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[ 4 avril 2018 ] Imprimer

Droit de la famille

Refus d’accès à l’adoption plénière opposé à une célibataire homosexuelle

Mots-clefs : Droits fondamentaux, Droit à la vie familiale, Adoption, Homosexualité, Adoption plénière, Célibataire homosexuel, Principe de non-discrimination, Couple homosexuel, Interdiction, Conformité à la Conv.EDH, Conditions, Intérêt de l’enfant

Si le droit français autorise l’adoption plénière d’un enfant par une personne célibataire sans considération pour son orientation sexuelle, la demande d’adoption formée au sein d’un couple, depuis longtemps séparé, par la concubine homosexuelle de l’enfant de son ancienne compagne, doit être rejetée.

Une femme avait présenté une requête en adoption plénière de la fille de celle avec laquelle elle avait vécu en concubinage, et ce dix ans après leur séparation, l’enfant n’ayant pas de filiation paternelle établie et vivant avec sa mère biologique. 

La cour d’appel rejeta sa demande au motif que, dans la mesure où une adoption de cette nature conduirait à rompre le lien de filiation de l’enfant avec sa mère biologique, la séparation du couple présentait un obstacle majeur à son prononcé, qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant. Au soutien de son pourvoi en cassation, fondé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la requérante faisait au contraire valoir que l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel doit guider toute décision le concernant, impose à l'État de permettre à un lien familial de fait établi de se développer dès lors qu’il correspond à un lien affectif existant, tout en conservant la relation filiale unissant l’enfant à sa mère biologique. 

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Tout en rappelant que la loi autorise une personne célibataire âgée de plus de vingt-huit ans d’adopter plénièrement un enfant (C. civ., art. 343-1), elle ajoute qu’une adoption de cette nature a pour effet, aux termes de l'article 356 du Code civil, de conférer à cet enfant une filiation se substituant à sa filiation d'origine et de le priver de toute appartenance à sa famille par le sang, sauf dans le cas, qui n’est pas celui de l’espèce, de l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, prévu à l'article 345-1, qui laisse subsister la filiation d'origine de l’enfant à l'égard de ce conjoint et de sa famille et juge, enfin, que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n'impose pas de consacrer, par une adoption, tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et établis. Ainsi, après avoir relevé que les deux femmes n’étaient pas mariées, l'adoption plénière de l’enfant par la requérante mettrait fin au lien de filiation de celle-ci avec sa mère, qui n'y avait pas renoncé, ce qui serait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel résidait dans le maintien des liens avec sa mère biologique, la cour d'appel a légalement justifié sa décision. 

Les dispositions de l'article 345-1 du Code civil relatives aux conditions d'adoption plénière de l'enfant du conjoint n’étaient pas applicables en l'espèce, dans la mesure où la requérante n’était pas mariée avec la mère de l'enfant qu’elle souhaitait adopter. Il est toutefois intéressant de relever l’influence que le mariage exerce en matière d’adoption. Si l’adoption plénière concerne principalement des orphelins ou des mineurs délaissés par leurs géniteurs, elle est également envisageable pour des enfants qui vivent avec l’un de leurs parents : elle leur permet alors de devenir le fils ou la fille de leur parâtre ou de leur marâtre. Cela est relativement logique : lorsqu’une personne vit en couple avec une personne qui a des enfants, il arrive assez souvent qu’il contribue activement à l’entretien et à l’éducation de ces derniers et que celle-ci souhaite donc parfois, en conséquence, les adopter. Mais elle n’y sera autorisée qu’à la condition d’épouser le père ou la mère des enfants.

Cependant, aux termes de l'article 343-1 du Code civil, « L'adoption peut être aussi demandée par toute personne âgée de plus de vingt-huit ans ». Le droit français autorise donc l’adoption d’un enfant par un célibataire. Quoique non mariée à la mère biologique de l’enfant qu’elle souhaitait adopter, la demanderesse avait donc bien le droit, légalement admis, d’accomplir cette démarche à titre individuel. En effet, avant même la légalisation du mariage homosexuel eût été décidée et la question de l’homoparentalité, alors soulevée, le droit français, en autorisant l’adoption d’un enfant par un célibataire, ouvrait ainsi la voie à l’adoption par une personne célibataire homosexuelle. Si une personne célibataire peut donc en principe être adoptant, la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État était néanmoins fixée dans le sens du refus d’agrément. Dans un premier temps, la Cour européenne des droits de l’homme s’était refusée à condamner la France, considérant que le droit à la vie familiale, protégé au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne protège pas le désir de fonder une famille (CEDH 26 avr. 2002, Fretté c/ France, n° 36515/97). Pas plus qu’il n’existe de droit à l’enfant, il n’existe de droit à adopter. L’objectif de l’adoption est d’offrir une famille à un enfant qui en est dépourvu et non de donner un enfant à une personne qui le réclame. Aucun individu ne peut donc se prévaloir d’un droit à adopter. Ainsi, pour les juges européens, même fondé sur l’orientation sexuelle, le refus de l’adoption peut être considéré comme légitime dès lors qu’il est inspiré par l’intérêt de l’enfant (décision préc.). Puis la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme est revenue sur sa position, et a condamné la France le 22 janvier 2008 (E. B. c/ France, n° 43546/02). Est ainsi illégal le refus d’agrément opposé à une femme en raison de son orientation sexuelle. 

La difficulté présentée par l’espèce rapportée était que la demande était objectivement formulée par une personne célibataire, mais qui avait vécu en couple avec la mère naturelle de l’enfant dont l’adoption était demandée. Or s’agissant de l’adoption par une personne homosexuelle de l’enfant de sa compagne, mère biologique de l’enfant, qui n’a pas de filiation établie à l’égard du père, la première chambre civile s’y oppose depuis longtemps. La Cour régulatrice considère en effet, comme le rappelle la décision ici commentée, que la mère de l’enfant perdrait son autorité parentale en cas d’adoption plénière de son enfant alors qu’elle présente toute aptitude à exercer cette autorité et ne manifeste aucun rejet à son égard (Civ. 1re, 19 déc. 2007, n° 06-21.369 ; adde Civ. 1re, 9 mars 2011, n° 10-10.385). La solution se comprend compte tenu des conséquences drastiques et radicales de l’adoption plénière, indépendamment de l’orientation sexuelle de celui ou de celle qui en fait la demande, ne doivent pas être négligées. En effet, selon l'article 356 du Code civil, « L'adoption confère à l'enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine : l'adopté cesse d'appartenir à sa famille par le sang ». L'article 357 du Code civil prévoit en outre que « L'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant », et l'article 365 du même code prévoit que l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Il était en outre manifeste que dans le cas d'espèce, une telle solution se serait révélée d’autant plus contraire à l'intérêt de l'enfant qu'il n'y avait plus de communauté de vie entre les deux femmes depuis dix ans. En effet, autoriser l'adoption plénière d'un enfant par une personne, qui ne partage plus le quotidien de celui-ci depuis plusieurs années du fait de la séparation affective intervenue avec sa mère biologique ne s'avère pas conforme aux dispositions de l'article 343, alinéa 1er du Code civil, ni à l'esprit gouvernant les règles de l'adoption plénière, qui tendent à créer une communauté matérielle et affective autour de l'enfant mineur adopté. En l'espèce, la requête présentée se heurtait à ce qui caractérisait, au moment où celle-ci avait été présentée, l'intérêt de l'enfant.

Enfin, la solution est conforme à la position de la Cour européenne des droits de l’homme, qui juge discriminatoire le seul fait qu’une législation nationale interdise l’adoption coparentale aux couples homosexuels non mariés alors qu’elle l’autorise aux couples hétérosexuels non mariés (CEDH, gr. ch., 19 févr. 2013, X et autres c/ Autriche, n° 19010/07 : la législation autrichienne ouvrant cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés, il convenait alors de rechercher si le refus d’ouvrir ce droit aux couples homosexuels non mariés poursuivait un but légitime et était proportionné à celui-ci). La décision rapportée conforte la conformité du droit de l’adoption française à la Convention européenne des droits de l’homme, le texte de l’article 345-1 établissant une règle de faveur, dérogatoire au droit commun de l’adoption plénière, aux couples mariés, sans distinction entre les couples homosexuels et hétérosexuels.  

Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-11.069

Références

■ Convention européenne des droits de l'homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ CEDH 26 avr. 2002, Fretté c/ France, n° 36515/97 : AJDA 2002. 401, étude I. Poirot-Mazères ; D. 2002. 2024, et les obs., obs. F. Granet ; ibid. 2569, obs. C. Courtin ; AJ fam. 2002. 142, et les obs. ; RDSS 2002. 347, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2002. 280, obs. J. Hauser ; ibid. 389, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH, gr. ch., 22 janv. 2008, E. B. c/ France, n° 43546/02 : AJDA 2008. 117 ; D. 2008. 2038, obs. E. Royer, note P. Hennion-Jacquet ; ibid. 1786, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2008. 118, obs. F. Chénedé ; RDSS 2008. 380, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2008. 249, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 287, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 19 déc. 2007, n° 06-21.369 P : D. 2008. 1028, obs. F. Luxembourg, note L. Mauger-Vielpeau ; ibid. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1786, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2008. 75, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2008. 287, obs. J. Hauser ; ibid. 438, obs. P. Deumier.

■ Civ. 1re, 9 mars 2011, n° 10-10.385 P : Dalloz Actu Étudiant, 25 mars 2011 ; D. 2011. 876, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 1432, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2011. 205, obs. F. Chénedé ; AJCT 2011. 247, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2011. 338, obs. J. Hauser.

■ CEDH, gr. ch., 19 févr. 2013, X et autres c/ Autriche, n° 19010/07 : Dalloz Actu Étudiant, 14 mars 2013 ;  AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 502, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 227, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 329, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 363, obs. J. Hauser.

 

Auteur :M. H.


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