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L’application anticipée de la réforme du droit des contrats : nouveaux épisodes
L’application dans le temps de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est régie par l’article 9 de ladite ordonnance. Il y est prévu, d’une part, que « les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 » et, d’autre part, plus spécifiquement, que « les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ».
Le législateur a donc décidé, conformément au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, de maintenir les anciens textes en vie, pour les besoins des contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
La volonté du législateur était donc qu’il y ait une césure nette entre l’ancien droit des contrats et le nouveau droit des contrats, chacun vivant de sa vie propre, sans interférence.
Rapidement, la doctrine remarqua que cette volonté aurait pu être contrariée par la jurisprudence.
La Cour de cassation n’hésite pas, en effet, à aller à l’encontre des dispositions transitoires lorsqu’elle découvre, dans un texte, un « ordre public impérieux », dont elle maîtrise les contours. Mieux, il est déjà arrivé aux hauts magistrats de singulariser, parmi les effets du contrat, des « effets légaux », qui se produiraient indépendamment de la volonté des parties.
Dans ces deux hypothèses, la loi nouvelle serait donc d’application immédiate, indépendamment de la date de conclusion du contrat et des dispositions transitoires.
Les potentialités de cette double exception étaient telles que le Parlement s’est empressé, dans la loi de ratification du 20 avril 2018, de faire défense aux juges d’appliquer de manière anticipée l’ordonnance du 10 février 2016 aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 en usant de l’ordre public impérieux ou de la « théorie » des effets légaux du contrat.
Pour ce faire, il a modifié l’article 9 de l’ordonnance, comme suit :
« Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public ».
La Cour de cassation avait toutefois déjà fait savoir, avant même l’adoption de la loi de ratification, qu’elle avait l’intention de prendre en compte « l’évolution du droit des obligations » (Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411) et qu’elle avait les moyens de le faire, indépendamment de l’ordre public ou des effets légaux des contrats.
En effet, avant la réforme, de nombreuses règles du droit des contrats n’étaient pas d’origine textuelle, mais jurisprudentielle. Ainsi, rien ne peut interdire aux juges de modifier la règle jurisprudentielle ancienne, et ce afin de la faire correspondre à la substance de la règle légale nouvelle.
Cette convergence des droits, annoncée par l’arrêt de la chambre mixte précité, s’est d’ores et déjà manifestée à plusieurs reprises :
Dans un arrêt du 6 décembre 2017 (n° 16-19.615), la chambre commerciale a fait une application de la substance du nouvel article 1356 du Code civil, à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016, afin d’interdire aux parties de poser des présomptions irréfragables ;
Le 7 février 2018 (n° 16-20.352 : DAE 16 mars 2018), cette même chambre, effectuant un revirement de jurisprudence, a décidé que les clauses limitatives de réparation demeuraient applicables en cas de résolution du contrat, ce qu’impose aujourd’hui le nouvel article 1230 du Code civil.
Or, en 2021, le mouvement s’est poursuivi.
D’abord, dans un arrêt du 6 janvier 2021 (n° 19-21.071), la première chambre civile a décidé de consacrer la théorie de la réception en matière de formation des contrats à distance. On sait qu’avant la réforme, faute de texte dans le Code civil, la solution était controversée. Le contrat, passé à distance, était-il conclu au jour de l’émission de l’acceptation par le destinataire de l’offre ou de la réception de celle-ci par l’offrant ? Le nouvel article 1121 du Code civil ayant opté pour la théorie de la réception, la Cour de cassation a fait application de cette dernière à une offre antérieure au 1er octobre 2016.
Surtout, dans un arrêt du 23 juin 2021 (n° 20-17.554 : DAE 12 juill. 2021), la troisième chambre civile a décidé de revenir sur la fameuse jurisprudence Cruz du 15 décembre 1993 (n° 91-10.199) en consacrant l’inefficacité de la rétractation du promettant dans la promesse unilatérale de vente immobilière (V. déjà pour la promesse unilatérale d’embauche : Soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.103 : DAE 11 oct. 2017). Ce revirement est d’autant plus spectaculaire que, dans la même affaire, et faisant entorse à l’annonce de la convergence des droits, elle avait décidé, en 2018, de maintenir cette jurisprudence (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 et 17-21.171).
Certes, la Cour de cassation n’a pas abandonné son analyse obligationnelle de la promesse unilatérale de contrat. Elle considère toujours que le promettant a souscrit une obligation de faire, dont on peine pourtant à dessiner les contours. Tout juste a-t-elle reconnu que cette obligation de faire, peut, comme toutes les autres, être soumises à l’exécution forcée, sur le fondement de l’ancien article 1142 du Code civil.
Autant dire que ce revirement aurait pu intervenir beaucoup plus tôt…
C’est donc le nouvel article 1124, alinéa 2 du Code civil, non applicable à la cause, qui explique ce revirement.
L’« infiltration » (A. Bénabent, « La « digestion » de la réforme, RDC 2016. 608) du nouveau droit des contrats dans l’ancien droit jurisprudentiel se fera donc progressivement.
Dans ce tableau, une décision de la troisième chambre civile fait encore tâche (Civ. 3e, 12 avr. 2018, n° 17-26.906). Comme elle l’avait fait à propos de la rétractation dans la promesse unilatérale de vente, cette chambre avait décidé de maintenir sa jurisprudence relative à l’exécution forcée : lorsqu’une maison est construite avec un défaut d’altimétrie, même minime, le maître de l’ouvrage est en droit de réclamer l’exécution forcée, indépendamment du coût de cette mesure pour le débiteur.
Autant dire que la troisième chambre civile avait refusé de s’incliner devant le nouvel article 1221 du Code civil qui permet au juge de refuser l’exécution forcée lorsque l’intérêt de cette mesure pour le créancier est manifestement disproportionné par rapport à son coût pour le débiteur.
Les plaideurs, sans doute échaudés par l’arrêt de 2018, peuvent donc avoir espoir que la troisième chambre civile change d’avis et embrasse pleinement le phénomène de la convergence des droits !
On notera, enfin, un arrêt rendu par la première chambre civile, le 3 mars 2021 (n° 19-19.000 : DAE 7 avr. 2021).
Dans cette décision, la haute juridiction a décidé que « si la loi applicable aux conditions d'existence de l'enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s'applique immédiatement à la détermination et au calcul de l'indemnité ».
De cet arrêt, on peut déduire que les conditions de formation du quasi-contrat doivent être examinées au regard de la loi en vigueur au jour de leur réunion, par hypothèse la loi ancienne si cette réunion a eu lieu avant le 1er octobre 2016, mais que les effets des quasi-contrats basculent sous l’empire du droit nouveau lorsque le juge soit statuer après cette date.
Cette précision est bienvenue, l’article 9 de l’ordonnance de 2016 étant lacunaire sur cette question.
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