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Traite des êtres humains : vers de nouvelles avancées ?
La traite des êtres humains est aujourd’hui encore une réalité (v. Focus 6 déc. 2018). Olivier Pluen, maître de conférences, directeur du Département Droit public, directeur des Clinique & DU de légistique, Université Paris-Saclay (UVSQ), a bien voulu répondre à nos questions sur l’accord provisoire de janvier 2024 entre le Parlement européen et le Conseil en vue de réviser les règles relatives à la prévention et à la lutte contre la traite des êtres humains.
Dans quel contexte cet accord provisoire est-il précisément intervenu ?
Cet accord entre les représentants du Parlement européen et la présidence du Conseil de l’Union européenne trouve son origine dans la volonté de la Commission européenne de réviser la Directive 2011/36 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil. Pour rappel, cette directive a prévu des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains, et a introduit, en tenant compte des questions d'égalité entre hommes et femmes, des dispositions destinées à renforcer la prévention de cette infraction et la protection des victimes. Il s’agit d’un acte majeur de l’Union dans la mesure où elle a permis à celle-ci de se doter d’un cadre relativement cohérent et ambitieux pour affronter ce phénomène et ses conséquences et où elle a constitué un pas important dans le sens d’une harmonisation de la réglementation des États membres en la matière. Cependant, le temps a conduit à révéler des imperfections de ce texte, rendant nécessaire son évolution.
À la suite notamment d’une résolution du Parlement du 10 février 2021 sur la mise en œuvre de la directive, puis de la communication de la Commission du 14 avril 2021 relative à la stratégie de l’Union visant à lutter contre la traite des êtres humains 2021-2025, la Commission a publié le 19 décembre 2022 une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive de 2011. Saisies au sein du Parlement européen, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres ont rendu leur rapport, déposé le 10 octobre 2023, tout en décidant d’ouvrir des négociations interministérielles. L’ouverture de ces négociations, confirmée en plénière, a ainsi abouti à cet accord provisoire du 24 janvier 2024.
Quelles sont les principales révisions de la directive 2011/36/EU annoncées par cet accord provisoire ?
Les principales propositions de modification ayant fait l’objet de cet accord ont été précisément énoncées dans les communiqués de presse respectifs du Parlement européen et du Conseil. De manière globale, elles apparaissent conformes à la proposition de directive de modification de 2022, en visant à améliorer la capacité de l’Union et des États membres à lutter plus efficacement contre la traite et ses effets, avec notamment la prise en considération de nouvelles réalités, en renforçant la coopération transfrontalière, ou encore en poursuivant l’effort d’harmonisation des réglementations.
Le premier point d’entente porte sur l’intégration du mariage forcé, de l’adoption illégale et de la gestation pour autrui à des fins d’exploitation reproductive, dans la liste des formes d’exploitation entrant dans la définition de la traite des êtres humains. En incluant le troisième type d’exploitation, l’accord va plus loin que la proposition de la Commission, mais moins que le texte des commissions du Parlement saisies, lesquelles prévoyaient par exemple d’ajouter l’exploitation des enfants placés en institutions résidentielles ou établissements de type fermé.
Au titre des autres mesures objet de l’accord, l’on pourra mentionner les suivantes : une meilleure sanction des personnes morales tenues pour responsables d’infraction de traite, y compris en les excluant du bénéfice de subventions ou des procédures d’appel d’offre ; une prise en compte du caractère amplificateur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, en érigeant en circonstance aggravante par exemple la diffusion non consensuelle d’images ou de vidéos à caractère sexuel ; ou encore une amélioration des activités des autorités compétentes en matière d’asile et de lutte contre la traite, pour mieux accompagner les victimes ayant besoin d’une protection internationale.
Y a-t-il des dispositions déjà existantes en droit interne français et quelles modifications pourraient être nécessaires à ce niveau ?
Depuis vingt ans, la France, membre de plusieurs organisations internationales et partie à de nombreuses conventions internationales ou régionales contribuant à la lutte contre la traite des êtres humains, a fait – parfois dans la douleur – de cette action une des « priorités françaises en matière de protection et de promotion des droits de l’Homme et de lutte contre la criminalité organisée » (v. « Lutte contre la traite des êtres humains », France Diplomatie, juillet 2022). Elle s’est ainsi progressivement dotée, à partir de la loi 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, d’un dispositif assez conséquent et plutôt satisfaisant, mêlant textes normatifs et politiques publiques. La dernière grande mesure en date a consisté en le lancement, le 11 décembre 2023, du 3e Plan national de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains 2024-2027.
Les divergences existant entre les communiqués du Parlement européen et du Conseil, et les incertitudes quant à leur exhaustivité par rapport à la proposition de directive de modification, permettent difficilement de cibler exactement les modifications qu’il conviendrait d’opérer à ce stade. Toutefois, une évolution de la réglementation et des politiques publiques sera a priori nécessaire sur tous les sujets, l’intégration de nouvelles formes d’exploitation dans la définition de la traite impliquant par exemple de modifier l’article 225-4-1 du Code pénal.
Quelle sera la procédure pour les y inscrire ?
Il est d’abord nécessaire que la proposition de directive, soumise à la procédure législative ordinaire, soit définitivement adoptée. Ainsi, l’accord provisoire conclu n’étant qu’informel, le Parlement européen et le Conseil doivent-ils encore, chacun, l’approuver formellement. Or, rien n’est joué à ce stade. L’actualité vient de le montrer avec le blocage fin février 2024, par les États membres au sein du Conseil, de la proposition de directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité, alors que les deux institutions étaient parvenues à un accord provisoire à la mi-décembre 2023. En l’occurrence, cette proposition oblige les entreprises à surveiller leurs incidences négatives sur les droits humains, dont le travail forcé et celui des enfants.
Et, une fois la directive adoptée, encore faudra-t-il que ses dispositions soient transposées ou appliquées en droit interne. Or une telle action peut se heurter là encore à la réticence de certains États. Ainsi en France, dans un communiqué du 13 octobre dernier, la CNCDH, rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains, a-t-elle pu reprocher à l’État de ne pas tenir ses engagements internationaux dans ce domaine. Pour ne citer que cet exemple, il a effectivement fallu attendre trois années après la fin du 2e (2019-2021), pour que soit adopté le 3e plan de lutte précité, sachant qu’une même durée avait séparé les 1er (2014-2016) et 2e plans, révélant une discontinuité dans la lutte contre ce phénomène et ses conséquences…
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur : un périple en vélo Paris-Colmar avec un ami de Faculté, débuté le lendemain des partiels de fin de Licence, une année de canicule.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Disraeli, homme de lettre qui a été le héros, avec Gladstone, d’une épopée parlementaire britannique du xixe siècle, « œuvre » qu’il a vécue avec autant de force que s’il l’avait écrite.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit de chacun au respect : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (première phrase de l’article 4 de la Déclaration de 1789).
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