port d’un foulard, et les souhaits d’un client ne pouvant valoir « exigence professionnelle essentielle et déterminante », c’est à tort que la Cour d’appel avait retenu que le licenciement procédait d’une cause réelle et sérieuse.
L’intérêt de l’arrêt du 22 novembre ne s’arrête cependant pas à cette première solution. La Cour de cassation entend préciser, dans un attendu qui a tout d’un obiter dictum, dans quelles conditions le port du voile peut être valablement prohibé dans une entreprise hors service public. Elle s’appuie alors sur un second arrêt de la CJUE, rendu également le 14 mars dernier dans une affaire belge, par lequel la Cour de Strasbourg affirme que la clause d’un règlement intérieur visant tout port de signe distinctif quel qu’il soit – religieux, politique, philosophique ou autre – ne peut constituer qu’une discrimination indirecte sur la religion (CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, n° C-157/15). Cette qualification de discrimination indirecte est importante car l’employeur peut justifier sa mesure en s’appuyant sur tout objectif légitime. Il n’est plus obligé, comme en matière de discrimination directe, d’invoquer une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Or, la CJUE ajoute que la liberté d’entreprise, consacrée notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, rend légitime la poursuite d’une politique de neutralité de l’entreprise vis-à-vis de ses clients. L’interdiction du port de tout signe distinctif peut ainsi se trouver justifiée.
La Cour de cassation énonce alors que « l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ». On peut remarquer qu’à la différence de la CJUE, la Cour de cassation ne fait pas référence à la liberté d’entreprise. Elle préfère s’en remettre à cette idée selon laquelle l’employeur serait investi d’une mission de faire respecter les libertés et droits fondamentaux. La formule peut paraître curieuse : la première tâche de l’employeur n’est-elle pas plutôt de respecter lui-même les droits et libertés des salariés ?
La Cour de cassation énonce encore « qu’en présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ».
Les magistrats français font donc leur cette exigence exprimée par la CJUE de recherche d’une solution alternative au licenciement. Cette logique de compromis, ou d’accommodement, ne va toutefois pas sans mal avec le droit français. Elle paraît en effet présupposer que le comportement du salarié n’est pas fautif. Or, à partir du moment où l’interdiction se trouve inscrite dans le règlement intérieur, qu’elle figure au nombre des règles de discipline dans l’entreprise, tout comportement contraire devrait constituer une faute justifiant une sanction. Et si l’arrêt ne le précise pas, on voit mal comment le licenciement du salarié pourrait ne pas être un licenciement pour faute…Si la Cour prend soin de relever que cette recherche d’alternative doit tenir compte des « contraintes inhérentes à l’entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire », on peut assurément voir ici la source d’un futur contentieux.
Soc. 22 nov. 2017, n° 13-19.855
Références
■ CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, n° C-188/15 et CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, n° C-157/15 : Dalloz Actu Étudiant, 28 mars 2017 ; ibid. 21 mars 2017.
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