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Droit du travail - relations individuelles
L’employeur ne peut librement diffuser l’image de ses salariés à ses clients
Comme toute personne, un salarié dispose d’un droit sur son image qui porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation. La seule constatation d'une atteinte ouvre droit à réparation.
Soc. 14 févr. 2024, n° 22-18.014
La subordination ne fait pas disparaitre les droits de la personnalité du salarié. Si la chambre sociale de la Cour de cassation est régulièrement appelée à le rappeler concernant le droit au respect de la vie privée ou le secret des correspondances, il est moins fréquent qu’elle soit amenée à statuer sur les autres attributs de la personnalité, en particulier l’image ou la voix. L’arrêt rendu le 14 février dernier, s’il s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour, n’en est pas moins remarquable en ce qu’il explicite le droit à l’image d’un salarié dont la prestation de travail n’implique pas une exploitation de celle-ci. En l’espèce, un salarié est engagé en qualité de conseiller art de vivre, en charge de fonctions de conciergerie. La société décide de diffuser à ses clients une plaquette de présentation des concierges, comportant une photographie individuelle du visage de chacun et une photographie collective. Toutefois, elle ne sollicite pas au préalable leur accord. Licencié le 1er mars 2017, le salarié saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes à titre salarial et indemnitaire, notamment au titre de la violation de son droit à l'image. La Cour d’appel le déboute aux motifs qu’il ne produit aucune pièce utile à l’appui de ses prétentions. La Cour régulatrice censure le raisonnement car l’employeur ne contestait pas l’utilisation de l’image du salarié. Au-delà de la question probatoire, c’est surtout le visa et le chapeau de l’arrêt qui méritent l’attention en ce qu’ils attestent de l’alignement de la position de la chambre sociale sur celle retenue par la première et la seconde chambre civile de la Cour, plus régulièrement appelée à traiter des atteintes au droit à l’image, en particulier par les médias.
Le droit au respect de son image, fruit d’une construction jurisprudentielle, ne figure formellement dans aucun texte législatif. Il est simplement mentionné de manière incidente notamment par le Code pénal pour identifier les éléments constitutifs de l’infraction d’atteinte à l’intimité de la vie privée (art. 226-1 c. pén.). Toutefois, et depuis fort longtemps, la Cour de cassation rattache le droit à l’image à l’article 9 du Code civil, voire parfois à l’article 8 de la Conv. EDH (Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13.753). Cette référence à l’article 9 ne doit pas induire le lecteur en erreur : le droit à l’image est un droit autonome en ce sens qu’il n’est pas nécessaire d’établir une atteinte à la vie privée pour en obtenir réparation (Civ. 1re, 10 mai 2005, D ; Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-21.311). Reste à identifier ce que recouvre ce droit. Dans l’arrêt commenté, la chambre sociale formule une règle prétorienne déjà énoncée dans des arrêts précédents. « Le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation ». (Civ. 1re, 2 juin 2021, 20-13.753 ; Soc. 19 janv. 2022, n° 20-12.420 ; voir pour une formulation légèrement différente Civ. 2e, 30 juin 2004, n° 02-19.599). Il s’agit donc d’une prérogative permettant à toute personne de garder le contrôle sur son image. Pour caractériser l’atteinte, il suffit que la personne soit identifiable (Civ. 1re, 21 mars 2006, n° 05-16.817 ; Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-28.813). Par exemple, l’enregistrement de l’image d’un salarié sur son lieu de travail et sa diffusion télévisée, même si son visage est flouté, caractérise une atteinte s’il est facilement reconnaissable à raison des prises de vues très précises de la boutique et de son enseigne (TGI Paris, 13 mars 1991, Juris Data n° 1991-045872). Ainsi, la réalisation comme en l’espèce d’un fascicule reprenant l’ensemble des concierges de l’entreprise, avec une photographie individuelle et collective est une atteinte à l’image, tout comme le serait la création d’un site internet présentant l’ensemble de l’équipe (Soc. 19 janv. 2022, préc.).
L’employeur qui souhaite présenter l’image de ses salariés à ses clients doit dès lors obtenir le consentement individuel de chacun. Si les juridictions admettent un consentement tacite (Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-16.278), il est toutefois prudent de proposer au salarié une convention particulière ou prévoir une clause spécifique dans le contrat de travail (Soc. 11 janv. 1995, n° 93-593). La chambre sociale n’a jamais exigé de contrepartie financière à cette exploitation mais, si tel est le cas, la nature des sommes versées peut poser difficulté en cas de contrôle par l’URSSAF (Civ 2e, 12 mars 2015, n° 14-11.422 ; Civ 2e, 16 févr. 2023, n° 21-17.207). L’employeur doit ensuite veiller à respecter scrupuleusement les limites du consentement, en particulier sur sa durée, son domaine géographique, la nature des supports et l’exclusion de certains contextes (Civ. 1re, 20 oct. 2021, n° 20-16.343). Il existe toutefois diverses hypothèses permettant de capter l’image d’une personne sans son consentement. Il faut toutefois que cette atteinte soit justifiée par un intérêt légitime, proportionnée au but recherché et respecter le cadre légal imposé notamment pas la Loi informatique et Liberté du 6 janvier 1978. Ainsi, dans le cadre de son pouvoir de contrôle de l’activité des salariés, l’employeur peut mettre en place un mécanisme de vidéo-surveillance sans avoir à solliciter le consentement des salariés (voir toutefois pour un exemple d’enregistrement disproportionné, Soc. 23 juin 2021, n° 19-13.856). Par ailleurs, et désormais, le droit à la preuve peut justifier une atteinte à leur image (Ass. Plén. 22 déc. 2023, n° 20-20.648 ; Soc. 4 oct. 2023 n° 21-25.452 concernant des photographies extraites d’un compte messenger ; Soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073)
À défaut de consentement du salarié ou d’intérêt légitime, l’employeur engage sa responsabilité. Il appartient à celui qui enregistre, publie ou exploite l’image de justifier du consentement ou de la légitimité de sa démarche. (Versailles, 4 nov. 1999). En l’espèce, l’employeur ne contestait pas avoir utilisé l’image du salarié pour réaliser sa plaquette et le salarié faisait valoir qu’il n’avait pas donné son accord. Dès lors, la cour d’appel ne pouvait débouter le salarié au prétexte qu’il ne produisait pas le document critiqué. L’atteinte était caractérisée. Enfin, la chambre sociale, reprenant la solution de la première et la seconde chambre civile, rappelle que « la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation ». La reproduction de l’image du salarié sur un catalogue à destination des clients, même si elle peut paraître pour beaucoup anodine, est une atteinte qui doit être indemnisée. Le salarié n’a pas à apporter la preuve d’un préjudice, même s’il faudra bien le chiffrer et en identifier l’étendue, les juges du fond disposant d’un pouvoir souverain d’appréciation du montant à accorder au salarié. (Civ. 1re, 21 févr. 2006, n° 03-19.994)
La solution de la Cour de cassation assure sans doute une certaine protection aux intérêts du salarié. Mais, en raison de l’état de subordination, il sera souvent bien difficile au salarié de refuser la demande formulée par un employeur qui entend diffuser une image de l’équipe auprès de sa clientèle. Dans d’autres rapports où s’exerce une autorité, ceux de la famille, le législateur vient récemment d’apporter des garanties supplémentaires. Les parents doivent désormais se montrer plus soucieux du respect de l’image de leur enfant et ne sauraient l’exploiter trop facilement. Tant le Code civil que le Code du travail ont ainsi été modifiés pour éviter certaines dérives (loi n° 2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image ; voir aussi l’article L. 7124-1 c. trav.).
Références :
■ Civ. 1re, 2 juin 2021 : n° 20-13.753 : DAE, 25 juin 2021, note Merryl Hervieu, D. 2021. 1080 ; ibid. 2022. 189, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2021. 319 et les obs. ; RTD civ. 2021. 624, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 10 mai 2005, n° 02-14.730 : D. 2005. 1380, obs. J. Daleau ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2005. 572, obs. J. Hauser
■ Soc. 19 janv. 2022, n° 20-12.420 : D. 2022. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Légipresse 2022. 210 et les obs. ; ibid. 2023. 58, étude G. Loiseau ; ibid. 241, étude N. Mallet-Poujol
■ Civ. 2e, 30 juin 2004, n° 02-19.599 : D. 2004. 2478 ; ibid. 2005. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot
■ Civ. 1re, 21 mars 2006, n° 05-16.817 : D. 2006. 2702, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2006. 535, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 15-28.813 : DAE, 28 avr. 2017, note M. H., D. 2017. 761 ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2017. 176 et les obs. ; ibid. 256, Étude G. Loiseau ; RTD civ. 2017. 609, obs. J. Hauser
■ TGI Paris, 13 mars 1991, Juris Data n° 1991-045872
■ Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-16.278 : D. 2008. 3009 ; RTD com. 2009. 128, obs. F. Pollaud-Dulian
■ Soc. 11 janv. 1995, n° 93-41.593
■ Civ 2e, 12 mars 2015, n° 14-11.422
■ Civ 2e, 16 févr. 2023, n° 21-17.207 : D. 2023. 1969, chron. C. Bohnert, F. Jollec, X. Pradel, S. Ittah, C. Dudit et J. Vigneras
■ Civ. 1re, 20 oct. 2021, n° 20-16.343 : D. 2022. 189, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2021. 517 et les obs. ; ibid. 2022. 108, étude C. Mas ; RTD civ. 2022. 104, obs. A.-M. Leroyer
■ Soc. 23 juin 2021, n° 19-13.856 : D. 2021. 1290 ; Dr. soc. 2021. 843, obs. P. Adam
■ Ass. Plén. 22 déc. 2023, n° 20-20.648 : DAE, 18 janv. 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 291, note G. Lardeux ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 296, note T. Pasquier ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron. ; Dr. soc. 2024. 293, obs. C. Radé ; Légipresse 2024. 11 et les obs. ; ibid. 62, obs. G. Loiseau
■ Soc. 4 oct. 2023, n° 21-25.452 : JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et M. Julien
■ Soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073 : DAE, 12 mars 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 313
■ Versailles, 4 nov. 1999 : D. 2000, 347, obs. J. Ravanas
■ Civ. 1re, 21 févr. 2006, n° 03-19.994 : D. 2006. 677
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