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Des contes en mai
Des contes en mai… Parce que je fais ce qui me plaît ! Parce que lire des contes juridiques écarte les sombres pensées de mon esprit comme le soleil du printemps les nuages ! Parce que des chercheuses universitaires s’y rencontrent intellectuellement et amicalement ! Parce qu’une juge m’y fait connaître les affres de la décision ! Parce que le philosophe Socrate peut y mourir au moins deux fois ! François Ost, professeur, philosophe du droit et dramaturge belge, nous raconte son ouvrage Le congrès et autres contes juridiques (Lefebvre Dalloz, 2024).
Qui sont les personnages principaux des contes de ce nouvel ouvrage ?
Je réponds dans le désordre et sans préséance. Il y a d’abord l’indémodable Socrate qu’Athènes — l’Athènes qui invente la démocratie au ve siècle avant J.-C. — poursuit en justice au motif qu’il corromprait la jeunesse. Loin de se défendre, le bougre ridiculise ses juges : sont-ils vraiment certains d’être des démocrates ?, car enfin, s’ils l’étaient vraiment, en quoi ses idées et son comportement non conformistes leur seraient-ils suspects ? En 2012 la puissante fondation grecque Onassis rejoua le procès de Socrate en mobilisant une belle brochette de juges et d’avocats internationaux — et cette fois Socrate fut acquitté — mais pourquoi alors ne lui donnèrent-ils pas la parole ?
Un autre conte invite le Petit Prince au pays du covid ; question pour le petit bonhomme de poser quelques questions aussi simples que dérangeantes.
Dans un troisième récit, on rencontre deux chercheuses, Pauline, la Française, et Mariem, la Mauritanienne, qui participent à un congrès international d’éthique juridique. En butte aux vexations du politiquement correct et du wokisme, les deux jeunes femmes nouent une amitié sincère sous les auspices d’une diversité décrispée.
Faut-il libérer un humanitaire belge détenu arbitrairement en Iran, en échange d’un dangereux terroriste iranien purgeant une peine de vingt ans en Belgique ? La question se pose à la Cour constitutionnelle du pays, soumis par ailleurs à une intense pression populaire. Justine, juge fraîchement nommée à la Cour, vit, au jour le jour, les affres de ce dilemme.
… Et puis il y a moi, l’auteur, dont parlent deux contes autobiographiques. Dans le premier, je ne me résous pas à terminer le dernier cours de ma carrière … Que vais-je devenir ? Dans l’autre, je fais passer ma dernière session d’examens oraux — la dernière étudiante de ma carrière me fera oublier toutes les autres…
Quels objectifs pour le droit et la littérature ?
La littérature est au droit ce qu’un miroir est au visage. Elle en révèle parfois la beauté, parfois la vanité, parfois la cruauté — toujours il en dit la vérité.
Les juristes font bien de s’y confronter : la vérité, si elle n’est pas toujours bonne à dire, est toujours salutaire à entendre. Mais l’inverse est vrai aussi : en certaines occasions, le droit dit ses « quatre vérités » à la littérature : exceptionnellement, il relève ses crimes et délits, mais surtout il lui rappelle ses responsabilités : écrire n’est pas un exercice innocent.
Ce dialogue entre le droit et la littérature, qui s’amplifie aujourd’hui dans l’espace francophone, génère de nouvelles pratiques d’écriture et d’enseignement. Voilà que des juristes se mettent à écrire et enseigner des contes ; voilà que des littéraires s’emploient à faire passer en jugement héros et héroïnes littérair(e)s : tantôt acquittant les condamnés, tantôt condamnant ceux que l’auteur avait graciés (je pense notamment aux travaux de Caroline Julliot et de son groupe Intercripol).
Que souhaitez-vous raconter aux lecteurs non-juristes ?
C’est simple : que le droit, qui n’est pas qu’une technique, est abordable ; que le droit, qui n’est pas que formel, nous concerne tous. Mon livre aborde directement des questions d’actualité : le covid, le terrorisme, le wokisme, la désobéissance civile, la liberté d’information.
Il ne faut pas laisser la discussion de ces questions aux seuls politologues, sociologues, ou moralistes ; encore moins aux seuls réseaux sociaux. Les juristes, qui sont généralement d’excellents techniciens, doivent aussi assumer leur position d’intellectuels dans le débat social. Le droit n’offre pas que des interdits et des sanctions ; il est porteur de valeurs également (la publicité, le contradictoire, …), ainsi que d’une culture spécifique (la culture du tiers) dont notre monde a bien besoin. Le conte est l’occasion de rappeler cette place éminente du droit, de le sortir de la tour d’ivoire dans laquelle il s’enferme trop souvent, et ainsi de le rendre aimable.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ayant déjà répondu à cette question à deux reprises dans le passé, je n’évoque pas aujourd’hui un souvenir précis ; je voudrais dire, en revanche, que c’est toute ma période d’étudiant qui me laisse un bon souvenir ; bien entendu, il y avait des matières rébarbatives, des professeurs soporifiques, des examens stressants ; mais, dans l’ensemble, cette période était formidablement stimulante : on se faisait des ami(e)s pour la vie (parfois des épouses !), pas de souci économique, des débats intellectuels chaque jour, de nouvelles matières, des découvertes culturelles, des engagements politiques, des perspectives insoupçonnées, une bibliothèque qui se formait. Jamais, dans la suite, on ne retrouve une aussi grande période de liberté ; être, sinon payé, du moins entretenu pour se former : quelle aubaine ! Même les périodes de bachotage (le « blocus », en Belgique) avaient leur charme : souvent au vert, avec quelques bons amis et copines. L’étude de certaines matières reste liée dans mon esprit à ces lieux de retraite : ainsi la procédure pénale m’évoquera toujours les immenses plages de sable du Pas-de-Calais.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
J’ai un faible pour le capitaine Haddock, le double « râleur » de Tintin. Tintin est trop lisse, trop parfait. Aucun défaut ne l’affecte, aucun vice ne fait de l’ombre à son image. « Sans peur et sans reproche », il redresse tous les torts ; Haddock, en revanche, loup de mer à la barbe hirsute et broussailleuse, est un homme normal ; il rechigne à suivre Tintin dans tous les défis qu’il s’apprête à relever, mais finit par le suivre jusque sur la lune. Et puis ce marin est un lettré : c’est lui qui m’appris, gamin sur les bancs de l’école, ce que signifiait ‘anthropopithèque’, ‘bachi-bouzouk’, ou encore ‘boit-sans-soif’. Sa faconde est intarissable, aussi profonde que sa soif. À la réflexion, ce sont tous les compagnons de Tintin qui compensent sa trop aveuglante perfection : le savant Tournesol, authentique génie, mais aussi sourd que distrait ; les Dupont-Dupond, toujours sur le coup d’une affaire délicate, mais toujours à côté de la plaque ; la Castafiore, diva internationale, mais pimbêche insupportable. … Et puis aussi Milou, le plus humain, si j’ose dire, de la constellation hergéienne. Tous gravitent autour de l’idole à la houppe, chacun est nécessaire pour nous le rendre supportable.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
On valorise beaucoup, et avec raison, la liberté d’opinion. Mais pour opiner, il faut, en amont, s’être informé. Il n’est pas très difficile d’avoir une opinion sur tout et sur rien ; en revanche, s’informer est une responsabilité et pas seulement un droit. C’est pourquoi je choisis aujourd’hui de privilégier ce droit à l’information. Nul n’ignore que nous vivons dans une société de l’information ; dans ces conditions, s’informer c’est exercer sa citoyenneté, c’est mettre en œuvre une certaine souveraineté. Face aux défis climatiques et environnementaux, par exemple, s’informer est un devoir ; les générations futures ne pourront s’accommoder de nos excuses en forme de « je ne savais pas ».
Mais cette information est fragile et menacée de toutes parts ; sa protection implique de nombreuses « obligations positives » à charge des autorités publiques (elles ne peuvent se contenter d’une posture passive de non-empêchement). Je pense par exemple à la nécessité d’adopter des législations protectrices des courageux lanceurs d’alerte qui dévoilent ce que d’autres voudraient cacher. Je songe aussi aux nécessaires garanties de la survie d’une presse diversifiée et de qualité. Il y va du pluralisme des opinions, mais aussi de l’accessibilité de tous à la presse écrite. Je pense aussi au combat quotidien contre les fake news, les faits « alternatifs » et le complotisme — d’où l’utilité de groupes comme les Surligneurs qui s’emploient à vérifier avec beaucoup de sérieux les informations qui circulent.
Si la « post-vérité » devait désormais s’imposer (un environnement dans lequel l’opinion primerait sur l’information, l’authenticité l’emporterait sur la vérité et le ressenti disqualifierait la preuve), alors la démocratie aurait disparu, tant il est vrai qu’elle a besoin d’un minimum d’accords factuels pour développer ses débats et construire ses compromis.
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