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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Occupation illégale : priorité à la propriété
L'expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l'ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l'occupant, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété.
La commune d’Aix-en Provence, propriétaire de parcelles en bordure d’autoroute sur lesquelles était installé un campement de « gens du voyage », avait assigné en référé ses occupants pour obtenir leur expulsion. L'occupation sans droit ni titre d'un immeuble appartenant à autrui constitue, en effet, en elle-même, un trouble manifestement illicite déterminant la compétence du juge des référés (Civ. 1re, 24 févr. 1987, n° 85-13. 682 ; Civ. 2e, 7 juin 2007, n° 07-10.601). Après que l’expulsion fut ordonnée, l’affaire devait être renvoyée au fond.
Or la cour d’appel, pour refuser d’ordonner l’expulsion, retint que si les personnes dont l’expulsion était demandée occupaient sans droit ni titre depuis plusieurs années une partie du terrain appartenant à la commune et qu’ainsi, un trouble manifestement illicite était avéré du fait de cette occupation irrégulière des lieux, il ressortait cependant des pièces versées aux débats qu’une telle expulsion était de nature à compromettre l’accès aux droits, notamment en matière de prise en charge scolaire, d’emploi et d’insertion sociale, de familles ayant établi leur domicile, même précaire, sur les terrains litigieux, en l’absence de toute proposition de mesures alternatives d’hébergement de la part des pouvoirs publics, de sorte que la mesure demandée apparaissait disproportionnée au regard des droits au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, à la protection de leur domicile et à la préservation des intérêts de leurs enfants.
Le pourvoi formé par la commune contre cette décision visait naturellement à contester l’issue du contrôle de proportionnalité exercé par les juges d’appel entre le droit de propriété et le droit au respect de son domicile, dont l’égale valeur normative impliquait qu’ils soient, dans cette espèce comme dans toutes celles les plaçant en concurrence, concrètement mis en balance. Ainsi, la Haute cour se devait donc d’apprécier en l’espèce la légitimité, malgré l’absolutisme attaché au droit de propriété, du maintien des occupants dans les lieux, en tenant compte tout à la fois de la durée de leur occupation des lieux, de l’inaction des autorités publiques et du caractère familial du campement.
La Cour de cassation condamne sans surprise la décision des juges du fond, confirmant la prévalence qu’elle entend conférer au droit de propriété sur le droit au respect du domicile (Civ. 3e, 4 juill. 2019, n° 18-17.119 ; Civ. 3e, 17 mai 2018, n° 16-15.792 ; Civ. 3e, 3 déc. 2015, n° 13-22.503) : si elle concède que « la mesure d’expulsion d’un occupant sans droit ni titre caractérise une ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant, droit fondamental protégé par l’article 8 » de la Convention européenne des droits de l’homme, elle juge que l’ingérence en l’espèce constatée légitimement fondée sur le droit de propriété, tout aussi fondamental, de la demanderesse au pourvoi. A l’appui de sa motivation, elle prend soin de rappeler l’arsenal de protection du droit de propriété, à la fois garanti par l’article 544 du Code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens de la manière la plus absolue, et par l’article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. Aussi bien, la protection du droit de la personne publique propriétaire du terrain au respect de son bien s’appuyait, au plan supranational, sur l’article 17 de la Déclaration de 1789, ainsi que sur l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour en conclut que l’expulsion était « la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, en sorte que l’ingérence qui en résultait dans le droit au respect du domicile de l’occupant n’était pas disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée à son droit de propriété ».
Pourtant, l’appartenance à la catégorie des droits fondamentaux du respect dû au domicile, qui recouvre le droit d’être protégé contre les violations ou les atteintes susceptibles d’être portées au lieu où la personne a « son principal établissement » (C. civ., art. 102, al. 1er) et, plus largement, son lieu de vie, professionnel ou privé, qu’elle y habite effectivement ou non, et quelle qu’en soit la configuration (une cabane, un véhicule, etc. ; V. Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.095 et Com. EDH, 30 mai 1974, X. c/ Belgique, n° 5488-72), ne peut être contestée. En témoigne sa consécration par plusieurs conventions internationales. L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme ainsi que « toute personne a droit à la protection de la loi contre les immixtions arbitraires dans sa vie privée, (…), son domicile, (…) ». Aussi ce droit est-il consacré dans des termes quasiment identiques par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966. Enfin, comme le rappelle ici la Cour, dans l’ordre européen, la Convention européenne des droits de l’homme prévoit dans son article 8 que « toute personne a droit au respect de (…) de son domicile (…) ». Le respect dû au domicile de toute personne a, de surcroît, une valeur constitutionnelle (Cons. const. 29 déc. 1983, « Perquisitions fiscales », n° 83-164 DC). La protection du domicile est ainsi, depuis longtemps, érigée au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».
Le droit au respect de son domicile constituant une déclinaison du droit fondamental à celui de sa vie privée, toute ingérence susceptible d’y être portée doit alors être proportionnée et justifiée par un but légitime, comme l’est incontestablement la protection du droit de propriété. Or comme l’affirment les juges dans la décision rapportée, faute d’alternative aux mesures d’expulsion pour garantir au propriétaire le retour à la pleine jouissance de son bien, le droit de propriété devait l’emporter et l’expulsion des occupants, ordonnée. Le « caractère absolu » consubstantiel au droit de propriété oblige à considérer que « toute occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d'obtenir en référé l'expulsion des occupants » (Civ. 3e, 4 juill. 2019, préc.).
Quoique largement consacré et promu, le droit au respect du domicile connaît donc, en fait, une protection relative, voire ineffective, lorsqu’il est mis en concurrence avec le droit de propriété dont la personne, privée comme publique, conteste l’atteinte que le premier porte au second. On peut alors regretter que, sans doute à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne (CEDH 21 janv. 2010, R. P. c/ France, n° 10271/02 ; CEDH 21 janv. 2010, Barret et Sirjean c/ France, n° 13829/03, CEDH 21 janv. 2010, Fernandez et a. c/ France, n° 28440/05), la suprématie depuis lors conférée par la Haute cour au droit de propriété, qui en devient presque sacralisé, conduit à rendre presque factice l’exercice du contrôle de proportionnalité dont l’issue est par essence aléatoire, en raison de la méthode, concrète et circonstancielle, sur laquelle il repose. Au contraire, cette jurisprudence désormais constante érige en règle la suprématie du droit de propriété sur le droit au respect du domicile dès lors que la gravité, inhérente à sa supériorité, de l’atteinte qui y sera portée par une occupation illégale établit d’elle-même l’absence de disproportion de la mesure d’expulsion ordonnée en conséquence. On peut enfin déplorer que la Cour sacrifie souvent les intérêts concurrents d’occupants qui se trouvent dans un état de fragilité que renforce leur situation de précarité (V. pour une personne âgée, Civ. 3e, 17 mai 2018, préc.), de même que la solution ici rapportée, rendue au mépris de l’intérêt des enfants expulsés.
Civ. 3e, 28 nov. 2019, n° 17-22.810
Références
■ Civ. 1re, 24 févr. 1987, n° 85-13. 682 P
■ Civ. 2e, 7 juin 2007, n° 07-10.601 P : D. 2007. 1883 ; AJDI 2007. 766
■ Civ. 3e, 4 juill. 2019, n° 18-17.119 P : D. 2019. 2163, note R. Boffa ; ibid. 2199, chron. L. Jariel, A.-L. Collomp et V. Georget
■ Civ. 3e, 17 mai 2018, n° 16-15.792 P : Dalloz Actu Étudiant, 22 juin 2018 ; D. 2018. 1071 ; ibid. 1772, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2019. 73, obs. F. Cohet ; RDI 2018. 446, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2018. 708, obs. W. Dross
■ Civ. 3e, 3 déc. 2015, n° 13-22.503 P : D. 2015. 2559 ; AJDI 2016. 532, obs. N. Le Rudulier
■ Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.095 P : AJDA 2015. 2467 ; D. 2016. 72 ; ibid. 1028, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; AJDI 2016. 667, chron. F. Zitouni ; RDI 2016. 100, obs. P. Soler-Couteaux ; AJCT 2016. 283, obs. E. Péchillon ; RTD civ. 2016. 398, obs. W. Dross ; ibid. 449, obs. N. Cayrol
■ Com. EDH, 30 mai 1974, X. c/ Belgique, n° 5488-72
■ Cons. const. 29 déc. 1983, « Perquisitions fiscales », n° 83-164 DC : GDCC, Dalloz, 12e éd., n° 34, p. 563.
■ CEDH 21 janv. 2010, R. P. c/ France, n° 10271/02 ; Barret et Sirjean c/ France, n° 13829/03 ; Fernandez et a. c/ France, n° 28440/05 : Dalloz Actu Étudiant, 4 févr. 2010
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Déclaration de 1789
Article 17 « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
■ Protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme
Article 1er « Protection de la propriété. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
■ Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948
Article 12 « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
■ Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Article 17 « 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
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