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Droit de la responsabilité civile
Point sur l'indemnisation de la victime par ricochet
À l’instar de la victime directe, la victime indirecte, ou par ricochet, a droit à la réparation intégrale de ses propres préjudices. L’indemnisation de la victime par ricochet est en outre prévue autant en cas de décès qu’en cas de survie de la victime principale, ce dernier cas n’évinçant pas l’hypothèse de préjudices indirects mais significatifs pour les proches.
Une fois la qualité de victime par ricochet établie (I), le demandeur à l’indemnisation peut ainsi obtenir réparation des divers aspects de son dommage réfléchi (II).
I. Détermination de la qualité de la victime par ricochet
A. Solution initiale : exigence d’un lien de droit entre la victime principale et la victime par ricochet
La jurisprudence traditionnelle exigeait l’existence d’un lien de droit entre la victime principale et la victime par ricochet pour que la qualité de victime par ricochet soit reconnue (Req, 2 févr. 1931) : un lien de parenté ou d’alliance, ou encore une obligation alimentaire liant la victime au demandeur, étaient requis pour évincer les tiers avant d’écarter le concubin en exigeant la démonstration « d’un intérêt juridiquement protégé » (Crim. 3 févr. 1937 (3 arrêts) et Civ. 27 juill. 1937).
B. Solution actuelle : indifférence à l’absence d’un lien de droit entre la victime principale et la victime par ricochet
Ces critères n’existent plus (Ch. mixte, 27 févr. 1970, n° 68-10.276, reconnaissant à la concubine de la victime principale le droit à la réparation de son préjudice personnel). Dorénavant, il appartient à la victime par ricochet de démontrer l’existence d’un préjudice personnel, direct, certain, licite et imputable au fait générateur de responsabilité. Autrement dit, la victime indirecte n’a plus à démontrer l’existence d’un lien de droit préalable avec la victime principale, mais uniquement l’existence d’un préjudice par ricochet imputable au fait générateur de responsabilité. Le fait générateur doit donc être la cause certaine et directe des préjudices de la victime indirecte. Pour obtenir réparation, la victime par ricochet devra démontrer l’existence d’un lien d’affection particulier avec la victime directe et établir la stabilité et l’effectivité de leur relation, ancienne (en cas de décès) ou actuelle (en cas de survie). Ce qui ne signifie que la caractérisation d’un seul lien d’affection n’ouvre pas droit à réparation ; encore faut-il établir les caractères durable et stable du lien entre la victime directe et la victime par ricochet, même s’il n’est pas de droit.
II. Détermination du préjudice indemnisable
A. Le préjudice patrimonial
Lorsque la victime principale est décédée, toute personne qui recevait d’elle des subsides peut demander à être indemnisée du préjudice économique causé par ce décès. Par exemple, la mort d’un conjoint prive l’autre membre du couple, et éventuellement leurs enfants communs, des revenus qu’il leur apportait. Cette perte doit être réparée par le responsable. Pour évaluer ce préjudice, les juges prennent en compte le montant des revenus du défunt, la part que ce dernier consacrait à chaque victime par ricochet et la durée prévisible de cet avantage économique. En outre, est indifférente à la décision d’allouer au conjoint ou concubin survivant une indemnisation de son préjudice économique la circonstance que ce dernier ait reconstitué un foyer avec une tierce personne, ceci n’étant pas de nature à dispenser le tiers responsable de réparer entièrement le préjudice qu’il a causé dans la mesure où cette circonstance n’est pas la conséquence nécessaire du fait dommageable (Crim, 29 juin 2010, n° 09-82.462). L’évolution de la vie personnelle de la victime par ricochet postérieurement au décès de la victime initiale ne doit donc pas être prise en considération, dès lors qu’elle n’entretient pas de lien direct avec le fait générateur de responsabilité.
Lorsque la victime principale a survécu, la victime indirecte sera également indemnisée de son préjudice patrimonial. Il correspond en pratique, pour l’essentiel, au préjudice « professionnel » de la victime par ricochet, dont l’indemnisation vise à compenser la perte de revenus consécutive à la diminution ou à la cessation de l’activité professionnelle auxquelles les proches se trouvent obligés pour apporter leur aide et assistance à la victime directe (v. pour les parents de l’enfant né handicapé, Civ. 1re, 15 oct. 2025, n° 24-16.323, qui exclut en revanche l’indemnisation des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap non décelé). Toutefois, la nomenclature Dinthilac prévoit dans ce cas une potentielle diminution de l’indemnisation accordée à la victime par ricochet, lorsqu’une indemnisation est par ailleurs allouée à la victime directe au titre des frais d’assistance par une tierce personne. En application de la règle selon laquelle l’indemnisation doit réparer tout le préjudice mais rien que le préjudice (sans perte ni profit pour la victime), il n’est pas possible d’indemniser deux fois ce même préjudice. Dans cette hypothèse, la nomenclature prévoit donc de déduire les sommes obtenues en réparation des préjudices d’assistance par une tierce personne pour la victime directe des sommes accordées au titre des pertes de revenus de la victime par ricochet.
B. Le préjudice extrapatrimonial
En cas de décès de la victime principale, le préjudice d’affection des proches du défunt est naturellement réparé. Il se fonde sur la douleur morale causée par la perte d’un être cher. Cette indemnisation est admise, en droit civil, depuis le début du xixe siècle. Bien plus récemment, la Cour de cassation a également admis d’indemniser le préjudice moral d’un enfant dont le père est décédé alors que l’enfant n’était pas encore né, lui accordant réparation du préjudice extrapatrimonial constitué par l’absence définitive de père. La décision précise toutefois qu’une telle demande ne peut être formée qu’à la condition que l’enfant soit conçu au décès de son géniteur (Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-26.687 ; conf. dans le cas du décès du grand-père par Civ. 2e, 11 févr. 2021, n° 19-23.525 ; contra, dans le cas d’un enfant non conçu lors de la disparition de la victime principale, Civ. 2e, 11 mars 2021, n° 19-17.384). Concernant le conjoint ou concubin de la victime décédée, le préjudice sexuel, dès lors qu’il peut être rattaché au préjudice d’affection, sera également indemnisé (Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-22.787).
En cas de survie de la victime principale, le préjudice d’affection de ses proches est également indemnisé, mais il vise distinctement à réparer la douleur morale causée par la dégradation de l’état de santé de la victime directe. Sont également réparés, au titre des préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels, les troubles dans les conditions d’existence (Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-11.736), ainsi que le préjudice sexuel éprouvé par ricochet par le conjoint ou concubin de la victime directe (Civ. 1re, 30 juin 2021, préc.).
À noter, enfin, que la récente reconnaissance, par la Cour de cassation, du préjudice spécifique et autonome d’« attente et d’inquiétude » des proches de la victime directe d’un attentat ne dépend pas du décès de celle-ci, mais peut être allouée aux demandeurs même en cas de survie de la victime principale (Ch. mixte, 25 mars 2022, nos 20-17.072 et 20-15.624).
Références :
■ Req., 2 févr. 1931, DP 1931, 1, 38, rapp. Pilon
■ Crim. 3 févr. 1937
■ Civ. 27 juill. 1937, DP 1938.5, note Savatier
■ Ch. mixte, 27 févr. 1970, n° 68-10.276 P
■ Crim, 29 juin 2010, n° 09-82.462 P : D. 2010. 1999.
■ Civ. 1re, 15 oct. 2025, n° 24-16.323 B : D. 2025. 1790.
■ Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-26.687 P : D. 2018. 386, note M. Bacache ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ fam. 2018. 48, obs. M. Saulier ; RDSS 2018. 178, obs. T. Tauran ; RTD civ. 2018. 72, obs. D. Mazeaud ; ibid. 92, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 126, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 11 févr. 2021, n° 19-23.525 P : D. 2021. 349 ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; AJ fam. 2021. 191, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2021. 388, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 415, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 11 mars 2021, n° 19-17.384 P : D. 2021. 574 ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2021. 388, obs. A.-M. Leroyer.
■ Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-22.787 B : DAE, 14 sept. 2021, note M. Hervieu ; D. 2021. 1286 ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2021. 890, obs. P. Jourdain ; ibid. 899, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-11.736 B : DAE, 18 nov. 2024, note M. Hervieu ; D. 2025. 180, note Guillemette Wester ; RDSS 2024. 1091, obs. T. Tauran.
■ Ch. mixte, 25 mars 2022, nos 20-17.072 P et 20-15.624 P : DAE, 13 avr. 2022, note M. Hervieu ; D. 2022. 774, note S. Porchy-Simon ; ibid. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ pénal 2022. 262, note C. Lacroix.
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