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[ 6 mai 2025 ] Imprimer

Procédure civile

Efficacité de la clause attributive de juridiction dans un contrat d’adhésion numérique

Par un arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation a jugé que le litige opposant une entrepreneuse française à la société Meta Platforms Ireland Limited relevait de la compétence exclusive des tribunaux irlandais en application de la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d’utilisation de la société Meta. Incompétent, le juge français ne peut donc examiner la clause litigieuse sous le prisme du déséquilibre significatif de l’article 1171 du Code civil.

De la difficulté de paralyser les effets des clauses attributives de juridiction : tel est sans aucun doute l’enseignement à tirer de la décision rapportée. 

Civ. 1re, 2 avr. 2025, n° 23-12.384

Au cas d’espèce, une personne ouvre à titre professionnel un compte Instagram. Les conditions générales d’utilisation du réseau social, exploité par la société Meta, comprennent une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux irlandais en cas de litige relatif à l’accès ou l’utilisation du service à des fins professionnelles ou commerciales. Se disant victime d’un piratage, l’utilisatrice assigne la société Meta en indemnisation devant le Tribunal judiciaire de Paris qui, en application de ladite clause, se déclare incompétent. La cour d’appel confirme l’incompétence du juge français, justifiée par la compétence exclusive du juge irlandais prévue au contrat pour statuer sur le litige qui lui est soumis. Pour combattre l’autorité de la clause litigieuse, l’utilisatrice choisit alors un argument inattendu, issu du droit commun contractuel : l’article 1171 du Code civil, qui répute non-écrites, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif. Les conditions générales de Meta n’étant pas négociables, l’utilisatrice soutient que la clause attributive de juridiction stipulée dans un contrat d’adhésion numérique induit un déséquilibre significatif, de sorte que cette stipulation doit être neutralisée. Audacieux, l’argument est aussi fragile. En application de l’article 25.1 du Règlement Bruxelles I bis (Règl. UE n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), JO L 351 du 20.12.2012), la validité d’une clause attributive de juridiction s’apprécie au regard de la loi du for élu (ici, la loi irlandaise). Or, l’article 1171 du Code civil relève du droit français. Pour lever cet obstacle, le pourvoi prend alors soin de qualifier l’article 1171 de loi de police, de sorte que cette disposition s’appliquerait nonobstant la désignation par le Règlement de la loi irlandaise. C’est pourtant sur ce point que la Cour de cassation rejette le pourvoi : « (l’article 25.1) ne prévoit pas la réserve des lois de police ». Ce n’est donc qu’au regard du droit irlandais que s’apprécie la validité de la clause. À supposer même que le Règlement ait réservé l’hypothèse des lois de police, il n’est pas certain que l’argument aurait pu prospérer. Tout d’abord, on peut douter que l’article 1171 du Code civil constitue une loi de police au sens de l’art. 9.1 du Règlement Rome I (Règl. CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JO L 177/6 du 4.7.2008) : une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics. Il devrait au contraire être considéré que la règle édictée par le texte de droit commun ne protège, à l’instar de l’article L. 442-1 du Code de commerce, que des intérêts privés. Ensuite, en raison de la distinction entre compétence impérative (d’une juridiction française) et disposition impérative (du droit français), la qualification de loi de police ne conduit pas nécessairement à paralyser l’efficacité d’une clause attributive de juridiction. Il a ainsi été jugé par un arrêt remarqué de la première chambre civile qu’une clause attributive de juridiction visant tout litige né du contrat et désignant un juge étranger doit être mise en œuvre nonobstant l’application au fond du litige de dispositions impératives constitutives de lois de police pour le droit international privé français (Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823). Sur le terrain strictement contractuel, on peut également discuter, en raison de la qualité des parties au contrat, de l’applicabilité de l’article 1171 aux deux sociétés contractantes en cause alors que la Cour de cassation a récemment rendu ce texte indisponible aux professionnels relevant du champ, que l’on sait très large, de l’article L. 442-1 du Code de commerce (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782)Enfin, même à supposer ce texte applicable, il est difficile d’envisager qu’une clause attributive de juridiction en faveur d’un tribunal de l’UE porte en soi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. 

Indépendamment de la question de sa validité, soit de sa conformité à l’interdiction des clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels, la clause attributive de juridiction déploie donc ici ses pleins effets.

Références :

■ Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823 D. 2009. 200, note F. Jault-Seseke ; ibid. 2008. 2790, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 684, chron. A. Huet ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2009. 1, étude D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2009. 646, obs. P. Delebecque

■ Com. 26 janv 2022, n° 20-16.782 DAE, 22 févr. 2022, note Merryl Hervieu ; D. 2022. 539, note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu


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