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Droit des obligations
Promesse de vente : un formalisme de protection
Un protocole analysé comme une promesse synallagmatique de vente d'une durée de validité supérieure à 18 mois qui ne respecte pas les conditions de forme légales est sanctionné par la nullité relative.
Civ. 3e, 26 nov. 2020, n° 19-14.601
Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 26 novembre 2020, un bailleur professionnel avait loué un appartement à un couple de particuliers pour une durée de trois ans. Par un protocole sous seing privé annexé au contrat de bail, les parties avaient convenues de la vente du bien dans un délai maximum de vingt-quatre mois, délai qui fut ensuite prolongé de douze mois. Après avoir fait délivrer à ses locataires un commandement de payer les loyers, le propriétaire du bien les avait assignés en résiliation du bail et demandé leur expulsion des lieux. Le couple avait, quant à lui, sollicité reconventionnellement la nullité du protocole.
La cour d’appel condamna solidairement les locataires à verser au bailleur diverses sommes au titre d’arriérés de loyers et indemnités d’occupation et ordonna leur expulsion. Elle rejeta leur demande reconventionnelle en annulation du protocole, qualifié de promesse synallagmatique de vente assortie d’une durée supérieure à dix-huit mois, au motif que seul le bailleur, en sa qualité de promettant, eut été autorisé à en demander l’annulation.
Devant la Cour de cassation, les locataires alléguèrent être, au même titre que leur bailleur, titulaires de l’action en nullité : rappelant que la promesse de vente, unilatérale ou synallagmatique, qui a pour objet la cession, par une personne physique, d’un immeuble et dont la validité est supérieure à dix-huit mois, est nulle et de nul effet si elle n’est pas constatée par un acte authentique, ils soutenaient que cette formalité, résidant dans la nécessité d’un acte notarié impliquant la soumission du contrat ainsi authentifié à l’exigence d’enregistrement, est destinée à protéger les intérêts du fisc et partant, l’intérêt public. La nullité prévue par l’article L. 290-1 du Code de la construction et de l’habitation qui fonde ce formalisme serait donc absolue, en conséquence susceptible d’être demandée par toute personne intéressée.
Se posait donc à la Cour la question de savoir si cette absence de forme ad solemnitatem devait être sanctionnée par la nullité absolue ou relative de la promesse, seule la première justifiant le pouvoir des demandeurs au pourvoi à agir en nullité. Se prononçant en faveur de la seconde, la Cour de cassation confirme le caractère relatif de la nullité que la cour d’appel avait à bon droit refusé de prononcer ; ayant analysé le protocole en une promesse synallagmatique de vente d’une durée supérieure à dix-huit mois alors soumis à l’article L. 290-1 précité, la juridiction du second degré, après avoir exactement énoncé que « les dispositions de ce texte ont pour objet la seule protection du promettant qui immobilise son bien pendant une longue durée, la nullité encourue en raison de leur non-respect est relative », en a exactement déduit que seul le propriétaire du bien aurait pu, en sa qualité de promettant, invoquer la nullité du protocole et que le moyen des demandeurs, qui postulait le contraire, n’était donc pas fondé.
La distinction des nullités relatives et nullités absolues était, jusqu’à l’ordonnance du 10 février 2016, implicitement prévue par la loi, le Code civil ne contenant jusqu’alors aucune théorie générale sur la question. Elle n’en était pas moins constamment appliquée en jurisprudence, et tenue pour acquise par la doctrine. Dans un souci d’accessibilité du droit, cette distinction est désormais expressément consacrée par les articles 1179 s. du Code civil. Le premier de ces textes érige en critère de la distinction dont il consacre le principe celui tiré de la finalité de la règle violée, déjà retenu par la doctrine et la jurisprudence contemporaines au détriment du critère plus ancien tiré de la gravité du vice : « La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général. Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d'un intérêt privé ». La logique soutenue par ce texte est donc finaliste : elle repose sur le but de la règle de droit méconnue, apprécié selon la nature de l’intérêt que la règle a entendu protéger : si celle-ci a pour finalité la protection de l’intérêt privé, autrement dit, de celui d’un des contractants, la nullité est relative ; si elle vise la protection de l’intérêt général, la nullité est absolue. Bien que ce critère, déjà acquis en jurisprudence (v., pour une formulation très claire de ce critère de distinction par la jurisprudence antérieure à la réforme, Civ. 3e, 26 juin 2013, n° 12-20.934 ; Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218), figure désormais dans le Code civil, et que quelques articles précisent même expressément le caractère relatif ou absolu de la nullité encourue (v. par ex. pour les vices du consentement, C. civ. art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat »), certaines incertitudes demeurent néanmoins, non seulement en raison du silence parfois gardé par la loi sur le régime de nullité recherché, mais également en raison de la mixité des intérêts protégés, public et privé, par un certain nombre de règles contractuelles. Il en est ainsi des règles de forme dont dépend la validité de certains contrats dont le double intérêt, général et privé, est alors susceptible de soulever des difficultés de qualification. Cette dualité de l’intérêt protégé est notamment apparue en jurisprudence à propos du contrat de mandat conclu avec un agent immobilier, dont le formalisme requis tend à la fois à régir, dans un but d’intérêt général les conditions d'exercice d’activités réglementées (par la loi dite Hoguet, applicable à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce) et en même temps, à protéger, dans l’intérêt privé du mandant, le consentement de ce dernier. Aussi bien, après avoir dans un premier temps promu la première de ces deux finalités (Civ. 1re, 25 févr. 2003 n° 01-00.461, Civ. 3e, 8 avr. 2009, n° 07-21.961), la Cour de cassation a finalement, par un revirement de jurisprudence, opté pour la seconde (Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411).
C’est sans doute en conscience de la fragilité parfois observée de la distinction des nullités relatives et absolues que les demandeurs au pourvoi excipaient de l’intérêt général poursuivi, pour des raisons fiscales, par le formalisme requis. Or en droit de la consommation, qui irrigue plusieurs des dispositions contenues dans le Code de la construction et de l’habitation dont celle (l’art L. 290-1 précité) qui se trouvait au cœur du litige, le formalisme est essentiellement imposé dans un but de protection de la partie faible au contrat. En l’occurrence, comme l’affirme la Cour, l’exigence d’un acte authentique a pour finalité exclusive la protection du consentement du particulier qui promet de réserver son bien, pour une longue durée, à un professionnel de l’immobilier. L’intervention d’un notaire permet en effet de s’assurer de la lucidité du consentement du promettant personne physique dont le bien sera en conséquence immobilisé pendant plus de 18 mois. Et quand bien même la forme notariée requise l’aurait été également dans un but fiscal d’intérêt général, le terme « seul » désormais précisé dans le texte de l’article 1179 du Code civil (« (la nullité) est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d'un intérêt privé ») oblige à choisir, en cas d’intérêts mêlés, l’intérêt privé protégé (v. S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz 2020, n° 309). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation prend soin de préciser que les dispositions invoquées « ont pour objet la seule protection du promettant ».
En conséquence, seul ce dernier était en droit de l’invoquer : la nullité relative étant une nullité de protection, seul celui que le législateur a, par la norme édictée, entendu protéger, est titulaire de l’action en nullité (C. civ., art. 1181, al. 1).
Références
■ Civ. 3e, 26 juin 2013, n° 12-20.934 P: D. 2013. 1682 ; ibid. 2544, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2014. 471, obs. F. Cohet
■ Com. 22 mars 2016, n° 14-14.218 P: Dalloz Actu Étudiant, A vos copies, 26 avr. 2016; Dalloz Actu Étudiant, A la Une, 26 avr. 2016; D. 2016. 704 ; ibid. 1037, chron. S. Tréard, F. Arbellot, A.-C. Le Bras et T. Gauthier ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; RTD civ. 2016. 343, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 317, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 25 févr. 2003 n° 01-00.461
■ Civ. 3e, 8 avr. 2009, n° 07-21.961 P: AJDA 2009. 508, obs. S. Brondel ; ibid. 1722, note O. Lecucq ; D. 2009. 874
■ Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 P: Dalloz Actu Étudiant, 27 mars 2017; D. 2017. 793, obs. N. explicative de la Cour de cassation, note B. Fauvarque-Cosson ; ibid. 1149, obs. N. Damas ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2017. 612, obs. M. Thioye ; ibid. 2018. 11, étude H. Jégou et J. Quiroga-Galdo ; AJ contrat 2017. 175, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier
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