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[ 31 mars 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Rétractation des promesses unilatérales de vente : harmonisation de la jurisprudence en faveur d’une application anticipée de la réforme

A l’instar de la première chambre civile, la chambre commerciale de la Cour de cassation modifie sa jurisprudence sur la rétractation du promettant dans des promesses unilatérales de vente conclues sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et refuse de moduler les effets de son revirement au profit du promettant qui s’est rétracté.

Com. 15 mars 2023, n° 21-20.399 B

Innovation majeure de la réforme du 10 février 2016, l’article 1124 du Code civil, par son abandon de la jurisprudence excluant la sanction de l’exécution forcée en cas de rétractation du promettant dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, a fait l’objet d’une application anticipée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, ayant fait le choix inattendu de modifier sa jurisprudence même pour des promesses unilatérales conclues antérieurement au 1er octobre 2016. Indépendamment de l’antériorité du contrat de promesse à la date d’entrée en vigueur du texte nouveau, elle a ainsi jugé que le promettant s’oblige de manière définitive, en toute hypothèse, à vendre le bien promis dès la conclusion de cette promesse, cette règle obligeant à considérer sa rétractation comme inefficace même lorsqu’elle intervient avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire (v. Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554 ; Civ. 3e, 20 oct. 2021, n° 20-18.514). La chambre commerciale de la Cour de cassation procède à l’identique dans l’arrêt rapporté, opérant un revirement de jurisprudence justifié par « l’évolution du droit des obligations », ce qui explique que dans le prolongement de la jurisprudence civile précitée, elle décide d’appliquer la nouvelle législation à des promesses pourtant conclues sous l’empire du droit antérieur.

Au cas d’espèce, deux sociétés avaient conclu, le 21 juin 2012, un protocole de vente « cadre » devant régir l’entrée de l’une de ces sociétés dans une société filiale dépendant de l’autre. Cet accord contenait trois parties distinctes. La première prévoyait l’acquisition par l’une des sociétés de 47 % des parts détenues par la société cible, le solde restant détenu par la société cocontractante. La deuxième partie contenait une promesse unilatérale de cession de 13 % des actions de la même société, le bénéficiaire devant lever l’option dans les six mois de la tenue de l’assemblée générale d’approbation des comptes clos au 31 décembre 2015. La troisième et dernière partie du protocole stipulait, quant à elle, une promesse synallagmatique de vente de l’ensemble des actions encore détenues par le propriétaire initial, sous la condition suspensive de la réalisation des deux cessions précédentes. Le 8 mars 2016, le promettant avait notifié au bénéficiaire de la promesse sa rétractation de la promesse unilatérale. Le 28 juin suivant, le bénéficiaire avait adressé à cette même société son intention de lever l’option. A l’effet d’obtenir les parts qui lui avaient été promises, le bénéficiaire avait assigné son cocontractant en exécution forcée de la promesse. La cour d’appel rejeta sa demande de réalisation forcée de la vente au motif que, conformément au droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 sous l’empire duquel la promesse avait été conclue, la rétractation du promettant excluait toute rencontre de volontés réciproques de vendre et d’acquérir. En 2021, le bénéficiaire de la promesse s’est pourvu en cassation, fondant la thèse de son pourvoi sur les critiques jadis formulées à l’encontre de cette position jurisprudentielle, lesquelles avaient précisément conduit à son abandon légal.

C’est ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation saisit l’occasion qui lui était offerte de modifier sa jurisprudence : adhérant à la thèse du pourvoi, elle casse la décision de la juridiction d’appel pour violation de la loi. Après avoir procédé au rappel de l’état du droit antérieur en principe applicable à l’espèce et qu’elle avait, à l’instar des autres chambres de la Cour, contribué à définir pour exclure la sanction de l’exécution forcée (v. Com. 13 sept. 2011, n° 10-19.526 ; Com. 14 janv. 2014, n° 12-29.071), la chambre commerciale procède au revirement de sa jurisprudence fondé sur la nécessité de tenir compte de l’évolution du droit des obligations et de sa volonté d’harmoniser sa position avec celle adoptée par la troisième chambre civile. L’article 9 de l’ordonnance dispose pourtant expressément que les contrats souscrits antérieurement au 1er octobre 2016 restent régis par le droit ancien et donc par la jurisprudence ancienne. Déjà observée (v. Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866, à propos de l’application dans le temps de la réforme du droit des sûretés), la tendance actuelle des juges à s’affranchir des règles de droit transitoire et d’application de la loi dans le temps conduirait, si elle devait être confirmée (v. sur ce point Cass., ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814 ; adde, sur la généralité de la question, J. Boré, « L’avenir du contrôle normatif face aux fluctuations du contrôle de qualification », in Le tribunal et la Cour de cassation, Librairie de la Cour de cassation, p. 14), à priver ces règles d’intérêt et au-delà, sur le terrain de la fondamentalité des droits, à affaiblir le principe de sécurité juridique et le droit au procès équitable bien que, comme l’oppose à juste titre la chambre commerciale au défendeur au pourvoi qui invoquait l’atteinte injustifiée et disproportionnée qui leur était au cas d’espèce portée« les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante ». Même en l’absence de droit des justiciables à une jurisprudence figée, il n’en demeure pas moins que le refus de la Cour de moduler dans le temps les effets de son revirement de jurisprudence se révèle sévère pour le promettant, défendeur au pourvoi, auquel la Cour nie toute atteinte à son droit à un procès équitable en raison de la prévisibilité du revirement opéré. En outre, la motivation est discutable : prévisible, un revirement de jurisprudence n’en est jamais pour autant certain. A ce titre, sur le plan des sources du droit, un pan de la motivation appelle immanquablement notre attention. Au paragraphe 12, justifiant ainsi l’anticipation par le promettant du revirement à venir, la Cour énonce qu’ « une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux bien avant la conclusion du protocole du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, intervenue antérieurement à la rétractation par la société M. de sa promesse, qui y a mis fin pour les contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, confirmant ainsi les doutes préexistants quant au bien-fondé, et donc au maintien, de la jurisprudence antérieure » (C’est nous qui soulignons). L’intégration explicite dans sa motivation des critiques émises par la doctrine à l’encontre de sa jurisprudence antérieure est suffisamment rare pour être soulignée.

Quoi qu’il en soit, cette solution certes contestable par son refus radical de moduler les effets de son revirement présente l’avantage d’assurer l’harmonisation de la jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour de cassation ainsi que l’égalité des contractants, soumis à une solution identique quelle que soit la date de conclusion du contrat de promesse.

Références :

■ Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554 B : DAE, 12 juill. 2021, note M. Hervieu ; D. 2021. 1574, note L. Molina ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 226, obs. F. Cohet ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier ; ibid. 934, obs. P. Théry.

■ Civ. 3e, 20 oct. 2021, n° 20-18.514 B : DAE, 15 nov. 2021, note M. Hervieu ; D. 2021. 1919 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 384, obs. F. Cohet ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2022. 112, obs. H. Barbier.

■ Com. 13 sept. 2011, n° 10-19.526  : DAE, 20 oct. 2011, note D. M ; D. 2012. 130, note A. Gaudemet ; ibid. 231, chron. N. Molfessis ; ibid. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; Rev. sociétés 2012. 22, note B. Fages ; RTD civ. 2011. 758, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 788, obs. B. Bouloc.

■ Com. 14 janv. 2014, n°12-29.071 

■ Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866 B : DAE, 25 mai 2022, note M. Hervieu ; D. 2022. 1842, note C. Guillard ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2022. 23, chron. O. Salati ; RTD civ. 2022. 678, obs. C. Gijsbers.

■ Cass., ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814 P : DAE, 23 avr. 2021, note M. Hervieu ; D. 2021. 1164, et les obs., note B. Haftel ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; AJ fam. 2021. 312, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2021. 607, obs. P. Deumier.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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