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Le cas du mois
Droit de la responsabilité civile
Adhémar et Désiré, vacances à l’eau
Ce devait être de superbes vacances estivales pour nos deux compères… Adhémar et Désiré avaient donc pris le train en gare de Limoges.
Ils devaient arriver en milieu de journée, à 13 h 15 très précisément, à Paris, ce qui leur permettait de se rendre à Roissy où leur avion pour le Brésil s’envolait à 17 h 00. Hélas, à 12 h 30, le train s’arrêta en gare des Aubrais et y resta à l’arrêt jusqu’à 15 h 30. Ils arrivèrent gare d’Austerlitz à 16 h 30… Adieux Copacabana, São Paulo, l’Amazonie… Et retour case départ à Limoges, le jour même, par le premier train… Pendant le voyage alors que nos deux infortunés amis essayaient de noyer leur déception dans la lecture de magazines sans intérêt, un de leurs voisins qui somnolait tranquillement depuis le début du voyage, se jette sur Adhémar et d’un coup de tête lui casse le nez…
De retour dans leur bonne ville de Limoges, nos deux larrons reprennent leurs esprits et réclament à la SNCF, des dommages-intérêts, d’une part, pour compenser les frais engagés en pure perte pour leur voyage au Brésil, d’autre part, pour réparer le dommage corporel subi par Adhémar.
En réponse, le service juridique de la SNCF leur indique que la responsabilité de celle-ci ne peut pas être engagée pour ces deux dommages en raison de leur caractère imprévisible…
Qu’en pensez-vous ?
■ ■ ■
En ce qui concerne le dommage résultant du retard avec lequel le train les a amenés à Paris, il convient d’appliquer l’article 1150 du Code civil aux termes duquel le débiteur n’est tenu que des dommages prévisibles lors de la conclusion du contrat. En substance, puisqu’on est en matière contractuelle, on ne peut exiger du débiteur que l’exécution par équivalent de l’obligation inexécutée : les dommages-intérêts dont il peut être tenus sont cristallisés dans la prestation promise, car il existe une identité entre l’étendue de la réparation et le contenu de la promesse : « l’équivalent ne peut pas dépasser le promis » (v. Ph. le Tourneau). Quant aux suites du manquement contractuel, qui sont extrinsèques à la prestation promise lors de la conclusion du contrat, elles supposent, pour donner lieu à des dommages-intérêts, que le créancier prouve que le débiteur savait ou aurait dû savoir qu’elles étaient entrées dans l’économie du contrat, dans le champ de ses attentes légitimes.
C’est en application de ce texte, que la Cour de cassation a tranché un litige semblable à celui de nos compères (Civ. 1re, 28 avr. 2011). Ainsi, la première chambre civile a exhumé l’article 1150 du Code civil, que l’on croyait rejeté dans les oubliettes du Code, à propos de passagers, en route vers Cuba, qui avaient échoué en gare de Massy-Palaiseau… Dépités de ne pas avoir pu s’envoler vers le Brésil, ils réclamaient à la SNCF, à titre de dommages-intérêts, l’équivalent du prix de leur voyage raté et des frais d’hébergement engendrés par leur séjour inopiné à Paris. Alors que le juge de proximité avait accédé à leur demande, la Cour a censuré sa décision pour manque de base légale, au visa de l’article précité. Concrètement, avec cette décision, la Cour permet à la SNCF de réaliser de substantielles économies, car celle-ci ne peut donc être tenue de réparer que les seuls dommages contractuels dont elle pouvait légitimement prévoir qu’ils se produiraient, au cas où elle manquerait à sa promesse de transporter ses passagers à l’heure et au lieu contractuellement fixés… Hormis, les pertes subies en raison du retard en gare de Montparnasse, la SNCF ne pouvait donc être tenue de réparer aucun autre dommage.
Quant à l’agression dont a été victime Adhémar, on relèvera que jusqu’à un tout récent arrêt rendu par la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 juin 2011), son indemnisation n’aurait fait guère de doute, car la Cour semblait exclure systématiquement la force majeure au profit de la SNCF. Non seulement, elle était revenue au système du tout ou rien en cas de faute de la victime (Civ. 1re, 13 mars 2008) comme au bon vieux temps de l’arrêt Desmares, mais encore, la force majeure semblait pour le transporteur ferroviaire, une cause d’exonération purement virtuelle, puisque la faute de la victime, pas plus que le fait d’un tiers, n’étaient jamais considérés comme imprévisibles et irrésistibles. Tant et si bien qu’il était permis de penser que plus qu’à un système de responsabilité, dans lequel on ne doit répondre que des seuls préjudices que l’on a causés, la SNCF était soumise à un système de garantie, l’obligeant à indemniser tous les dommages subis par ses passagers.
Or, à propos d’une affaire de crime d’un passager, la Cour semble avoir desserré quelque peu l’étau. Pendant la coupe du monde de football de 1998, un passager avait été poignardé par un autre, dans un train qui se rendait à Saint-Étienne. Alors que le demandeur au pourvoi contestait que le fait du tiers puisse être qualifié de force majeure, la Cour de cassation a décidé que les juges du fond avaient à bon droit décidé que le fait du tiers présentait les caractères de la force majeure, motif pris que le geste du supporter présentait « un caractère irrationnel », et « n’eût pu être empêché ni par un contrôle à bord du train des titres de transport, (…) ni par la présence permanente d’un contrôleur dans la voiture, non plus que par une quelconque autre mesure à bord du train » (Civ. 1re, 23 juin 2011). Finalement, donc, force majeure et SNCF ne sont plus incompatibles : comme la faute intentionnelle de la victime (Ass. plén. 14 avril 2006), le fait irrationnel du tiers fait échapper le transporteur garant à sa responsabilité, parce que même dans un système de garantie, le geste d’un dépressif qui met fin à ses jours ou d’un fou qui met fin à ceux d’autrui sont absolument inévitables.
Conclusion, nos deux larrons n’iront pas cet été au Brésil, toutefois, Adhémar pourra peut-être se consoler en s’offrant un nouveau nez aux frais de la SNCF.
Références
« Au sens large, tout événement imprévisible et insurmontable empêchant le débiteur d’exécuter son obligation; la force majeure est exonératoire.
Au sens étroit, la force majeure s’oppose au cas fortuit ; elle est un événement non seulement imprévisible et insurmontable mais encore d’origine externe, absolument étranger à la personne du débiteur (force de la nature, fait du prince, fait d’un tiers).
La Cour de cassation n’exige plus la condition d’extériorité, en matière contractuelle du moins; elle admet qu’il y a force majeure lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement présentait un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et était irrésistible dans son exécution. »
« Obligation introduite par la jurisprudence dans certains types de contrat et par laquelle le débiteur est tenu d’assurer, outre la prestation principale, objet du contrat, la sécurité du créancier. Ainsi dans le contrat de transport de personnes, le transporteur doit non seulement déplacer le voyageur d’un endroit à un autre, mais encore faire en sorte qu’il soit sain et sauf à l’arrivée. Cette obligation a été étendue aux contrats les plus divers relatifs, par exemple, aux manèges forains, aux établissements hôteliers, aux restaurants, aux agences de voyages, aux salles de spectacles. L’obligation de sécurité peut être une obligation de moyens ou une obligation de résultat.
De son côté le législateur dispose que les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Article 1148
« Il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. »
« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. »
■ Civ. 1re, 28 avr. 2011, n° 10-15.056, Dalloz Actu Étudiant 4 mai 2011 ; D. 2011. 1725, note M. Bacache.
■ Civ. 1re, 23 juin 2011, n°10-15.811, Dalloz Actu Étudiant 6 juill. 2011.
■ Civ. 1re, 13 mars 2008, n°05-12.551, D. 2008. 1582, note G. Viney.
■ Civ. 2e, 21 juill. 1982, Bull. civ. II, n°182, D. 1982. 419; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, 12e éd., Dalloz, 2008, n°211-213.
■ Ass. plén. 14 avril 2006, n°04-18.902, D. 2006. 1577, note P. Jourdain.
■ Ph. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats 2010-2011, 8e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2010, n°1037.
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