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[ 11 mai 2023 ] Imprimer

Droit pénal général

Vol des portraits du Président : la neutralisation de l’infraction au nom de la liberté d’expression

Justifie sa décision la cour d'appel, qui, procédant au contrôle de proportionnalité requis, retient que l'incrimination pénale des faits poursuivis sous la qualification de vol constitue, au cas d'espèce, une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression.

Crim. 29 mars 2023, n° 22-83.458 B

La succession de décisions concernant le sort des « décrocheurs de portraits » révèle l’ampleur des actions symboliques menées par des défenseurs de l’environnement pour dénoncer l’immobilisme du Président de la République sur la question climatique. Il y a presque un an, la chambre criminelle était (déjà) saisie de la question de savoir si une telle action militante devait entraîner l’application de la qualification et des peines prévues pour le vol (en réunion) ou, au contraire, être « couverte » par l’exercice légitime de la liberté d’expression militante, sur une question d’intérêt général. A cette occasion, la Haute cour avait délivré un modus operandi devant servir au juge pénal à apprécier la proportionnalité, dans un tel contexte, d’une condamnation à la liberté d’expression et estimé alors que la condamnation à 400 euros d’amende avec sursis de militants alsaciens qui refusaient de restituer le portrait qu’ils avaient volé tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites n’était pas disproportionnée (Crim. 18 mai 2022, n° 21.86-685).

Dans la présente affaire, huit militants girondins étaient mis en cause pour avoir, le 28 mai 2019, dérobé des portraits présidentiels dans quatre localités, à l’occasion du même mouvement national de protestation en faveur de la lutte contre les changements climatiques.

Par jugement du 6 décembre 2019, le tribunal correctionnel les a déclarés coupables de vol en réunion (certains ayant en outre été condamnés pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique ou aux opérations de relevés signalétiques), mais a ajourné le prononcé des peines en attente de restitution des portraits. En dernier lieu, la cour d’appel (Toulouse 27 avr. 2022), intervenant sur renvoi après cassation (Crim. 22 sept. 2021, n° 20-85.434), décida de tous les relaxer. C’est ainsi que le procureur général près la cour d’appel forma un pourvoi en cassation, critiquant l'arrêt attaqué en ce qu'il avait relaxé les prévenus du chef de vols aggravés et dénonçant notamment l’absence d’un contrôle de proportionnalité suffisamment motivé.

Dans sa réponse, la chambre criminelle commence par rappeler que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté d’expression comprend une clause de limitation, prévue en son paragraphe 2 et qui permet de porter atteinte à son exercice. Ainsi, « L'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui » (§ 12). Ensuite, elle reprend le modus operandi résultant de la jurisprudence précitée concernant le contrôle de proportionnalité à opérer. Ainsi, « Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la condamnation » (§ 13), un tel contrôle requérant « un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé » (ibid.). Citant expressément en référence l’arrêt du 18 mai 2022, elle précise enfin qu’en cas de vol, « doivent être notamment prises en compte la valeur matérielle du bien, mais également, le cas échéant, sa valeur symbolique, ainsi que la réversibilité ou l'irréversibilité du dommage causé à la victime » (§ 14).

Il lui appartient alors de vérifier si le modus operandi ainsi décrit a bien été suivi par les juges saisis du fond. Ce faisant, elle relève des motifs adoptés par la cour d’appel que les agissements reprochés s’étaient inscrits dans une action politique et militante, entreprise dans le but d'alerter sur un sujet d'intérêt général : le dérèglement climatique. Il ressort encore de l’arrêt d’appel que les auteurs étaient dénués d'intérêt personnel ou financier, qu'ils avaient agi à visage découvert, de façon non violente, causant un préjudice financier réduit au prix du portrait (8,90 euros) et à celui du cadre. Enfin, aucune atteinte à la dignité de la fonction ou à celle de la personne humaine n’avait, selon la cour d’appel, été causée, les militants s’étant contentés de remplacer les portraits par des affiches représentant la silhouette du Président assortie de la formule « urgence sociale et climatique - où est Macron ? ».

Au vu de ces éléments la chambre criminelle estime que la cour d’appel a procédé au contrôle de proportionnalité requis et justifié sa décision, dès lors qu’existait bien un sujet d’intérêt général (le changement climatique), en lien avec les faits poursuivis, et que la valeur matérielle et symbolique des biens dérobés ainsi que le dommage subi par les collectivités territoriales victimes avaient bien été pris en compte. Le moyen est donc rejeté.

Le moyen tiré d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression a déjà été soulevé dans le cadre de poursuites initiées pour des infractions de « droit commun » (comp., pour la qualification d’escroquerie, Crim. 26 oct. 2016, n° 15-83.774 ; pour celle d’exhibition sexuelle, Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827). En 2021, déjà saisie d’une affaire de « décrocheurs », la Cour de cassation avait estimé que l’état de nécessité de l’article 122-7 du Code pénal ne pouvait pas justifier le vol commis par les prévenus (mais jugé irrecevable, car nouveau, le moyen tiré d’une violation de la liberté d’expression, v. Crim. 22 sept. 2021). La présente solution permet de prouver que, selon les circonstances, l’action militante peut, sur le fondement de la liberté d’expression, ne pas être condamnée.

On précisera qu’un second moyen portait pour sa part sur la relaxe prononcée au titre du refus de se soumettre à un prélèvement biologique ou à une opération de relevés signalétiques, auquel la chambre criminelle répond en se fondant là encore sur le principe de proportionnalité. La Haute cour rappelle ainsi que « Les infractions prévues par les articles 55-1 et 706-56 du code de procédure pénale ne constituent pas en elles-mêmes une ingérence disproportionnée dans le respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme » (§ 30, citant Crim. 28 oct. 2020, n° 19-85.812 ; 8 déc. 2021, n° 20-84.201). Mais elle précise dans le même temps que « la conformité de principe de l'article 706-56 du code de procédure pénale avec les dispositions conventionnelles susvisées n'exclut pas que son application soit écartée lorsque, à l'occasion de son contrôle de proportionnalité, le juge du fond retient qu'au cas d'espèce, la condamnation pour refus de se soumettre au prélèvement biologique constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » (Crim. 22 sept. 2021, préc.). En l’espèce, la cour d’appel a pu écarter l’application de ces dispositions dès lors qu’elle avait constaté une « disproportion entre les infractions dont étaient soupçonnés les prévenus, les circonstances particulières de leur commission, et l'atteinte au respect de leur vie privée » (§ 35). En conséquence, le second moyen est rejeté, ainsi que le pourvoi dans son ensemble.

Références :

■ Crim. 18 mai 2022, n° 21-86.685 B : D. 2022. 1186, note S. Pellé ; AJ pénal 2022. 374, obs. J.-B. Thierry ; AJCT 2022. 593, obs. S. Lavric ; Légipresse 2022. 340 et les obs. ; ibid. 487, étude R. Le Gunehec et A. Pastor ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; RSC 2022. 817, obs. X. Pin.

■ Crim. 22 sept. 2021, n° 20-80.489 et n° 20-85.434 B DAE, 14 oct. 2021, note C. Liévaux D. 2021. 1720, et les obs. ; AJ pénal 2021. 533, obs. G. Chetard ; RSC 2021. 823, obs. X. Pin ; ibid. 2022. 445, obs. E. Rubi-Cavagna ; AJ pénal 2021. 533 ; Légipresse 2021. 462 et les obs. ; ibid. 600, étude C. Bigot ; ibid. 2022. 121, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier.

■ Crim. 22 sept. 2021, n° 20-80.895 RSC 2021. 823, obs. X. Pin ; ibid. 2022. 445, obs. E. Rubi-Cavagna.

■ Crim. 26 oct. 2016, n° 15-83.774 P : DAE, 22 nov. 2016, note S. L ; D. 2016. 2216 ; AJ pénal 2017. 38, obs. N. Verly ; Légipresse 2017. 67 et les obs. ; ibid. 92, Étude H. Leclerc ; RSC 2016. 767, obs. H. Matsopoulou.

■ Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827 P : DAE, 18 mars 2020, note C. Liévaux ; D. 2020. 438 ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 863, obs. RÉGINE ; AJ pénal 2020. 247, étude J.-B. Thierry ; Légipresse 2020. 148 et les obs. ; ibid. 233, étude L. François ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; RSC 2020. 307, obs. Y. Mayaud ; ibid. 909, obs. X. Pin.

■ Crim. 28 oct. 2020, n° 19-85.812 PDAE, 23 nov. 2020, note C. Liévaux D. 2020. 2122 ; ibid. 2021. 762, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2021. 35, obs. C. Liévaux.

■ Crim. 8 déc. 2021, n° 20-84.201 BD. 2021. 2234 ; ibid. 2022. 808, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2022. 42, obs. J. Chapelle.

 

Auteur :Sabrina Lavric

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