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Quel modèle de responsabilité pour les gestionnaires publics ? 3e partie : perspectives
Ce billet s’inscrit dans une continuité. Alors que la Cour des comptes avait co-organisé, en octobre 2019, un colloque sur la responsabilité financière des gestionnaires publics, un premier billet avait interrogé le modèle français pour en révéler les insuffisances (Quel modèle de responsabilité pour les gestionnaires publics ? 1re partie : le modèle français, DAE 7 oct. 2019). Un deuxième billet avait permis d’enrichir la réflexion au travers des expériences étrangères et notamment européenne (Quel modèle de responsabilité pour les gestionnaires publics ? 2e partie : approche comparée, DAE 18 nov. 2019). L’occasion de découvrir les manières avec lesquelles certains pays ont mis en place un régime de responsabilité financière incluant, sans exception, l’ensemble des acteurs de l’exécution budgétaire.
C’est ensuite le Gouvernement qui a pris la main en initiant, en décembre 2019, une mission (notamment confiée à Jean Bassères) visant à établir les voies d’évolution possible en la matière. Les rapports issus de cette mission ont été rendus publics en décembre 2020 (Rapport Bassères et Rapport Damarey).
En parallèle, le nouveau premier Président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a initié un programme de réflexion (Juridictions financières 2025) visant à réformer les juridictions financières, sous un angle élargi à l’ensemble des missions de ces dernières. C’est dans ce cadre que le Comité de réflexion sur l’avenir de la Cour s’est projeté, à l’horizon d’une décennie, et a remis au Premier président en janvier 2021, une série de propositions présentées comme des pistes de progrès. Là également, le cadre de réflexion a été élargi à l’ensemble des missions des juridictions financières sans se limiter à la thématique de la responsabilité financière des gestionnaires publics.
En perspective, les arbitrages du Premier président, sont annoncés pour ce mois de février ainsi que les conclusions de la mission sur l’avenir des finances publiques, confiée à Jean Arthuis.
L’intervention du premier sera, bien évidemment, primordiale en ce qu’elle fixera un cap précis et annonciateur, très certainement, des réformes à venir pour ces juridictions financières.
En particulier, et s’agissant de la responsabilité financière des gestionnaires publics, l’interrogation apparaît alors que les propositions issues des rapports de décembre 2020 et du Comité de réflexion divergent sur certains points.
Le Comité propose d’élargir la compétence de la CDBF aux ministres et élus locaux, de retenir une approche plus sélective et dissuasive de la fonction juridictionnelle et de préciser la responsabilité des gestionnaires publics en fonction de la gravité des fautes reprochées.
Une approche qui combine certaines des propositions formulées dans les rapports rendus publics en décembre 2020, lesquels s’accordent, notamment, sur la nécessité d’une responsabilité financière unifiée des gestionnaires publics.
Le rapport Bassères entreprend, toutefois, d’écarter de ce régime de responsabilité les ministres et les élus locaux, de restreindre le champ de responsabilité des comptables publics et de supprimer les compétences juridictionnelles de la Cour des comptes pour faire de la CDBF, le seul juge financier des acteurs de l’exécution budgétaire.
Tandis que le Comité de réflexion propose de maintenir la répartition actuelle des compétences juridictionnelles entre la Cour des comptes et la CDBF, la première compétente à l’égard des comptables publics, la seconde à l’égard des administrateurs publics.
Or, la mise en place d’un régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics, tel que préconisé par les deux rapports de décembre, suppose de confier à un juge et à un seul, compétence pour juger de la responsabilité des acteurs de l’exécution budgétaire. Un régime unifié qui permet de distinguer les manquements et les responsabilités. Trop souvent, dans le système actuel, l’agent comptable se trouve mis en cause pour des manquements imputables à l’ordonnateur. La mise en place d’un régime unifié de responsabilité permet justement de replacer l’examen d’une gestion publique, d’une comptabilité publique dans ses éléments de contexte et de sanctionner les véritables responsables. Le tout, bien évidemment et comme cela est proposé tant par les rapports que par le Comité de réflexion, en tenant compte de la gravité des manquements reprochés. C’est ici un point qui fait l’unanimité : la gravité doit entrer en ligne de compte. Ceci déplace bien évidemment les curseurs d’intervention du juge financier qui ne jugera pas les acteurs de l’exécution budgétaire comme il jugeait les comptables : la sanction ne doit plus être systématique et doit être réservée aux reproches les plus graves. C’est un point de départ essentiel à toute réforme des juridictions financières : identifier ce qui doit être jugé et finalement, obliger le juge financier à sortir de ses zones de confort dans lesquelles, par habitude, il a développé des techniques de jugement, ciblant par priorité certains contrôles pour lesquels il sait pouvoir détecter des irrégularités. Les manquements sanctionnés ne sauraient être véniels mais au contraire, sans rechercher la symbolique, doivent cibler les manquements les plus significatifs. L’objectif est là également partagé : il s’agit d’éviter qu’une sanction trop systématique en vienne à paralyser l’action publique.
En maintenant les compétences de la CDBF et de la Cour des comptes, le Comité de réflexion ne permet pas la mise en place d’un régime de responsabilité unifié. Il conforte le juge financier dans ce système bancal qui, très largement, a prouvé qu’il n’était pas efficace. Le Comité regrette, certes, la lenteur en général des travaux de la Cour et préconise d’en réduire les délais de production. Mais indéniablement, le système gagnerait encore en efficacité si l’examen d’une gestion publique n’était pas ainsi scindé entre deux juges, avec le risque d’un décalage à constater dans les décisions prises par ces Cours.
La mise en place d’un régime unifié de responsabilité confié à un juge financier apparaît être la solution la plus à même de répondre aux attentes d’une mise en cause effective de la responsabilité financière des gestionnaires publics.
Reste à déterminer le juge compétent. Le rapport Bassères préconise d’en confier compétence à la CDBF, ce faisant en supprimant les compétences juridictionnelles de la Cour des comptes. Ce modèle ne nous semble pas le plus approprié. On peut s’interroger sur la capacité de la CDBF à atteindre un rythme de croisière suffisant dans le nombre d’affaires traitées chaque année. On peut s’attendre à une activité moindre que celle de la Cour des comptes (168 arrêts en 2019, au titre du jugement des comptes des comptables publics) car la gravité des faits, limitera l’intervention du juge financier mais on peut douter que l’activité de ce dernier se limite à quelques dizaines d’arrêts rendus chaque année (12 arrêts rendus par la CDBF en 2019). Or cela supposerait que les membres du Conseil d’État, présents pour moitié dans la composition de la CDBF, puissent y consacrer un temps beaucoup plus important.
Ce modèle apparaît également comme une négation et même une défiance à l’égard de la Cour des comptes, estimant nécessaire que sa compétence soit contrebalancée par la présence de membres du Conseil d’État…
Une proposition alternative est toutefois envisageable. Faire de la Cour des comptes, un juge de première instance (avec une représentation régionale au travers des chambres régionales des comptes) et assurer la possibilité d’un appel devant la CDBF – d’un juge d’appel des juridictions financières, peu importe l’appellation -, en retenant sa composition actuelle (pour moitié membres du Conseil d’État et autre moitié, membres de la Cour des comptes). Ceci permettrait également de remédier à l’un des problèmes actuels du schéma juridictionnel financier : l’impossibilité pour certains comptables, parce qu’ils relèvent directement de la Cour des comptes, de bénéficier de la voie de l’appel. Plus largement, cela permettrait également d’offrir cette voie contentieuse à l’ensemble des gestionnaires publics.
Ces quelques réflexions en appellent d’autres. La publication prochaine au sein de l’AJDA d’un article consacré à ces propositions, suivra de peu les arbitrages réalisés par le Premier président courant février – et également, espérons-le, les propositions issues de la Commission sur l’avenir des finances publiques.
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