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[ 16 avril 2018 ] Imprimer

La loi portant ratification de l’ordonnance du 10 février 2016

La loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été définitivement votée par le Parlement.

L’ordonnance étant ratifiée, il ne sera bientôt plus possible de contester la conformité du contenu de l’ordonnance avec la loi d’habilitation. En revanche, des questions prioritaires de constitutionnalité pourront être posées, une fois la loi entrée en vigueur, soit le 1er octobre 2018.

Cette loi ne se contente pas de ratifier l’ordonnance du 10 février 2016. Des modifications, finalement assez nombreuses, ont été effectuées par les parlementaires qui ont fait jouer leur droit de regard. Par certains côtés, la liste des modifications qui ont été faites est étonnante. On peut être surpris, par exemple, que la question du décès du destinataire de l’offre (C. civ., art. 1117) ait pu autant passionner les deux assemblées, jusqu’à la Commission mixte paritaire, alors qu’aucune des dispositions sur la preuve ou sur les contrats conclus sous forme électronique n’a été ne serait-ce que discutée. 

Certes, les grands équilibres de la réforme de 2016 n’ont pas été bouleversés, encore que ces grands équilibres soient assez difficiles à identifier, le législateur ayant tenté, parfois jusqu’à l’absurde, d’améliorer la protection de la partie faible, sans effrayer les opérateurs économiques (« en même temps »). La révision judiciaire pour imprévision (C. civ., art. 1195) a, quoi qu’il en soit, été maintenue en dépit de l’opposition farouche des sénateurs et de leur rapporteur qui, jusque dans le rapport fait au nom de la Commission mixte paritaire, a fait part de son scepticisme vis-à-vis de cette innovation.

La liste des modifications, qui figure à l’article 16 de la loi portant ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, se décompose en deux sous-ensembles. 

Certaines modifications, considérées par les parlementaires comme substantielles, n’entreront en vigueur que le 1er octobre 2018 et ne seront donc applicables qu’aux contrats passés à partir de cette date.

Trois législations contractuelles vont donc se succéder. Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 resteront soumis à la loi ancienne. Les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018 seront soumis à la version initiale de l’ordonnance, tandis que les contrats passés à partir du 1er octobre 2018 relèveront de la version modifiée de l’ordonnance.

On peut penser que cette juxtaposition confortera la Cour de cassation dans sa volonté d’aplanir les différences entre le droit contractuel ancien et celui issu de l’ordonnance du 10 février 2016. Certes, la loi de ratification est venue préciser que la loi ancienne restait applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public » (loi portant ratification, art. 16, III). Cette tentative de brider le pouvoir d’interprétation judiciaire est pourtant vaine car rien n’interdit aux juges de faire converger une règle ancienne, pourvu qu’elle soit jurisprudentielle, vers une règle légale nouvelle. Il leur suffit en effet d’effectuer un revirement de jurisprudence, qu’ils ne manqueront pas de justifier par l’évolution du droit des obligations (Comp. Ch. mixte, 24 févr. 2017, no 15-20.411 ; Soc. 21 sept. 2017 (2 arrêts), no 16-20.103 et no 16-20.104).

D’autres modifications sont expressément qualifiées d’interprétatives. Conformément à la règle traditionnelle, elles sont censées « faire corps » avec le texte initial et elles s’appliqueront, en conséquence, aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.

La place manque pour commenter l’ensemble des modifications apportées au texte initial par la loi de ratification (V. G. Chantepie, M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, à paraître). On se contentera d’évoquer, brièvement, celles qui ont trait au droit des contrats en les distinguant selon qu’elles sont interprétatives ou substantielles.

■ Les modifications interprétatives :

Préjudice réparable en cas de rupture fautive des négociations (art. 1112) : À l’article 1112 du Code civil, le Parlement a souhaité préciser que la réparation, en cas de faute commise pendant les pourparlers, ne pouvait avoir pour objet de compenser « ni » la perte des avantages attendus du contrat non conclu, « ni la perte de chance d'obtenir ces avantages ». Le risque que les juges effectuent un revirement de jurisprudence pour permettre, si ce n’est la réparation intégrale des avantages attendus du contrat non conclu, au moins la réparation d’une fraction de ces avantages par le biais de la perte de chance était faible. Il n’empêche que le Parlement s’est immédiatement accordé pour effectuer cette menue correction.

 

 

Abus de dépendance (art. 1143) : Le Sénat avait, dès sa première lecture, manifesté le souhait de réduire le champ du vice d’abus de dépendance, prévu à l’article 1143 du Code civil. Initialement, les sénateurs avaient souhaité limiter le domaine de cet article à la seule « dépendance économique ». L’hostilité du Gouvernement, relayée par les députés, a fait échouer cet amendement. Le Sénat est donc revenu à la charge, en deuxième lecture, en proposant que la dépendance ne soit envisagée qu’« à l’égard » du cocontractant. Cette modification, finalement acceptée, a pour but d’empêcher que la dépendance puisse être constituée par la seule vulnérabilité intrinsèque d’un contractant (âge, maladie etc.). Seule la dépendance d’un contractant vis-à-vis d’un autre (qu’elle soit économique, psychologique, technologique, financière etc.) pourra donc être prise en compte sur le fondement de l’article 1143, au rebours de l’intention initiale des rédacteurs de l’ordonnance.

Sanction de la fixation abusive du prix dans les contrats de prestation de service (art. 1165) : L’article 1165 du Code civil, qui concerne la fixation unilatérale du prix dans les contrats de prestation de service, ne prévoyait initialement, en cas d’abus dans la fixation du prix, que l’octroi de dommages et intérêts. Les parlementaires ont ainsi aligné le régime de l’article 1165 sur celui de l’article 1164 en permettant au juge, « le cas échéant », de prononcer également la résolution du contrat. Le texte initial n’envisageait pas, en effet, l’hypothèse de contrats de prestation de service à exécution successive, ce qu’a corrigé la loi de ratification.

Le sort des sûretés accordées par le cédant en cas de cession de contrat (art. 1216-3) : Dans sa version initiale, l’article 1216-3 du Code civil prévoyait que si le cédant était libéré par le cédé, les sûretés consenties par des tiers n’étaient maintenues qu’avec leur accord. A contrario, on pouvait en déduire que les sûretés consenties par le cédant étaient, au contraire, automatiquement maintenues. Le Parlement ne l’a pas entendu de la sorte et a modifié l’article 1216-3 afin que les sûretés consenties par le cédant ne soient maintenues qu’avec son accord. En pratique, cela ne changera sans doute pas grand-chose. En effet, le cédé pourra conditionner la libération du cédant à l’accord de celui-ci quant au maintien des sûretés qu’il avait consenties. Libéré en tant que codébiteur, le cédant restera alors tenu en tant que garant.

Exécution forcée (art. 1221) : L’ordonnance du 10 février 2016 a innové en introduisant une nouvelle exception à l’exécution forcée. Aux termes de l’article 1221 du Code civil, l’exécution forcée ne peut pas être obtenue si son coût pour le débiteur est disproportionné par rapport à l’intérêt qu’en retire le créancier. Les critiques à l’encontre de cette exception, qui est une entorse certaine à la force obligatoire du contrat, ont été nombreuses. En particulier, certains auteurs ont craint que cette exception incite des débiteurs à mal exécuter leurs prestations. L’âme humaine étant ce qu’elle est, un débiteur retors aurait pu ne pas exécuter correctement sa prestation, se sachant protégé par le fait accompli dès lors que la reprise de l’exécution aurait eu un coût disproportionné par rapport à l’intérêt du créancier. En vérité, la clause générale de l’article 1104 du Code civil, qui énonce que les contrats se négocient, se forment et s’exécutent de bonne foi, aurait sans doute permis au juge de neutraliser ce comportement. Toutefois, le législateur a ressenti le besoin d’apaiser les craintes de la doctrine en précisant que l’exception à l’exécution forcée n’était ouverte qu’au « débiteur de bonne foi ».

■ Les modifications substantielles :

Contrat d’adhésion et clause abusive (art. 1110 et 1171) : La modification de la définition du contrat d’adhésion et du domaine de la lutte contre les clauses abusives est, sans nul doute, la plus importante de la loi de ratification. Un double mouvement s’est produit, fruit d’un compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Alors que la définition du « contrat d’adhésion » a été élargie à tous les contrats comprenant « un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties », le pouvoir du juge d’éradiquer les clauses abusives a été limité aux seules « clauses non négociables déterminées à l’avance par une partie ». Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette double modification. On se contentera de signaler qu’il n’est plus possible, aujourd’hui, de soutenir que la catégorie des « contrats d’adhésion » se réduit aux seuls « contrats de masse », proposés par un professionnel à une multitude de contractants potentiels. 

Décès de l’offrant (art. 1117) : Finalement, le Parlement s’est accordé pour amender l’article 1117 du Code civil afin qu’il précise que le décès du destinataire de l’offre entraîne, comme le décès de l’offrant, la caducité de l’offre. La logique juridique semblait commander cette solution. En effet, si la face passive de l’obligation au maintien de l’offre (la dette) n’est pas transmise aux héritiers de l’offrant, on voyait mal comment la face active de cette obligation (la créance) aurait pu être transmise aux héritiers du destinataire de l’offre. Cette modification n’a donc qu’un intérêt limité.

Réticence dolosive (art. 1137) : La version initiale de l’ordonnance comprenait une maladresse. Si l’estimation de la valeur de la prestation était exclue du périmètre de l’obligation d’information de l’article 1112 du Code civil, elle était virtuellement comprise dans celui de la réticence dolosive de l’article 1137, alinéa 2. Or, comme l’information sur la valeur de la prestation est, le plus souvent, tue sciemment, et non par maladresse ou imprudence, il était possible de reprocher à un contractant de n’avoir pas donné une telle information sur le fondement du dol. C’est la raison pour laquelle les parlementaires ont ajouté un alinéa 3 à l’article 1137 : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». La jurisprudence Baldus (Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381) est donc, cette fois, consacrée aussi bien sur le terrain de l’obligation d’information que sur celui du dol.

Capacité des personnes morales (art. 1145) : À l’origine, l’article 1145 du Code civil limitait la capacité des personnes morales « aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles ». Cette formulation avait été critiquée par les spécialistes du droit des sociétés qui soutenaient que l’exigence d’utilité des actes au regard de la réalisation de l’objet social pourrait impliquer leur confrontation au critère de l’intérêt social, ou l’interdiction d’actes n’entrant pas dans l’objet social, même s’ils avaient été adoptés à l’unanimité des associés. Le Parlement a donc modifié la formulation de l’article 1145, alinéa 2 comme suit : « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ». Cet article se contente aujourd’hui de renvoyer aux textes spéciaux et n’a donc plus grand intérêt.

Conflit d’intérêts (art. 1161) : Comme pour la capacité des personnes morales, les spécialistes de droit des sociétés ont fustigé, dans leur ensemble, l’article 1161 du Code civil qui prévoyait une disposition destinée à interdire les conflits d’intérêts. Le droit des sociétés contient, en effet, des dispositions spéciales destinées à lutter contre les conflits d’intérêts. Or, l’article 1161 avait vocation à s’appliquer dans le silence des textes spéciaux. Le Haut comité juridique de la place financière de Paris avait, notamment, mis en avant l’incohérence qu’il y aurait eue à appliquer l’article 1161 dans le silence des textes spéciaux. Il estimait en particulier qu’il était « paradoxal » de soumettre les conventions, naguère autorisées par le silence des textes, à un régime encore plus sévère que celui des « conventions règlementées » (HCJP, Propositions d’amélioration de la rédaction des dispositions régissant le droit commun des contrats, 10 mai 2017, p. 17). Or, si le danger de la formulation de l’article 1161 a sans doute été surestimé, compte tenu du faible nombre de sociétés concernées et de la possibilité d’autoriser ou de ratifier la convention passée, le Parlement a décidé d’exclure les personnes morales de l’article 1161. Ce dernier énonce, dans sa version modifiée, qu’« en matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ».

Réduction du prix (art. 1223) : Enfin, la formulation initiale de l’article 1223 du Code civil était particulièrement maladroite. Si l’intention du législateur était claire, à savoir offrir au créancier d’une prestation mal exécutée la possibilité de réduire unilatéralement le prix, cette intention avait été trahie par une plume incertaine. Le Parlement a donc remis l’ouvrage sur le métier en distinguant deux hypothèses. Lorsque le prix n’a pas été payé, le créancier de la prestation mal exécutée peut le réduire unilatéralement. Au contraire, lorsque le prix a été payé, à défaut d’accord des parties, la réduction devra être décidée par un juge. La mise en œuvre de cette sanction est donc aujourd’hui plus claire. Pour autant, ce texte suscite toujours des interrogations. Pourrait-on étendre l’article 1223 au-delà de sa lettre afin de réduire, non pas seulement le prix, mais également les prestations non monétaires, pourvu qu’elles soient divisibles ? La nouvelle formulation ajoute même d’autres questions. Quel doit être le contenu de la mise en demeure préalable à la réduction unilatérale du prix, mentionnée par l’alinéa 1er de l’article 1223 ? S’agit-il de laisser une dernière chance à l’exécution ou de mettre en demeure le débiteur d’accepter la réduction du prix ? La mention d’un accord du débiteur sur la réduction du prix semble orienter vers la seconde branche de l’alternative. Au demeurant, pourquoi le Parlement a-t-il exigé que cet accord soit donné par écrit ? Cet écrit est-il exigé à peine de nullité de l’accord ou à titre probatoire ? 

Où l’on voit qu’il est vain d’espérer qu’un texte puisse donner toutes les réponses aux questions qui peuvent se poser. Le temps du législateur est maintenant passé. Place au temps judiciaire et doctrinal !

Références

■ Ch. mixte, 24 févr. 2017, no 15-20.411 P : Dalloz Actu Étudiant, 17 mars 2017; D. 2017. 793, obs. N. explicative de la Cour de cassation, note B. Fauvarque-Cosson ; ibid. 1149, obs. N. Damas ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2017. 612, obs. M. Thioye ; ibid. 2018. 11, étude H. Jégou et Jonathan Quiroga-Galdo ; AJ Contrat 2017. 175, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier.

■ Soc. 21 sept. 2017 (2 arrêts), no 16-20.103 P et no 16-20.104 P: Dalloz Actu Étudiant11 oct. 2017; D. 2017. 2289, obs. N. explicative de la Cour de cassation, note B. Bauduin et J. Dubarry ; ibid. 2007, note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 435, obs. Centre de droit et d'économie du sport (OMIJ-CDES) ; AJ Contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet ; ibid. 175, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier.

■ Civ. 1re, du 3 mai 2000, n° 98-11.381 P : D. 2002. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages.

■ Dossier législatif : Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Blog réforme du droit des obligations Dalloz

La réforme du droit des obligations, Mathias Latina et Gaël Chantepie, Dalloz 2016 

 

Auteur :Mathias Latina


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