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Droit de la famille
Violences conjugales : extension du bénéfice de l’ordonnance de protection aux enfants du couple
Lorsque le juge aux affaires familiales estime qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violences conjugales allégués et le danger auquel est exposée une victime, qui est parent d'un ou de plusieurs enfants mineurs, il peut étendre le bénéfice de l’ordonnance de protection délivrée au conjoint menacé aux enfants communs du couple, sans se prononcer sur l'existence d'un danger spécialement encouru par eux, et interdire en conséquence à leur père de les recevoir ou de les rencontrer, ainsi que d’entrer en contact avec eux, de quelque façon que ce soit.
Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-22.600
Par requête du 23 mars 2022, une femme avait saisi un juge aux affaires familiales afin d'obtenir une ordonnance de protection à l'égard de son conjoint, prétendument violent. À l’effet de protéger sa propre intégrité, sa requête avait également pour objet d’éloigner l’enfant commun du couple du danger encouru. Jugeant sa requête fondée, le juge aux affaires familiales avait en conséquence interdit au père de recevoir ou de rencontrer leur fils, ainsi que d'entrer en relation avec lui de quelque façon que ce soit, et de se rendre au lieu de résidence de la mère et de l’enfant. L’époux fit appel de cette décision dont il contestait la portée, dès lors que c’était la personne de son épouse que l’ordonnance était destinée à protéger, et non celle de l’enfant, dont le juge n’avait pas établi qu’il serait exposé à un danger. La cour d’appel confirma l’ordonnance de protection prise au bénéfice de l’enfant. Devant la Cour de cassation, l’époux renouvela l’argument selon lequel un juge aux affaires familiales ne peut délivrer une ordonnance de protection au bénéfice de l’enfant qu’à la condition d’établir le risque de son exposition à un danger, qui ne peut se déduire du seul fait que sa mère est personnellement exposée à des violences vraisemblables menaçant son intégrité. La première chambre civile était ainsi amenée à préciser les contours de l’office du juge aux affaires familiales en matière d’ordonnance de protection. Plus particulièrement, elle devait répondre à la question de savoir si le devoir du JAF de protéger les victimes de violences intrafamiliales justifie de lui reconnaître le pouvoir de restreindre les droits parentaux du conjoint violent lorsque des violences sont à craindre à la fois sur la personne du conjoint victime et sur celle de l’enfant. Elle y répond par l’affirmative, reconnaissant la compétence du JAF d’étendre le bénéfice de l’ordonnance de protection aux enfants et d’interdire à ce titre au parent défendeur, en vertu de son appréciation souveraine, de recevoir ou de rencontrer le ou les enfants communs du couple, ainsi que d’entrer en relation avec eux, de quelque façon que ce soit, autrement qu'à l'occasion des droits de visite éventuellement conservés, et de se rendre au domicile familial où la victime demeure avec eux.
Dans cette perspective, elle rappelle qu’aux termes de l'article 515-9 du Code civil, lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime et/ou un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. Elle précise également que selon l'article 515-11, 1° et 1° bis, du Code civil, deux conditions cumulatives doivent être établies pour la délivrance d’une ordonnance de protection : la commission vraisemblable des faits de violence allégués et le danger actuel et tout aussi probable, auquel la victime ou ses enfants se trouvent exposés (v. déjà, Civ. 1re, 13 févr. 2020, n° 19-22.192). Confirmant le pouvoir souverain d’appréciation du JAF pour décider si les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection sont réunies (Civ. 1re, 10 févr. 2021, n° 19-22.793), la Cour affirme qu’il doit se déduire de ces textes que lorsque le JAF, souverain dans son appréciation, estime qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel est exposée la victime et que celle-ci est parent d'un ou plusieurs enfants, il peut, pour assurer sa protection, priver la partie défenderesse de tout droit de visite et de correspondance avec le ou les enfants du couple. Ainsi des circonstances de l’espèce, ayant permis d’établir qu'il existait des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables les violences alléguées, en sorte que le JAF, puis les juges d’appel, ont pu interdire au père d’entrer en contact avec la mère et l’enfant sans se prononcer sur l'existence d'un danger encouru par ce dernier.
Renforçant la protection des victimes de violences intrafamiliales, la décision rapportée complète la jurisprudence antérieure rendue dans le cadre plus étroit des violences conjugales, en apportant cette précision essentielle : si la caractérisation d’une mise en danger est déterminante pour justifier la délivrance d’une ordonnance de protection du conjoint menacé, le JAF peut, à la faveur de cette délivrance, également restreindre les droits parentaux du conjoint agresseur, voire les lui retirer. Ainsi le JAF pouvait-il en l’espèce lui interdire, sans motivation particulière quant à l’existence d’un danger encouru par l’enfant, de rencontrer et d’entretenir des relations avec ce dernier, soit le priver de tout droit de visite et correspondance avec son fils. Appelée de ses vœux par les associations de lutte contre les violences conjugales, la solution n’allait cependant pas de soi, principalement au vu de l’organisation judiciaire, en droit commun, des modalités du droit de visite du parent non gardien, dont la restriction temporelle et /ou géographique oblige en principe le juge à caractériser un motif grave tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant (Civ. 1re, 14 mars 2006, Bull.I, n°147). Les limitations qui lui sont alors apportées doivent être justifiées par des raisons suffisamment impérieuses. Dans le cadre spécial des violences intrafamiliales, le bénéfice de la protection accordée par ordonnance au conjoint menacé doit pouvoir librement s’étendre aux enfants du couple, pour deux raisons : d’une part, la répétition déjà constatée d’actes de violences conjugales commis sur la personne du parent victime fait craindre la commission, à l’avenir, des mêmes actes de violences sur la personne du ou des enfants du couple, d’où la nécessité de limiter le temps passé par ces derniers avec le parent violent ; d’autre part, la relation entretenue par le parent violent avec les enfants augmente le risque de violences susceptibles d’être perpétuées et ainsi, poursuivies, sur la personne du parent victime, notamment lorsque le parent violent se rend au domicile familial où la victime demeure avec les enfants. On comprend ainsi la volonté de la Cour de cassation de laisser le JAF libre dans son appréciation et de maintenir une certaine souplesse du régime applicable à l’ordonnance de protection. Il convient alors de reconnaître au JAF le pouvoir de prendre des mesures de restriction des droits parentaux du parent violent sans l’assortir d’une obligation de motivation particulière. Partant, il pouvait en l’espèce interdire au père d’entrer en contact avec la mère ainsi qu’avec l’enfant au nom de sa seule liberté d’appréciation, soit sans établir l’existence d’un danger spécialement encouru par l’enfant, qui s’infère en définitive de celui auquel sa mère se trouve exposée.
Références :
■ Civ. 1re, 13 févr. 2020, n° 19-22.192 : DAE, 26 mars 2020, note Merryl Hervieu, AJ fam. 2020. 249, obs. A. Sannier
■ Civ. 1re, 10 févr. 2021, n° 19-22.793 : DAE, 15 mars 2021, note Merryl Hervieu, D. 2021. 350 ; ibid. 819, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2021. 235, obs. A. Sannier ; RTD civ. 2021. 389, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527 : D. 2006. 881, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2007. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; AJ fam. 2006. 202, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 300, obs. J. Hauser ; ibid. 549, obs. J. Hauser
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