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[ 23 mars 2020 ] Imprimer

Le travail, c’est la santé (ou pas)

Face au contexte angoissant de la progression de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19, le souci de préserver la santé conduit à un recours massif au télétravail (4 salariés sur 10 pourraient en bénéficier selon le Ministère du travail), à la mise en arrêt maladie des salariés contaminés ou en risque de l’être, à celle des parents de jeunes enfants. Nombre de salariés sont également mis en « chômage partiel » lorsque leur activité ne peut se poursuivre. Pour ceux-là, l’exposition au risque épidémique ne provient désormais plus du travail. 

Mais qu’en est-il des salariés appelés à poursuivre leur activité ? Selon les termes employés par le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’activité se poursuit dans les « entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». 

Non sans souligner le mérite des personnes appelées ainsi à travailler dans des conditions de travail difficiles, et la nécessité qu’il y a à rétribuer à leur juste hauteur les efforts exigés, il convient de s’interroger sur la manière dont le droit du travail peut contribuer à les protéger. Trois questions méritent attention : la prévention des risques, la réparation des atteintes à la santé et le respect du droit à la participation.

■ Prévention 

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés. Selon les termes de l’article L. 4121-1 du Code du travail, il est tenu de prendre les « mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ». Ces dispositions obligent donc à prendre toutes les mesures de prévention qui s’imposent dans le contexte d’un risque de contagion. 

Les entreprises doivent ainsi prendre toutes les dispositions pour que les salariés évitent tout contact physique, que soient assurées les distances de sécurité, et que les règles d’hygiène promues par les autorités de santé soient respectées (nettoyage des surfaces, lavage des mains, etc.). 

Nombre d’articles dans la presse ont montré l’insuffisance des actions menées en la matière, que ce soit dans le secteur de la santé, de l’aide sociale, de la sécurité ou des commerces et services. Les salariés ont dû acquitter leur travail sans disposer de masques, de tenues de travail adaptées ou d’un aménagement minimal du lieu de travail. La situation étant compliquée pour les entreprises, la question de la nature de l’obligation de sécurité pourra se poser : l’employeur est-il tenu d’une obligation de résultat ou peut-il, faute de disposer des moyens nécessaires (du fait de la pénurie de masques), imposer une exposition au risque ? La Cour de cassation, dans l’arrêt Air France (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444), a abaissé le niveau d’exigence en considérant que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il a pris toutes les mesures de prévention qui s’imposent. Le simple manque d’équipement ne pourra toutefois suffire à caractériser le respect de cette obligation : il faudra encore que l’employeur montre qu’il a pris toutes les mesures possibles, ce qui, manifestement, n’est pas toujours le cas. 

Il faut par ailleurs rappeler que les obligations ne pèsent pas sur le seul employeur : les salariés sont aussi tenus de veiller à leur propre santé et à celle des autres personnes avec qui ils sont en contact (C. trav., art. L. 4122-1). 

■ Réparation 

Inévitablement, l’exposition aux risques va engendrer des contaminations au cours du travail. La question pourra alors se poser de la prise en charge de ces victimes. Seront-ils reconnus comme victimes de risques professionnels ? Pour que le Covid-19 soit pris en charge comme maladie professionnelle, il faudrait l’inscrire dans les tableaux réglementaires qui listent les maladies professionnelles. A défaut, la reconnaissance comme maladie professionnelle sera en pratique impossible. 

La reconnaissance comme accident du travail est alors envisageable, mais la reconnaissance risque de buter sur des questions de preuve: la période d’incubation du virus rend difficile la preuve d’un lien entre la contamination et le travail. Celui-ci est difficile à opérer du fait du risque de contamination à l’extérieur du travail. Néanmoins, la qualification pourrait être retenue par les juges en présence d’une situation dans laquelle on pourrait dater de manière précise une exposition anormale à un risque : les juges disposent alors d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence d’un lien avec le travail. Cette qualification est importante pour permettre une prise en charge intégrale des soins (notamment les périodes d’hospitalisation) et surtout pour mettre en oeuvre dans l’entreprise des mesures de prévention énergiques, en lien avec l’inspection du travail, les représentants du personnel et les caisses de Sécurité sociale. Si un accident du travail est retenu, la faute inexcusable de l’employeur pourrait aussi être recherchée, entrainant une réparation plus étendue des préjudices subis. 

La question pourrait aussi se poser, même en l’absence de déclaration de la maladie, d’une prise en charge du préjudice d’anxiété pour les salariés contraints de travailler dans des conditions de travail angoissantes. L’assemblée plénière, dans son arrêt du 5 avril 2019 (n° 18-17.442Dalloz Actu Étudiant, 10 avr. 2019, obs. C. Mathieu), puis la chambre sociale le 11 septembre 2019 (n° 17-24.879 à 17-25.623, Dalloz Actu Étudiant, 2 oct. 2019, obs. C. Mathieu) ont ouvert la voie à la prise en charge de ce préjudice en cas « d’ exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave ». 

Les problèmes sociaux sont loin de pouvoir se régler dans l’enceinte judiciaire, mais il faut rappeler que les juges ne manqueront pas de mettre en jeu la responsabilité des entreprises lorsque celles-ci n’auront pas fait tous les efforts possibles en matière de prévention.

■ Participation

Le droit social a pour particularité enfin de ne pas renvoyer le traitement des questions de travail à la prévention ou à la réparation octroyée à titre individuel. Il permet une recherche de solutions collectives aux questions posées dans la gestion de la collectivité des salariés. 

À cet égard, il est assez frappant de constater que nombre de salariés se voient renvoyés au seul exercice individuel du droit de retrait de l’article L. 4131-1 du Code du travail en présence d’un danger grave et imminent, qui permet de se retirer des situations les plus dangereuses sans perte de rémunération. La question n’est pourtant pas purement individuelle et doit être traitée au titre de la détermination collective des conditions de travail. Le Comité social et économique (CSE) dispose en ce cas d’un droit d’alerte en cas de risque grave et imminent, qui permet de faire intervenir l’inspection du travail et éventuellement de faire cesser collectivement le travail (C. trav., art. L. 4132-2 s.). 

La meilleure solution réside cependant dans le dialogue entre les entreprises et les représentants du salarié pour rechercher des solutions adaptées. Dans l’urgence, on peut craindre que cette dimension ne soit, la plupart du temps, mal respectée. L’article 7. I. 1. viii. du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 n’évoque que la possibilité de modifier les modalités d’information consultation du CSE, ce qui semble conduire à limiter pour des considérations d’urgence les prérogatives du CSE. 

Il faudrait pourtant rappeler que ce sont les salariés qui peuvent le mieux percevoir les risques qu’ils encourent et rechercher des solutions adaptées. De ce point de vue, on peut craindre que l’épreuve de l’épidémie de Covid-19 ne conduise à montrer très concrètement que la réforme des institutions représentatives par les ordonnances du 22 septembre 2017 a des effets calamiteux sur le droit à la représentation. Cette réforme a engendré la fois la suppression des délégués du personnel, représentants du personnel caractérisés par les liens étroits qu’ils entretenaient avec la collectivité de travail, et celle des CHSCT, organes disposant d’une expertise dans les questions de santé au travail. Le CSE risque ici de s’avérer trop loin des collectifs de travail car organisé de façon très centralisée dans l’entreprise, et, trop peu aguerri aux questions techniques liées aux conditions de travail, par son caractère très généraliste. 

La solution pourrait être recherchée du côté du représentant de proximité, dont le rôle n’est pas défini par le Code du travail. Ne serait-il pas opportun à la fois de le rendre obligatoire dans toutes les entreprises et de lui confier un rôle essentiel en matière de prévention ? 

Attendons le retour des jours heureux pour réfléchir sereinement à ces questions, et souhaitons que chacun agisse au mieux à son niveau pour favoriser au maximum la prévention, seul remède efficace contre la propagation de l’épidémie. 

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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