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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Insémination post mortem, pas d’urgence !
Le juge des référés refuse pour défaut d’urgence la demande de transfert des gamètes à l’étranger d’un homme décédé afin que sa compagne puisse bénéficier d’une PMA post mortem, le juge administratif a toujours été très strict sur ce type de demande.
CE, ord., 28 décembre 2021, n° 456966
Un homme avait procédé à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) du centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie. À la suite de son décès, le 10 septembre 2019, sa compagne a souhaité que celles-ci soient transférés dans un établissement de santé situé aux États-Unis, afin de pouvoir bénéficier d’une insémination post-mortem.
Devant le refus de la directrice générale de l’Agence de la biomédecine, le 17 mars 2021, la compagne a saisi le juge des référés du tribunal administratif afin qu’il soit enjoint au CHU d’Amiens et à l’Agence de la biomédecine de permettre l’exportation des gamètes de son compagnon vers un établissement étranger.
Mais par une ordonnance du 9 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative n’était pas, en l’espèce, satisfaite.
La compagne a donc formé un pourvoi contre cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État qui a également rejeté, le 28 décembre 2021, cette demande, pour défaut d’urgence.
Le juge a rappelé ses compétences en matière de sauvegarde des libertés fondamentales. Ainsi, « il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521 2 du code de justice administrative, de prendre, en cas d’urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d’une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements. Toutefois, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement de ces dispositions doit toujours justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »
En l’espèce, la requérante faisait valoir l’existence d’un risque imminent lié à la destruction des paillettes détenues par le CHU Amiens-Picardie en se fondant uniquement sur le fait que son compagnon soit décédé deux ans avant. Elle soutenait également que la plupart des pays européens autorisant l’insémination à titre posthume circonscrivaient cette possibilité dans des délais restreints. Toutefois, elle ne pouvait utilement s’en prévaloir dès lors qu’elle demandait le transfert des gamètes de son compagnon vers un établissement situé en Californie. Sa demande ne pouvait donc remplir les conditions d’urgence exigées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Du fait de l’absence d’urgence, elle ne pouvait pas non plus soutenir que l’ordonnance du tribunal administratif « serait entachée d’erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier faute d’avoir recherché si l’interdiction de toute exportation de gamètes en vue d’une utilisation contraire aux règles du droit français portait une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Cette décision permet de revenir sur la position française de la PMA post mortem.
La question de sa légalisation s’est posée lors des débats législatifs de la dernière loi de bioéthique et avant même les discussions au Parlement.
Dans son avis du 18 juillet 2019, le Conseil d’État avait interpellé le Gouvernement à ce sujet : le projet de loi « maintient … la condition tenant au fait d’être en vie au moment de la réalisation de l’AMP, ce qui écarte toute possibilité de recourir à l’AMP à l’aide des gamètes d’un homme décédé ou des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé. Cette situation aboutit à ce qu’une femme dont l’époux est décédé doive renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle sera autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur ». Le Conseil d’État estimait qu’il était paradoxal de maintenir cette interdiction alors que le législateur ouvrait l’AMP aux femmes non mariées. Toutefois, le principe d’égalité n’était pas méconnu dès lors que la femme seule et la femme dont le conjoint ou le concubin est décédé sont placées dans des situations différentes, notamment au regard de leur capacité à consentir librement à une AMP et au regard de la filiation de l’enfant. Cette recommandation du Conseil d’État n’a pas été suivie par les parlementaires et le décès d’un des membres du couple fait donc toujours obstacle à une insémination ou à un transfert d’embryons (CSP, art. L. 2141-2).
En 2016, une ordonnance du Conseil d’État avait autorisé le transfert de gamètes à l’étranger en vue d’une insémination post mortem (CE, ass., ord., 31 mai 2016, n° 396848). Mais le contexte de l’affaire avait permis cette autorisation. Une veuve de nationalité espagnole, dont le mari, italien, était décédé et qui avait exprimé sa volonté de poursuivre le projet de PMA, avait demandé le transfert des gamètes de son défunt époux vers l’Espagne (où l’insémination post mortem est autorisée sous réserve du consentement de l’époux décédé), pays dans lequel elle vivait désormais auprès de sa famille. Selon le juge des référés du Conseil d’État, sa demande était dénuée d’intention frauduleuse, elle était partie vivre dans son pays d’origine non pour contourner les dispositions législatives françaises mais pour demeurer auprès de sa famille et y réaliser son projet familial.
En revanche, qu’il s’agisse de gamètes mâles ou d’embryons, le Conseil d’État en refuse le transfert à l’étranger en l’absence de circonstances particulières. Ainsi, il a rejeté la demande d’une veuve française qui souhaitait transférer vers l’Espagne les gamètes de son défunt mari pour une PMA post mortem (CE 13 juin 2018, n° 421333). En l’espèce, le conjoint n'avait jamais exprimé la volonté que ses gamètes soient utilisés en vue d'une éventuelle insémination artificielle post mortem et la veuve de nationalité française, résidant en France, n'avait pas de lien particulier avec l'Espagne. Elle ne démontrait pas non plus l'existence d'une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Dans une autre affaire, le juge des référés du Conseil d’État a également refusé la demande d’une veuve française concernant le transfert de ses embryons en Espagne pour une insémination post mortem (CE, réf., 24 janv. 2020, n° 437328).
Références
■ CE, réf., 24 janv. 2020, n° 437328 : DAE 7 févr. 2020, note C. de Gaudemont ; D. 2021. 657, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2020. 88, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 355, obs. A.-M. Leroyer
■ CE, ass., ord., 31 mai 2016, n° 396848 A : DAE 22 juin 2016 ; AJDA 2016. 1092 ; ibid. 1398, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 834, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng
■ CE 13 juin 2018, n° 421333 : AJDA 2018. 2278 ; D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat
■ CE, avis, 18 juill. 2019 : DAE 20 sept. 2019, note C. de Gaudemont
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