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Le cas du mois

Mauvaise chute

[ 23 mars 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Mauvaise chute

Depuis leur dernier accident de scooter, Désiré et Adhémar, lassés des activités à risque, s’étaient récemment inscrits dans un club de sport pour y suivre des cours de gymnastique. 

Si les premiers cours ne se sont pas révélés trop exigeants, le niveau des exercices demandés a progressivement augmenté. Les figures à réaliser devenaient de plus en plus difficiles, voire risquées. Eux qui souhaitaient s’initier à un sport sans danger et relaxant… Raté ! C’est ainsi qu’Adhémar, au cours d’un enchaînement au sol de plusieurs figures, effectua en fin de trajectoire un salto arrière dont la mauvaise exécution eut pour conséquence de lui faire perdre l’usage de ses jambes, non pas de manière définitive, fort heureusement, mais pour une durée de six mois. 

«Ça devait bien finir par arriver », dit Désiré sur un ton fataliste. « Tu as vu l’état de leurs tapis de sol ? Pour ne pas y glisser, il faudrait se mettre de la colle aux pieds ! Sans compter que le directeur du club aurait dû recruter quelqu’un pour encadrer les entraînements, du moins pour les figures avec sauts, pour aider le gymnaste à la réception et parer à une éventuelle chute. Mais voilà, pour faire des économies de bout de chandelles, non seulement il met à notre disposition des vieux tapis usés, mais il refuse d’embaucher quelqu’un pour assurer la sécurité de ses membres, c’est honteux, non ? », déplora Désiré. 

« Je sais… », répondit Adhémar, « mais qu’est-ce tu veux, on ne va pas refaire l’histoire de toute façon »

« Non, mais on peut la raconter à un juge », lui opposa son cousin du tac au tac ; « le club est forcément responsable, et il est hors de question que tu ne sois pas indemnisé de l’accident qui t’est arrivé, par leur faute ! »

« Ça veut dire qu’on est reparti pour un nouveau procès ? Je n’ai pas l’âme d’un procédurier moi, je commence à me lasser de toutes ces querelles judiciaires, surtout dans mon état, je suis fatigué, moralement comme physiquement », lui confia Adhémar. 

« Ne t’inquiète pas, je serai combatif pour deux ! Et promis, je te porterai avec ton fauteuil pour que tu puisses atteindre le haut des marches du Palais de justice ! », lui jura Désiré. 

« S’il est encore question de justice, alors d’accord, je te suis. On attaque le club. Par contre, tu t’occupes seul du dossier cette fois ? Comme je te le disais, je suis épuisé », répéta Adhémar. 

« Seul ?? Déjà qu’à deux, on peine à y arriver… Je vais faire comment, moi, sans personne pour m’épauler ? », s’inquiéta Désiré.

Vous lui prêtez main forte ?

■ ■ ■

Sélection des faits : Alors qu’il effectuait un salto arrière lors d'un entraînement de gymnastique, Adhémar se blesse et se trouve paralysé des deux jambes. Il souhaite, en même temps que Désiré, assigner le club de sport en responsabilité auquel il reproche un manque de sécurité dans l’organisation des séances.

Qualification des faits : Gravement blessé à l’occasion d’une séance de gymnastique pratiquée dans un club sportif, un adhérent souhaite engager la responsabilité du club auquel il impute deux manquements contractuels : le mauvais état des tapis mis à la disposition des clients, et le manque de personnel pour pallier le risque de chute.

Problème de droit : Quelle est l’étendue de la responsabilité d'un club de gymnastique à l'égard d'un pratiquant ? Plus précisément, quelle est la nature de l’obligation de sécurité qui incombe aux entraîneurs des clubs sportifs : est-ce une simple obligation de moyens ou une obligation de résultat ?

Éléments de réponse:

En droit, le principe d’une obligation de sécurité à la charge de tout entrepreneur est depuis longtemps reconnu en jurisprudence, principalement lorsque le contrat porte sur une prestation offerte au client dans des locaux dont l’entrepreneur, en l’occurrence ici, le club sportif, a la maîtrise et qu’il doit donc aménager afin de protéger et de garantir la sécurité des clients. L’exigence d’une obligation de sécurité en matière sportive se comprend parfaitement en ce que la plupart des activités sportives sont potentiellement dangereuses. Le danger qui se présente étant susceptible de variation, le seuil d’exigence de sécurité l’est tout autant. C’est pourquoi la difficulté que présente cette obligation de sécurité se situe moins dans son existence, de portée générale, que dans son intensité : selon les cas, il s’agit d’une obligation de résultat, entendue comme l’obligation de parvenir à un résultat déterminé, ou d’une simple obligation de moyens, qui renvoie à une obligation générale de prudence et de diligence, c’est-à-dire, non de parvenir au résultat, mais d’engager tous les efforts nécessaires à son obtention.

Malgré le flou observé en jurisprudence sur la logique exacte présidant à cette classification, l’obligation de sécurité est néanmoins la plupart du temps qualifiée de moyens plutôt que de résultat en raison de la participation du client à la réalisation de la prestation, autrement dit, du pouvoir d’initiative laissé au créancier de l’obligation de sécurité, lequel se révèle déterminant. Le principe veut que l’obligation de sécurité ne soit que de moyens parce que les participants créanciers, ont, très généralement, un rôle actif dans l’exécution de l’activité sportive. Puisque le débiteur n’est pas seul à maîtriser la pratique de l’activité, son obligation n’est pas de résultat (V. par ex. : Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 16-11.953  P: DAE 25 févr. 2017, note M. Hervieu).

En revanche, et par exception, lorsque les participants jouent un rôle passif et que l’entraîneur contrôle entièrement l’activité pratiquée, son obligation de sécurité croît en intensité pour se transformer tantôt en obligation de résultat (Civ. 1re, 21 oct. 1997, n° 95-18.558 P: « l’organisateur et le moniteur d’un vol en parapente sont tenus d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de leurs clients pendant les vols, au cours desquels ceux-ci n’ont joué aucun rôle actif »), tantôt en obligation de moyens « appréciée avec plus de rigueur », ce qu’on appelle l’obligation de moyens renforcée (Civ. 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221 P : « le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux » ; pour un club organisateur de lutte, V. égal. Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-17.904  P: DAE 15 juin 2018, note L. Vernhes).

En l’espèce, le rôle actif des participants à l’activité litigieuse qui ne présente pas, en soi, de dangerosité particulière, incite à considérer comme étant de moyens l’obligation de sécurité incombant à l’exploitant du club de gymnastique.

En droit, cette qualification est évidemment moins avantageuse pour le client victime : alors que dans le cas d’une obligation de résultat, ce dernier n’aura qu’à rapporter la preuve de l’échec du débiteur à atteindre le résultat déterminé pour engager sa responsabilité contractuelle sans avoir à prouver une faute de sa part (V. par ex. : Civ. 1re, 30 nov. 2016, n° 15-25.249 P : DAE 15 déc. 2016), dans le cas d’une obligation de moyens, il devra au contraire établir que le débiteur de l’obligation n’a pas effectué les diligences envisagées pour parvenir au résultat envisagé, la faute résultant le plus souvent d’un défaut de précautions (V. par ex. : Civ. 1re, 1er déc. 1999, n° 97-21.690 P).

Ajoutons que si dans le cadre d’une obligation de moyens, les juges ne déduisent pas la faute contractuelle de la simple survenance du dommage comme en matière d’obligation de résultat, leur pouvoir souverain d’appréciation leur permet de fixer l’indemnisation de la victime à la mesure de la réalité du dommage subi.

En l’espèce, cette preuve devrait pouvoir être facilement rapportée : la présence de tapis en meilleur état ainsi que celle d'une personne pour aider le gymnaste à la réception de son saut auraient permis, sinon d'éviter la chute, du moins d'en réduire les conséquences. Il s’agit bien d’une mauvaise exécution par le club de son obligation de sécurité, susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. À cela s’ajoute le caractère néophyte de la victime, en situation d’apprentissage, dont la jurisprudence tient compte également pour caractériser l’inexécution de l’obligation de sécurité (Civ. 1re, 16 mai 2018, préc.).

 

C’est ainsi que dans un arrêt récent de la Cour de cassation dont les faits présentent une certaine identité avec ceux relatés, la Cour de cassation a engagé la responsabilité d’un club sportif pour manquement à son obligation de sécurité de moyens, résidant dans le fait d’avoir utilisé des tapis dont les caractéristiques et l'usure ne permettaient pas d'amortir les chutes des gymnastes ainsi que d’ avoir omis de mettre une personne « dans la zone à risque, en fin de diagonale, pour parer une chute ». Elle a toutefois limité la réparation à une perte de chance d'un tiers au motif que la présence de tapis plus efficaces et d'une personne pour aider la gymnaste n'auraient pas permis d'éviter sa chute mais seulement d'en réduire les conséquences (Civ. 1re, 3 févr. 2021, n° 19-16.288).

NB : Quoique que la question n’était pas directement posée, il semble se déduire du présent arrêt qu’un gymnaste qui pratique des figures dangereuses est censé accepter les risques inhérents à cette activité ; certes, la théorie de l’acception des risques a été abandonnée par la jurisprudence et par la loi (C. sport, art. L. 321-3-1), mais elle concernait uniquement la responsabilité du fait des choses et non la responsabilité contractuelle telle que celle des clubs sportifs.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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