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Droit des obligations
L’application dans le temps de la sanction de l’exécution forcée aux promesses unilatérales de ventes
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
Sélection des faits : Le 1er avril 1999, M. [F] et Mme [M] ont consenti à M. et Mme [Y] une promesse de vente d’un appartement dans un immeuble en copropriété et de la moitié de la cour indivise, l’option ne pouvant être levée qu’au décès de la précédente propriétaire, [J] [K], qui s’était réservée un droit d’usage et d’habitation. Devenue attributaire du bien à la suite de son divorce, Mme [M] s’est rétractée de cette promesse le 17 février 2010. Après le décès de [J] [K], M. et Mme [Y] ont levé l’option le 8 janvier 2011. Ils ont alors assigné Mme [M] en réalisation de la vente. Celle-ci a sollicité le rejet de la demande.
Qualification des faits : Le 1er avril 1999, un couple de propriétaires avait consenti une promesse unilatérale de vente de deux biens immobiliers à un couple de bénéficiaires. Il était prévu que l’option ne pourrait être levée par les bénéficiaires de la promesse qu’au décès de la propriétaire originaire des biens promis, laquelle s’était réservée un droit d’usage et d’habitation. Devenue l’unique propriétaire des biens à la suite de son divorce, l’épouse, ne souhaitant plus vendre, avait révoqué sa promesse le 17 février 2010. Après le décès de la propriétaire originaire et en dépit de la rétractation de la promettante, les bénéficiaires de la promesse avaient levé l’option le 8 janvier 2011. Face à son refus de vendre, ils l’avaient assignée en exécution forcée de la promesse de vente.
Procédure : La cour d’appel déclara la vente parfaite au motif que l’option ayant été régulièrement levée par les bénéficiaires dans les délais prévus au contrat de promesse, cette levée d’option, quoique postérieure à la rétractation du promettant, avait bien eu pour effet de parfaire la vente promise.
Énoncé du moyen : Devant la Cour de cassation, la propriétaire signataire de la promesse fit valoir, en vertu du droit antérieur à la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 que la date de conclusion du contrat de promesse justifiait d’appliquer au litige, le principe selon lequel la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant exclut par principe toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, en sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être, en l’espèce, valablement ordonnée.
Problème de droit : La rétractation du promettant postérieure à la levée d’option par les bénéficiaires dans les délais convenus peut-elle être sanctionnée par la réalisation forcée de la vente promise en vertu d’un contrat de promesse unilatérale conclu antérieurement à la réforme du 10 février 2016 ?
Réponse de la Cour : À cette question, la troisième chambre civile répond par l’affirmative. Opérant un revirement de jurisprudence, elle juge applicable au litige le droit nouveau et rejette en conséquence le pourvoi formé, qu’elle juge non fondé.
Elle commence par rappeler qu’en application des articles 1101 et 1134 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et 1583 du même Code, la Cour de cassation jugeait jusqu’à présent, que tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant ne constituait qu’une obligation de faire (pt 7). Elle précise qu’il résultait de cette jurisprudence antérieure à la réforme que la levée de l’option, postérieure à la rétractation du promettant, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être ordonnée (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199 P), la violation, par le promettant, de son obligation de faire, ne pouvant ouvrir droit qu’à des dommages-intérêts (Civ. 3e, 28 oct. 2003, n° 02-14.459) –(pt 8).
Renouvelant son analyse, elle affirme qu’à la différence de la simple offre de vente, la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien (pt 9).
Elle ajoute, par ailleurs, qu’en application de l’article 1142 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence retient la faculté pour toute partie contractante, quelle que soit la nature de son obligation, de poursuivre l’exécution forcée de la convention lorsque celle-ci est possible (Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983 P) – (pt 10).
Elle déduit de ce qui précède « qu’il convient dès lors d’apprécier différemment la portée juridique de l’engagement du promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente et de retenir qu’il s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire » (pt 11).
Appliquant sa position nouvelle à la rétractation de la promesse litigieuse, elle approuve la cour d’appel, qui avait relevé que dans l’acte du 1er avril 1999, l’auteure de la promesse avait donné son consentement à la vente sans restriction et que la levée de l’option par les bénéficiaires était intervenue dans les délais convenus, d’avoir retenu à bon droit que la rétractation du promettant ne constituait pas une circonstance propre à empêcher la formation de la vente, et d’en avoir exactement déduit que les consentements des parties s’étant rencontrés lors de la levée de l’option par les bénéficiaires, la vente était parfaite (pt 12 et 13).
L’élaboration du commentaire
L’analyse de l’arrêt est désormais effectuée. Reste à bâtir et nourrir le commentaire.
Il est de bonne méthode de rechercher alors dans quelle thématique générale s’inscrit l’arrêt à commenter, ce qu’une parfaite identification des questions de droit tranchée par l’arrêt vous permet aisément de découvrir.
En l’occurrence, l’arrêt porte sur l’application dans le temps de la sanction de l’exécution forcée aux promesses unilatérales de ventes.
La structure du commentaire
Pour construire votre commentaire, en clair pour élaborer son plan, il convient d’expliquer l’arrêt et d’apprécier sa solution. Ce qui consiste :
– à en restituer clairement le sens ;
– à en déterminer la portée ;
– et à en discuter la valeur,
étant entendu que ces trois éléments sont ici d’égale importance.
Proposition de plan détaillé
Avant l’analyse de l’arrêt proprement dite qui compose le cœur de l’introduction, il faut insister sur son contexte. Après quoi, vous pouvez intégrer l’analyse de l’arrêt proprement dite.
Enfin, après avoir exposé la décision retenue par la Cour de cassation, vous devez annoncer le plan de votre commentaire.
I. La sanction de la rétractation du promettant : l’évolution du droit positif
A. Avant l’ordonnance du 10 février 2016
· Définition et régime de la promesse unilatérale de contrat : absente du Code civil de 1804 ; cpdt, en application d’autres dispositions (C. civ., anc. art. 1101, 1134, 1142 et 1583), la Cour de cassation considérait que tant que le bénéficiaire de la promesse n’avait pas levé l’option, l’obligation du promettant ne constituait qu’une obligation de faire, en sorte que la levée de l’option postérieure à la rétractation de la promesse excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir.
· Conséquence : Refus d’ordonner l’exécution forcée du contrat (Civ. 3e, 15 déc. 1993, Consorts Cruz, n° 91-10.199 P; Com. 13 sept. 2011, n° 10-19.526).
· Critiques : la formation du contrat définitif ne dépend en principe que du consentement du bénéficiaire, par la levée de l’option, et non du maintien de celui du promettant, dont l’engagement à la vente est irrévocable, et le consentement figé, dès la date de conclusion du contrat de promesse; insécurité pour le bénéficiaire de cet avant-contrat ; en outre, alignement de la promesse à l’offre de vente car identité de sanction (DI en cas de rétractation dans le délai prévu).
· Portée : en dépit des vives critiques de la doctrine majoritaire, maintien par la JP de sa position, pdt près de 25 ans, ie jusqu’à la modification apportée par l’ordonnance de 2016.
B. Après l’ordonnance du 10 février 2016
· Condamnation de la jurisprudence antérieure excluant de sanctionner la rétractation du promettant par l’exécution forcée : « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis » (C. civ., art. 1124, al. 2) = le nouveau texte précise explicitement que le consentement du bénéficiaire est le seul élément qui fait défaut pour que le contrat promis soit formé.
· Depuis l’entrée en vigueur de la réforme des contrats, la révocation de la promesse par le promettant avant l’expiration du délai d’option n’interdit donc plus la formation du contrat définitif ; le bénéficiaire de la promesse peut donc lever l’option après la révocation et demander l’exécution forcée du contrat.
· Critiques : impossible de forcer une personne à consentir à un contrat ; réputer le contrat conclu en dépit de la rétractation du promettant porte une atteinte disproportionnée au principe de la liberté contractuelle et au droit de propriété = inconstitutionnalité de l’exécution forcée des promesses unilatérales de vente.
· Portée : maintien de la sanction de l’exécution forcée, jugée conforme à la Constitution : le nouvel article 1124, al. 2 du Code civil ne porte atteinte ni à la liberté contractuelle ni au droit de propriété (Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 19-40.028 P : DAE 15 nov. 2019 note Merryl Hervieu).
· En l’espèce, application de cette sanction de l’exécution forcée, la seule rétractation du promettant n’étant plus un obstacle à la formation du contrat définitif.
II. L’application dans le temps du droit nouveau : le revirement de jurisprudence
A. L’application initiale du droit antérieur à la réforme
· Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 : refus d’appliquer la nouvelle solution à la promesse de vente litigieuse (l’arrêt d’appel ayant en l’espèce été rendu sur renvoi après cassation prononcée par cet arrêt). Motif : conclusion de cette promesse avant le 1er octobre 2016. Conséquence : application de l’ancienne règle prétorienne, de sorte que la réalisation forcée de la vente a été refusée. Fondement : Ord. 10 févr. 2016, art. 9 et L. n° 2018-287 du 20 avr. 2018, art. 16, III : « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 [et que] les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ».
· Contra : Soc. 21 sept. 2017 n° 16-20.103 P (DAE 11 oct. 2017) : application à une promesse d’embauche, antérieure à la réforme, de l’article 1124, al. 2 ; la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat de travail promis. Justification : le droit ancien peut parfois être interprété à l’aune de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 » (v. Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 P : DAE 17 mars 2017).
B. Une nouvelle application anticipée du droit nouveau
· Revirement de jp par le présent arrêt : application du texte nouveau à la promesse, pourtant conclue antérieurement à la réforme.
· Justification : l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance précitée, conduit à « apprécier différemment la portée juridique de l’engagement du promettant signataire d’une promesse unilatérale et de retenir qu’il s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat (…) ».
· Dérogation à la règle d’application dans le temps prévue par l’ordonnance comme par la loi de ratification de 2018, limitant le champ temporel d’application du nouveau texte aux contrats de promesse conclus à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
· Portée accrue ainsi conférée à la sanction de l’exécution forcée de la rétractation du promettant.
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