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Libertés fondamentales - droits de l'homme
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
Pour un couple, le « projet parental » s’interrompt quand l’un des membres du couple décède. L’interdiction de la PMA post mortem par la loi française se situe dans la marge d’appréciation dont chaque État dispose pour l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH).
CE 28 novembre 2024, n° 497323 A
Une femme dont le mari est décédé souhaitait poursuivre son parcours de procréation médicalement assistée et notamment que soient implantés les embryons conservés. Elle demandait également que soit autorisé la sortie du territoire des embryons de son couple vers l'Espagne.
De l’infertilité du couple au projet parental
La loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 a redéfini la notion d’AMP. Si avant l’entrée en vigueur de la loi, l’AMP avait pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité, elle est désormais destinée à répondre à un projet parental. Quand ce projet parental est celui d'un couple, les deux membres du couple doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. Si l’un des membres du couple décède, le projet parental disparaît et il ne peut être procédé à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons conçus in vitro dans le cadre et selon les objectifs d'une AMP dont l’objet était de répondre à ce projet parental (V. CSP, art. L. 2141-2).
L’apport de la décision du 28 novembre 2024 se situe dans l’appréciation par le Conseil d’État de la compatibilité de l’interdiction par la loi française de la PMA post mortem avec la Conv. EDH . Ainsi, prenant en compte la décision de la CEDH du 14 septembre 2023 (Barret et Caballero c/ France, n° 22296/20 et 37138/20, requêtes dirigées contre l’État français avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021) selon laquelle, refus opposé aux requérantes de procéder à un transfert vers l’Espagne de gamètes et d’embryons en vue d’une AMP post mortem ne viole pas l’article 8 de la Conv. EDH garantissant le respect de la vie privée, le Conseil d’État précise sans ambiguïté que l’interdiction par le législateur français pour la veuve désirant poursuivre un projet parental commencé avec son conjoint constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Conv. EDH. Toutefois, cette interdiction relève de la marge d’appréciation dont chaque État dispose pour l’application de la Conv. EDH.
Ainsi, le projet parental d’un couple nécessite l’accord des deux membres pour poursuivre une AMP, le décès d’un membre destiné à devenir parent de l’enfant interrompt le projet.
Le Conseil d’État rappelle que cette situation est différente de celle d'une femme non mariée qui a conçu seule, dès l'origine, un projet parental à l'issue duquel l'enfant n'aura qu'une filiation maternelle.
Il précise également que les dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique issues de la loi bioéthique de 2021 sont expresses et précises et ont été adoptées à l'issue de débats parlementaires approfondis et au vu de nombreuses consultations. Ainsi, par exemple, le Conseil d’État, saisi pour avis sur le projet de loi bioéthique (18 juill. 2019), avait estimé qu’il serait paradoxal de maintenir l’interdiction de la PMA post mortem alors que le législateur ouvrait l’AMP aux femmes non mariées. Ainsi, une femme dont l’époux est décédé doit renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle est autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur. Mais son avis n’a pas été suivi par le législateur. De même, le Conseil consultatif national d’éthique est favorable depuis longtemps à l'implantation d'embryons après un décès, car le projet parental est déjà engagé (10 févr. 2011, avis n° 113). Il existe également de nombreux arguments contraires. En effet, par exemple, permettre l’AMP post mortem reviendrait à organiser juridiquement la naissance d’un enfant orphelin de père, d’un enfant né d’un mort. Cette pratique pourrait également être attentatoire aux droits de l’enfant.
Déplacements d'embryons à l’étranger
La sortie du territoire d'un embryon étant exclusivement destinée à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés, elle ne peut légalement être autorisée par l'Agence de la biomédecine en cas de décès d'un des membres du couple lorsque le projet parental est celui d'un couple (V. CSP, art. L. 2141-9). En l’espèce, la veuve avait demandé l'autorisation de faire sortir du territoire les embryons du couple conservés par le centre hospitalier vers l'Espagne afin de poursuivre le projet parental.
Le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l'article L. 2141-9 du code de la santé publique, qui interdisent la sortie du territoire d'embryons conservés en France s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l'article L. 2141-2 du même code. Elles ne méconnaissent pas davantage, par elles-mêmes, les stipulations de l'article 8 de la Conv. EDH.
La demande de sortie du territoire des embryons du couple vers l'Espagne n'était fondée en l’espèce que sur la possibilité légale d'y poursuivre après la mort du conjoint, le projet parental du couple. La veuve, de nationalité française, n'entretenait aucun lien avec ce pays et ne faisait état d'aucune circonstance particulière à cet égard (V. (CE, ass., 31 mai 2016, n° 396848 ; CE, réf., 24 janv. 2020, n° 437328 ; CE, réf., 17 mai 2023, n° 473666). Sa demande ne pouvait ainsi qu'être regardée comme tendant à faire obstacle à l'application des dispositions de la loi française.
Références
■ CEDH 14 sept. 2023, Baret et Caballero c/ France, n° 22296/20 et 37138/20 : DAE 24 oct. 2023, note Egehan Nalbant ; AJDA 2023. 1631 ; D. 2024. 146, et les obs., note A.-B. Caire ; ibid. 700, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2023. 573, obs. M. Saulier ; ibid. 477, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 841, obs. J.-P. Marguénaud
■ CE, ass., 31 mai 2016, n° 396848 A : DAE, 22 juin 2016, note L. F ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 1092 ; ibid. 1398, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 834, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng.
■ CE, réf., 24 janv. 2020, n° 437328 : DAE 17 févr. 2020, note Christelle de Gaudemont ; D.2021. 657, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2020. 88, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 355, obs. A.-M. Leroyer.
■ CE, réf., 17 mai 2023, n° 473666 : DAE 12 juin 2023, note Merryl Hervieu ;D. 2024. 700, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2023. 302, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 608, obs. A.-M. Leroyer
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