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Droit de la responsabilité civile
Limite à l’application de la loi sur la responsabilité des produits défectueux : il faut peut-être s’y résoudre !
Si l’action en responsabilité du fait des produits défectueux ne permet pas d’indemniser l’acheteur du dommage qu’il a subi en conséquence d'une atteinte au produit défectueux lui-même, l’engagement d’une telle action n’exclut pas, en soi, celle en résolution du contrat pour défaut de conformité du bien acquis.
Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-21.390
Après qu’un vigneron se fut grièvement blessé en utilisant du matériel agricole qu’il venait d’acquérir, ce dernier et la société dont il était le gérant avaient assigné le vendeur, sur le fondement de la loi sur la responsabilité des produits défectueux (C. civ., art. 1245 s.), en indemnisation de son dommage corporel ainsi que de ses préjudices économiques nés de la perte d’exploitation et du non-remplacement du matériel litigieux. Les demandeurs avaient également sollicité la résolution judiciaire de la vente, excipant d'un défaut de conformité du bien vendu. Déboutés de l’essentiel de leurs demandes en appel, un pourvoi en cassation fut formé par la seule société : après lui avoir fait grief, dans un premier moyen, de ne pas avoir accédé à sa demande en résolution de la vente au motif que le défaut de conformité allégué, tenant en fait à la sécurité du produit, ne laissait en outre apparaître aucun lien de causalité avec les dommages dont la société poursuivait la réparation, celle-ci reprochait également à la cour d’appel d’avoir refusé de réparer le préjudice économique de la victime, la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux ayant été jugée inapplicable à l’indemnisation des dommages imputables à la défectuosité du produit lui-même.
La Cour de cassation devait alors répondre à deux questions que ce litige avait fait naître concernant le régime de cette loi spéciale relative aux produits défectueux : d’une part, celle de la réparabilité des préjudices consécutifs à la défectuosité du bien lui-même ; d’autre part, celle de la possibilité pour la victime d’un défaut de conformité du produit de demander la résolution du contrat consécutivement à son action en responsabilité du fait des produits défectueux, quand le défaut de conformité allégué se confond précisément avec le défaut de sécurité qui caractérise la défectuosité du produit susceptible d’engager la responsabilité de son fabricant.
■ Sur la réparation des préjudices fondée sur la défectuosité du produit
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir jugé les articles 1245 et suivants du Code civil inapplicables à la réparation de préjudices résultant d’une atteinte au produit défectueux lui-même. Issu de la loi de transposition de la directive 85/374/CEE relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (L. n° 98-389 du 19 mai 1998), l’article 1245-1 alinéa 2 du Code civil prévoit en effet que cette loi ne s'applique qu’à la réparation du dommage résultant d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. Dès lors, « (c)e régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte ». Pour être réparable sur le fondement de cette loi, le préjudice consécutif à l’atteinte causée au produit défectueux lui-même doit donc affecter un bien autre que le produit déjà atteint (Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-21.163). Or la demanderesse sollicitait, outre l’indemnisation du préjudice corporel de la victime, celle de ses préjudices économiques consécutifs à l’atteinte de la machine défectueuse : sa perte d’exploitation, ainsi que l’absence de fourniture d’une machine de remplacement. Ces deux chefs de préjudice résultant du produit défectueux lui-même, leur indemnisation ne pouvait donc être obtenue sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil.
Cette exclusion légale et plusieurs fois illustrée en jurisprudence se présente comme une limite nécessaire au champ d’application de cette loi spéciale d’indemnisation offrant déjà aux victimes, conformément au souhait du législateur, des conditions favorables à son obtention. En atteste d’ailleurs le choix du législateur français d’intégrer les biens à usage professionnel dans son domaine d’application, ce que la directive européenne n’imposait pas (v. not. Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726). Ainsi, parmi les rares restrictions prévues à sa mise en œuvre figurent l’atteinte au bien défectueux lui-même et les préjudices consécutifs à la défectuosité du produit insusceptibles d’être, sur ce fondement, indemnisés (comp. Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-13.847, à propos d’un yacht ayant dématé, refus d’indemniser les dommages constitués par le coût de la remise en état du bateau, les pertes de loyers et le préjudice de jouissance consécutifs à l’impossibilité de l’utiliser; contra, Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-18.391, pour des défauts constatés sur des bouteilles en verre, ceux-ci affectant également le vin que celles-ci devaient contenir. La mévente des bouteilles défectueuses consécutive au caractère impropre à la consommation du vin, produit distinct des bouteilles elles-mêmes, constituait alors un préjudice réparable).
La Cour de cassation réitère donc sa position fondée sur l’article 1245-1, alinéa 2, du Code civil disposant expressément que la demande en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique uniquement aux dommages causés aux biens autres que le produit défectueux lui-même pour exclure en l’espèce la réparation des préjudices économiques, bien qu’établis, imputables à la défectuosité de la machine.
■ Sur la résolution de la vente pour défaut de conformité du produit
La cour d’appel avait également déclaré irrecevable l’action en résolution de la vente fondée sur le défaut de conformité du produit qui s’apparentait, selon elle, à un défaut de sécurité dont le lien de causalité avec les dommages allégués n’était pas, de surcroît, établi. Or si le cumul d’actions est parfois offert à la victime de la défectuosité d’un produit, encore faut-il que ses demandes reposent sur des fondements juridiques distincts du défaut de sécurité du produit mis en cause (CJCE, 25 avr. 2002, aff. C-183/00 point 31 ; Com. 26 mai 2010 n° 07-11.744 ; Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314 ; Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-20.154, à propos du cumul avec la responsabilité du fait des choses). Or selon la juridiction du second degré, le défaut de conformité allégué se confondait avec le défaut de sécurité du matériel caractéristique de la défectuosité d’un produit. Cette identité de fondement justifiait le rejet de la demande en résolution.
Adhérant cette fois au moyen énoncé par l’auteur du pourvoi selon lequel sa demande ne tendait pas à la réparation des dommages causés par le matériel défectueux mais uniquement à la résolution du contrat en raison de la non-conformité du matériel aux prévisions contractuelles qu’il était en droit, en sa qualité d’acheteur, d’imputer au vendeur tenu d’une obligation de délivrance conforme, la Cour de cassation s’appuie sur les articles 1245-1, 1604 et 1184 du Code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, pour casser et annuler sur ce point l’arrêt d’appel. Elle rappelle que si selon le premier de ces textes, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle ajoute qu’ « (e)n application des deuxième et troisième, l'acquéreur d'un bien peut agir en résolution de la vente en cas de manquement du vendeur à son obligation contractuelle de délivrance d'un bien conforme. ». Et la cour de préciser en ces termes l’articulation des dispositions qui précèdent : « Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l'a transposée, et n'est donc soumise à aucune de leurs dispositions. » Or, « (p)our déclarer irrecevable l'action en résolution de la vente du matériel agricole pour non-conformité, l'arrêt retient que si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui tiré d'un défaut de sécurité du produit litigieux et que, sous le couvert d'une non-conformité du matériel acquis », la victime « reproche au producteur sa défectuosité résultant du défaut de sa sécurité ». En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Respectant tout à la fois les termes de l’article 1245-17 al. 1er du Code civil, selon lequel le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un autre régime spécial de responsabilité, et la condition d’absence d’identité de fondement réservée par la CJUE à cette liberté d’application de régimes de responsabilité alternatifs à celui, en principe exclusif, de celui provenant du fait des produits défectueux (CJCE 25 avr. 2002, préc.), la solution de la Cour de cassation mérite d’être approuvée.
Elle peut également être discutée, sa motivation appelant deux lectures possibles. En effet, dans un premier temps, la Cour semble évincer la question du cumul des deux actions, l’action en résolution engagée se trouvant, en l’absence de préjudice réparable, purement et simplement placée « hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l’a transposée », et donc soustraite à chacune de leurs dispositions. Le dispositif légal relatif à la responsabilité des produits défectueux ne trouvant pas à s’appliquer au litige, seule la question de la résolution du contrat méritait d’être soumise à l’examen de la cour d’appel, au regard des seuls textes de droit commun applicables.
Toutefois, dans un second temps, la Cour paraît revenir à cette question du cumul des actions pour y répondre dans un sens favorable. À partir d’un critère finaliste, la Cour de cassation souligne que l’action en résolution d’un bien non conforme n’a pas vocation à réparer des dommages qui résultent d’un produit défectueux, mais à faire disparaître, de manière rétroactive, le contrat en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations, en l’espèce, celle d’une délivrance conforme, et permettre ainsi à l’acheteur d’obtenir en contrepartie de la restitution du bien non conforme celle du prix versé. Partant, les deux fondements juridiques en l’espèce invoqués étaient bien différents, ce qui justifie la cassation de la décision des juges du fond pour violation de la loi et permet d’envisager l’admission de principe d’un cumul de ces deux actions, que soutiendrait également l’absence d’équivalence du défaut de conformité d’un produit, consistant dans son absence d’identité aux stipulations contractuelles, et du défaut de sécurité d’un produit, autrement entendu comme celui qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (C. civ., art. 1245-3, al. 1er) : ainsi, un produit défectueux peut-il être néanmoins parfaitement conforme aux prévisions du contrat. La diversité des finalités poursuivies par ces deux actions explique pourquoi la Cour souligne l’absence d’identité de fondement juridique aux demandes formulées par l’acheteur insatisfait à la fois du défaut de sécurité du produit et de son défaut de conformité aux prévisions contractuelles. Lui retirer dans ce cas la possibilité d’agir en résolution du contrat contredirait enfin celle qui lui est sans contestation reconnue d’assigner le vendeur, en pareille hypothèse, en responsabilité contractuelle (CJCE 25 avr. 2002, préc.)
Si cette interprétation devait être confirmée, elle conférerait à la décision rapportée l’intérêt majeur de s’être pour la première fois prononcée sur le cumul de ces deux actions, de surcroît pour l’admettre.
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Responsabilité du fait des produits défectueux
■ Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-21.163 P
■ Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726 P: DAE 8 févr. 2017; D. 2017. 626, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2017. 415, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-13.847 P: DAE 25 nov. 2015; D. 2015. 2127 ; RTD civ. 2016. 137, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-18.391 P: D. 2015. 2227, note B. Girard ; RTD civ. 2015. 892, obs. P. Jourdain
■ CJCE, 25 avr. 2002, aff. C-183/00: D. 2002. 2462, note C. Larroumet ; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy ; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby
■ Com. 26 mai 2010 n° 07-11.744 P: D. 2010. 2628, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2010. 787, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314: D. 2015. 9 ; RTD eur. 2015. 348-35, obs. N. Rias
■ Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-20.154: DAE 21 sept. 2018; D. 2018. 1840, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ contrat 2018. 442, obs. C.-E. Bucher ; RTD civ. 2019. 121, obs. P. Jourdain
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