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Procédure pénale
Contrôle du parquet sur la garde à vue : la chambre criminelle se prononce
Mots-clefs : Garde à vue (contrôle), Ministère public (rôle, statut), Convention européenne des droits de l'homme, Droit à la sûreté
Même si le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5, § 3, de la Conv. EDH, la cassation n'est pas encourue dès lors que la privation de liberté constituée par la garde à vue a été d'une durée compatible avec le texte conventionnel.
Après la Cour européenne dans l'arrêt Moulin (CEDH 23 nov. 2010), la chambre criminelle, à son tour, se prononce sur la compatibilité du contrôle du parquet sur la garde à vue avec la Conv. EDH, par arrêt FP-P+B+R+I du 15 décembre 2010. En l'espèce, une personne avait été placée en garde à vue puis mise en examen pour avoir blessé l'un de ses voisins. Elle avait présenté une requête aux fins d'annulation de pièces de la procédure, en soutenant notamment que le procureur de la République, sous le contrôle duquel avait été ordonnée puis prolongée la garde à vue, n'était pas une autorité judiciaire compétente au sens de l'article 5, § 3, de la Conv. EDH. Sa requête fut rejetée par les juges du fond.
Saisie de son pourvoi, la chambre criminelle énonce, pour la première fois, que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5, § 3, de la Conv. EDH, dès lors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante. Pour autant, la censure de la décision déférée, qui avait écarté comme mal fondée la demande d'annulation de la garde à vue, n'est pas prononcée, « dès lors que le demandeur a été libéré à l'issue d'une privation de liberté d'une durée compatible avec l'exigence de brièveté imposée par ledit texte conventionnel ». En d'autres termes, si la requête en annulation présentée par le demandeur ne prospère pas, son argumentation, elle, y parvient en partie. En revanche, la Haute cour en limite les conséquences, en se fondant, pour cela, sur la jurisprudence européenne.
On rappellera qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 5 (Droit à la liberté et à la sûreté) de la Conv. EDH, « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience ». Cette disposition reconnaît à toute personne privée de liberté dans les conditions de l'article 5, § 1, le droit d'être aussitôt traduite devant un juge ou libérée. Il s'évince de la jurisprudence européenne (v. F. Sudre et al.) que ce contrôle doit être prompt, automatique et opéré par « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Sur ce dernier critère, la position de la Cour a évolué : celle-ci considère, depuis l'arrêt Huber (CEDH 23 oct. 1990, Huber c. Suisse), que l'impartialité du magistrat se prononçant sur le maintien de la détention peut paraître sujette à caution s'il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure à titre de partie poursuivante (v. Sudre et al., préc., p. 203).
La question du contrôle de la garde à vue française a été posée à la Cour européenne. À la suite des arrêts Medvedyev (CEDH 10 juill. 2008 ; CEDH, Gde ch., 29 mars 2010), celle-ci a récemment indiqué, dans l'affaire Moulin (préc.), que, « du fait de leur statut […], les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de "magistrat", au sens de l'article 5, § 3 » (§ 57). En l'espèce, elle a, par référence au critère de promptitude évoqué précédemment et à la limite — de 4 jours et 6 heures — posée par l'arrêt Brogan (CEDH 29 nov. 1988 ; v. égal. CEDH 27 mai 2004, Ayaz c. Turquie ; CEDH 1er avr. 2008, Varga c. Roumanie), constaté une violation de l'article 5, § 3, en raison du délai excessif (5 jours) qui avait séparé l'arrestation de la requérante et sa présentation à un magistrat capable d'examiner le bien-fondé de sa détention.
Le présent arrêt de la chambre criminelle s'inscrit dans la lignée de cette jurisprudence européenne : la Haute cour y reconnaît que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5, § 3 (et de ce « seul » article, est-on tenté de préciser), en raison, notamment, de sa qualité de partie poursuivante. Elle fait cependant prévaloir le critère de promptitude pour décider que le délai entre le placement en garde à vue et la remise en liberté, de vingt-cinq heures et cinq minutes, était suffisamment bref pour ne pas emporter violation du texte conventionnel.
Cette décision intervient, faut-il encore le préciser, dans un contexte de réforme de la garde à vue, consécutive à la décision d'inconstitutionnalité du 30 juillet 2010 (Cons. const. 30 juill. 2010), et le jour même où la Commission des lois de l'Assemblée nationale était appelée à se prononcer sur le projet de loi, tel qu'amendé par le gouvernement à la suite des arrêts de la chambre criminelle du 19 octobre 2010 (Crim. 19 oct. 2010 [3 arrêts]). Cette dernière a rejeté le principe de l'audition libre et revu, en partie, le rôle du parquet dans le déroulement de la mesure en adoptant un amendement confiant le contrôle de la procédure au juge des libertés et de la détention. Concomitamment, les procureurs de la République, réunis à l'occasion de l'élection de leur représentant au Conseil supérieur de la magistrature, ont appelé à une réforme urgente de leur statut, notamment en ce qui concerne les conditions de leur nomination (v. Le Monde 15 déc. 2010).
Crim. 15 déc. 2010, FP-P+B+R+I, n° 10-83.674
Références
« Mesure par laquelle un officier de police judiciaire retient dans les locaux de la police, pendant une durée légalement déterminée, toute personne qui, pour les nécessités de l’enquête, doit rester à la disposition des services de police.
La durée de la garde à vue dépend de la nature de l’infraction : elle est plus longue en cas de criminalité ou de délinquance organisées (terrorisme, trafic de stupéfiants…). »
« Ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société.
Indépendants des juges du siège, les magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne bénéficient pas de l’inamovibilité.
En matière civile, le ministère public peut être partie principale ou partie jointe. En matière pénale, il est toujours partie principale. »
« Magistrats composant le ministère public dans chaque tribunal de grande instance, placés sous l’autorité d’un procureur de la République. Il est tenu une liste de rang des membres du parquet (procureur, procureur-adjoint, vice-procureur, substitut) déterminant la place de chacun dans les cérémonies publiques, les assemblées générales et les formations de la juridiction. »
■ Parquet général
« Nom donné à l’ensemble des magistrats exerçant les fonctions du ministère public à la Cour de cassation et auprès des cours d’appel. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à la liberté et à la sûreté
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente ;
e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
■ CEDH 23 nov. 2010, Moulin c. France, n° 37104/06, Dalloz Actu Étudiant 1er déc. 2010.
■ CEDH 23 oct. 1990, Huber c. Suisse, n° 12794/87, série A n° 188.
■ CEDH 10 juill. 2008, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03.
■ CEDH, Gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03, Dalloz Actu Étudiant 8 avr. 2010.
■ CEDH 29 nov. 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni, nos 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85, série A n° 145-B.
■ CEDH 27 mai 2004, Ayaz c. Turquie, n° 11804/02.
■ CEDH 1er avr. 2008, Varga c. Roumanie, n° 73957/01.
■ Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz Actu Étudiant 14 sept. 2010.
■ Crim. 19 oct. 2010, n° 10-82.902, Dalloz Actu Étudiant 27 oct. 2010.
■ Crim. 19 oct. 2010, n° 10-82.306, Dalloz Actu Étudiant 27 oct. 2010.
■ Crim. 19 oct. 2010, n° 10-85.051, Dalloz Actu Étudiant 27 oct. 2010.
■ F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, 5e éd., 2009, PUF, coll. « Thémis-Droit », p. 201 s.
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