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[ 23 mai 2023 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

La responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application du régime de la garantie des vices cachés

La condamnation du fabricant à indemniser l’acheteur final au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas de le déclarer concomitamment tenu de la garantie des vices cachés à l’égard du vendeur intermédiaire.

Civ. 1re, 19 avr. 2023, n° 21-23.726 B

Comment articuler la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux et la responsabilité, tout aussi spéciale, du fait de la garantie des vices cachés, propres au droit de la vente ? Lorsque le vice entachant le produit vendu, au sens de l'article 1641 du Code civil, est également constitutif d'un défaut de sécurité, au sens de l’article 1245 du même code, un texte doit-il primer l'autre ? Une responsabilité prévaut-elle sur l'autre ? Autant de questions auquel l’arrêt rapporté répond avec une netteté souhaitée depuis un premier arrêt rendu par la première chambre civile en 2017, qui attendait d’être confirmé (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726).

En l’espèce, la société ENGIE avait confié la réalisation d’une centrale de production d’électricité photovoltaïque à un constructeur. Ce constructeur avait, à cette fin, acheté des panneaux à une société, qui avait assemblé les connecteurs fabriqués et fournis par une troisième société. Suite à la mise en service de l’installation, des interruptions de production d’électricité étaient survenues. Après avoir obtenu une expertise judiciaire attribuant ces désordres aux connecteurs, la société ENGIE avait assigné le constructeur, le vendeur intermédiaire et le fabricant en réparation de ses préjudices sur le double fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et de la garantie des vices cachés. Le fabricant des connecteurs fut condamné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux à réparer le préjudice immatériel consécutif à la défectuosité des connecteurs tandis que le constructeur, garanti par le vendeur intermédiaire, engagea sa responsabilité, sur le terrain des vices cachés, à l’effet de réparer le préjudice matériel également subi par la société ENGIE, acheteur final. Le vendeur intermédiaire faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté son appel en garantie contre le fabricant des connecteurs défectueux au motif que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient réunies à son égard et que ce fondement était exclusif de tout autre, notamment de celui de la garantie des vices cachés. Devant la Cour de cassation, il soutint au contraire que le fait qu’un fabricant voie sa responsabilité engagée à l’égard de l’acheteur final sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas qu’il puisse être déclaré tenu de garantir le vendeur intermédiaire sur le fondement distinct de la garantie des vices cachés. La Cour de cassation lui donne raison au double visa des articles 1245-1 et 1641 du Code civil. Elle rappelle à ce titre que « les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ou à un autre bien que le produit défectueux lui-même, sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil » ; or ces dispositions prévoient que le régime applicable à la responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte « aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité ». Il s’en déduit que le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux n’est pas exclusif de tout autre, et que la responsabilité du fabricant peut être recherchée sur un fondement distinct, notamment celui de la garantie des vices cachésAinsi la responsabilité du producteur peut-elle être concomitamment recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, au titre du dommage résultant du dommage à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux, et sur celui de la garantie des vices cachés, au titre du dommage résultant d’une atteinte au produit qu’il a vendu. C’est la raison pour laquelle les juges du fond ne pouvaient pas, en l’espèce, rejeter l’appel en garantie formé par le vendeur intermédiaire contre le fabricant au motif que la responsabilité de ce dernier avait déjà été engagée à l’égard de l’acquéreur final sur le fondement, considéré à tort comme exclusif, des articles 1241 et suivants du Code civil.

La solution n’est pas tout à fait nouvelle. Il est désormais acquis que l'exclusivité d’application du régime issu de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux ne vaut que pour les actions fondées sur le défaut de sécurité du produit dommageable, en sorte que la possibilité d'invoquer un autre régime de responsabilité que celui prévu par la directive demeure dès lors que ce régime alternatif repose sur un fondement différent de celui de la directive, i. e. le défaut de sécurité du produit. Ainsi de la faute personnelle du fabricant, ou de la garantie des vices cachés, à la condition que la faute ou que le vice caché allégué ne se confonde pas avec la défectuosité du produit (Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314 ; 17 mars 2016, n° 13-18.876). Cependant, cette possibilité d’appliquer un régime concurrent a principalement trouvé à s’appliquer, en jurisprudence, à la faute distincte du défaut de sécurité du produit (Civ. 1re, 10 déc. 2014, préc. ; 17 mars 2016, préc. ; adde, pour une illustration de faute distincte, Civ. 1re, 16 mars 2022, n° 20-19.786 : admission d’une faute du fabricant qui n’a pas fait apparaître de façon suffisamment claire le changement de composition du médicament). Se confirme, par l’arrêt rapporté, l’admission du même cumul en cas de vice caché, dont la garantie reste due nonobstant la défectuosité du produit. Déjà consacrée en 2017 en faveur de l’acquéreur ayant appelé en garantie des vices cachés le fournisseur du produit défectueux (Civ. 1re, 11 janv. 2017, préc), la disponibilité du régime issu de la garantie des vices cachés se trouve ici consolidée, la Cour étendant cette possibilité, dans le cadre très fréquent en pratique d’une chaîne de contrats, à l’engagement de la responsabilité du producteur du produit vicié à l’égard du vendeur intermédiaire de la chaîne.

Il est à noter que l’admission de ce cumul se révèle particulièrement favorable à la victime, qui a tout intérêt à inscrire son action dans le droit spécial de la vente. En effet, la liberté qui lui est reconnue de fonder son action sur la garantie des vices cachés, sous réserve que le vice dénoncé ne porte pas sur la sécurité du produit, lui permet de contourner les limites propres à la responsabilité du fait des produits défectueux. On songe notamment à la forclusion qui intervient dix ans après la mise en circulation du produit, à l'exonération pour "risque de développement" ou bien encore à l'efficacité des clauses limitatives de responsabilité entre professionnels. Faire le choix de la garantie des vices cachés lui permet également d'obtenir l'anéantissement de la vente, via l'action rédhibitoire, ce que ne permet pas l’engagement de la responsabilité du fabricant. Enfin, l’avantage le plus significatif tient sans doute dans l’étendue du préjudice indemnisable. Sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la victime peut certes obtenir l'indemnisation des atteintes à sa personne et des atteintes à d'autres biens que le produit défectueux, mais elle ne pourra voir réparer le dommage subi par la chose elle-même. Par contraste, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la victime ne se voit opposer aucune restriction particulière. Dès lors que la chose présente un vice la rendant impropre à l'usage auquel on la destine, la victime pourra obtenir la réparation de son entier préjudice auprès du vendeur, direct ou successif, producteur ou simple fournisseur du produit défectueux (Civ.1re, 11 janv. 2017, préc.).

Faisant fi de la porosité, souvent observée en pratique, entre défaut de sécurité et vice caché, la solution ici rendue contribue à tempérer l’exclusivité de principe du régime spécial de responsabilité issu de la directive, qui se trouve ainsi placé en concurrence avec d’autres régimes spéciaux de responsabilité, dont celui résultant de la garantie des vices cachés.

Références :

■ Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726 P : DAE, 8 févr. 2017, note M. H D. 2017. 626, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2017. 415, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314 D. 2015. 9 ; RTD eur. 2015. 348-35, obs. N. Rias.

■ Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876 P : D. 2016. 705 ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2016. 646, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 1re, 16 mars 2022, n° 20-19.786 B : DAE, 15 avr. 2022, note M. Hervieu D. 2022. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2022. 397, obs. P. Jourdain.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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