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Introduction au droit
Point sur les sanctions de l’atteinte à l’intégrité morale
Outre les sanctions pénales prévues en cas de fixation, d’enregistrement ou de transmission d’images d’une personne se trouvant dans un lieu privé ou de paroles, prononcées à titre privé ou confidentiel, sans le consentement de celle-ci (C. pén., art. 226-1 s.), des sanctions civiles frappent celui qui porte atteinte à l’intégrité morale de la personne physique ou morale.
L’intégrité morale s’entend, par contraste avec l’intégrité physique ou corporelle, comme la protection attachée aux éléments incorporels de la personnalité : vie privée, image, honneur, innocence… (A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, 4e éd., n° 295). Autant d’éléments de la personnalité qui sont protégés par le droit civil par le biais d’une diversité de sanctions. Parmi ces éléments protégés, la vie privée occupe une place particulière, tant les textes qui en assurent le respect et en prévoient les sanctions sont utilisés pour protéger les autres aspects de la personnalité. En écho à la variété des éléments protégés, la variété des sanctions civiles prévues en cas d’atteinte à l’intégrité morale repose sur la distinction traditionnelle entre sanction pécuniaire et sanction en nature.
Sanction pécuniaire – La sanction conduira à l’allocation de dommages-intérêts, une fois l’atteinte à l’intégrité morale définitivement consommée. Il ne sera pas nécessaire à la victime de prouver une faute ou un dommage car la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ou à l’image de la personne ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil, qui protège le droit au respect de la vie privée et, par extension, le droit à l’image (Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-74.778 ; v. Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13.753). Le droit à réparation est donc fondé dès lors que l’atteinte à l’intégrité morale est constatée, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un préjudice distinct causé par l’auteur de l’atteinte. Ériger le respect de l’intégrité morale en un droit subjectif conduit en effet à détacher la réparation de l’atteinte portée des règles de la responsabilité civile, exigeant la triple démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice (C. civ., art. 1240 ; sur ce point, v. J.-Ch. Saint-Pau, « La distinction des droits de la personnalité et de l’action en responsabilité civile », in Études offertes à H. Groutel, Litec, 2006, p. 405 ; T. Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD civ. 2007. 227). C’est pourquoi par exemple le droit à l’image, dégagé à l’origine par la jurisprudence sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil relatif à la responsabilité civile, est désormais fondé sur l’article 9 du même Code, alors même que le texte ne contient pas le terme, le juge manifestant ainsi sa volonté de conférer à l’action en réparation des atteintes portées à l’intégrité morale une spécificité qui la distingue de l’action en responsabilité civile traditionnelle et en facilite le succès, par l’allègement probatoire qui en résulte pour la victime.
À noter que l’autonomie des droits à l’image et au respect de la vie privée, malgré l’identité de leur fondement (art. 9), conduit à une réparation distincte des différents préjudices. Lorsqu’un même fait porte atteinte à la fois au droit à l’image et au droit au respect de la vie privée, par exemple le fait de publier la vidéo d’une personne la représentant dans un lieu privé, chacune de ces atteintes devra être réparée. L’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit de chacun sur son image constituent en effet des sources de préjudice distinctes, ouvrant donc droit à des réparations pécuniaires distinctes (Civ. 1re, 10 mai 2005, n° 02-14.730).
Sanction en nature – L’article 9, alinéa 2, du Code civil dispose que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Indépendamment du préjudice subi, les juges peuvent donc prescrire toute mesure propre à faire cesser l’atteinte actuelle ou potentielle à « l’intimité de la vie privée », dont l’approche serait plus étroite que celle adoptée en matière de vie privée (v. Civ. 1re, 4 oct. 1989, n° 87-19.658, absence d’atteinte à la vie privée en cas de publication de renseignements d’ordre purement patrimonial, exclusifs de toute allusion à la vie et à la personnalité des intéressés ; contra, Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 13-21.929 : la conversation privée d’une personne avec son gestionnaire de fortune porte atteinte à l’intimité de sa vie privée). Le départ entre ces deux notions semble toutefois délicat à opérer.
En cas d’urgence, ces mesures peuvent être ordonnées en référé, ce qui sera généralement le cas dans la mesure où l’atteinte aux droits de la personne caractérise l’urgence au sens de l’article 9, al. 2. (Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-17.521). Ce référé spécifique au droit au respect de la vie privée coexiste avec les référés de droit commun (C. pr. civ., art. 836), qui permettent au président du tribunal judiciaire de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (C. pr. civ., art. 835 ; v. réc., en matière de voisinage, Civ. 3e, 23 janv. 2025 n° 23-19.970), entendu comme une perturbation flagrante, en droit ou en fait, dont l’évidence commande l’intervention du juge des référés (v.« Cessation de l’illicite et pouvoir du juge des référés », Civ. 2e, 12 juill. 2012, n° 11-20.687).
Sur ces deux fondements (art. 9, al. 2, C. civ. ; art. 835 C. pr. civ.), le juge pourra prononcer toute mesure destinée à faire cesser l’atteinte à la vie privée d’une personne ou à la prévenir. C’est précisément dans le but de faire cesser l’atteinte portée à la vie privée des demandeurs que la Cour de cassation a récemment cassé la décision d’une cour d’appel, saisie en référé sur le fondement d’un trouble manifestement illicite, ayant refusé de faire à la demande de retrait d’un matériel de vidéo-surveillance formée par les voisins du propriétaire d’un fonds contigu à un chemin commun au voisinage. Pour rejeter cette demande, la cour d'appel avait retenu que le dispositif de vidéo-surveillance couvrant un chemin commun à tout le voisinage, il n'était pas démontré, à hauteur de référé, l'existence de ce fait d'une atteinte propre à la vie privée des demandeurs justifiant de prescrire le retrait sollicité. Au nom de la cessation de l’illicite et du droit au respect de la vie privée, la Cour de cassation censure sa décision : dans la mesure où elle avait constaté que la caméra installée permettait la captation non autorisée de l'image des usagers du chemin litigieux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont s’inférait l'existence d'un trouble manifestement illicite. Autrement dit, le caractère commun au voisinage du chemin de passage n’évinçait pas le caractère individuel de l’atteinte portée à la vie privée de ses usagers. La cour d’appel aurait donc dû y remédier en ordonnant le retrait de ce dispositif de surveillance attentatoire à la vie privée des demandeurs. L'installation d'une caméra permettant de capter sans leur autorisation l'image de personnes empruntant un chemin situé sur un fonds voisin constitue donc un trouble manifestement illicite auquel le juge doit immédiatement remédier en prescrivant en référé les mesures nécessaires pour le faire cesser et prévenir son renouvellement (Civ. 3e, 10 avr. 2025, n° 23-19.702).
Références :
■ Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-74.778 : D.1997.403, note S. Laulon ; pour le droit à l’image
■ Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13.753 : DAE 25 juin 2021, note Merryl Hervieu ;
■ Civ. 1re, 10 mai 2005, n° 02-14.730 : D. 2005. 1380, obs. J. Daleau ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2005. 572, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 4 oct. 1989, n° 87-19.658
■ Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 13-21.929 : D. 2014. 373 ; Légipresse 2014. 272 et les obs. ; ibid. 305, Étude
■ Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-17.521 : RTD civ. 2001. 329, obs. J. Hauser
■ Civ. 3e, 23 janv. 2025 n° 23-19.970 : D. 2025. 149 ; RTD civ. 2025. 163, obs. N. Cayrol
■ Civ. 2e, 12 juill. 2012, n° 11-20.687 : DAE, 14 sept. 2012, note M.H ;
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