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[ 27 novembre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Prêts Helvet Immo : précisions sur l’articulation des restitutions et de l’indemnisation

Par un arrêt du 5 novembre 2025, publié au Rapport, la première chambre civile de la Cour de cassation précise dans le cadre du contentieux Helvet Immo l'articulation entre les restitutions civiles consécutives à l’annulation du prêt et l’indemnisation pénale du préjudice des emprunteurs. Pour la première fois, elle affirme la règle selon laquelle les dommages intérêts alloués par le juge pénal en réparation du préjudice financier causé à l’emprunteur par le prêteur reconnu coupable d’une pratique commerciale trompeuse doivent être déduits du montant de la somme que le prêteur est tenu de payer à l’emprunteur au titre des restitutions civiles consécutives à l’annulation du contrat de prêt.

Civ. 1re, 5 nov. 2022, n° 24-22.303

Le présent pourvoi porte sur le contentieux des prêts « Helvet Immo , destinés à l’investissement locatif défiscalisé et libellés en francs suisse mais remboursables en euros. Qualifiés de « toxiques » en raison du risque de change auquel ils exposent les emprunteurs, ces contrats de prêts sont, depuis une loi du 26 juillet 2013, prohibés (C. consom. art. L. 313-64). Concernant les contrats souscrits, comme en l’espèce, avant l’entrée en vigueur de cette loi, les emprunteurs victimes de la commercialisation de ces prêts ont, dans le sillage de la crise financière des années 2008 et 2009, multiplié les actions devant les juridictions civiles mais également devant le juge pénal, pour pratique commerciale trompeuse, aux fins d’obtenir à la fois la nullité des prêts souscrits et l’indemnisation de leurs préjudices.

Au cas présent, un particulier avait souscrit un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros auprès de la BNP Paribas. Estimant ne pas avoir été informé du risque de change inhérent à ce type d'opération, il avait agi en nullité du contrat pour réticence dolosive et obtenu, devant la cour d'appel, la restitution intégrale des sommes versées pendant l'exécution du prêt. En parallèle, la juridiction pénale avait condamné la banque, poursuivie du chef de pratiques commerciales trompeuses, à indemniser les emprunteurs, parties civiles, du préjudice financier résultant de l'application des clauses de change dont le caractère abusif avait été reconnu.

La banque contestait le caractère autonome de l'indemnisation allouée à l’emprunteur et soutenait, au nom du principe de la réparation du préjudice sans profit pour la victime, que le montant de l’indemnisation devait être déduit du montant de la restitution ordonnée en suite de l'annulation du contrat, au motif que les indemnités octroyées par le juge pénal tendaient à remettre les parties « en l’état », soit dans leur situation antérieure à la réalisation du dommage. La cour d'appel avait rejeté cet argument, estimant que les deux condamnations avaient des natures juridiques distinctes, l'une indemnitaire, l'autre restitutoire.

Le cumul des actions engagées devant les juridictions civile et pénale par le même emprunteur posait une difficulté sur laquelle la Cour de cassation était pour la première fois appelée à se prononcer : la somme allouée par la juridiction pénale à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier causé à l’emprunteur par le prêteur, reconnu coupable d’une pratique commerciale trompeuse, doit-elle être ou non déduite du montant de la somme que le prêteur est tenu de payer à l’emprunteur au titre des restitutions consécutives à l’annulation, par la juridiction civile, du contrat de prêt ? La réponse de la Cour était d’autant plus attendue dans la pratique judiciaire que les juges du fond, saisis de contentieux sériels, avaient rendu des décisions contradictoires en la matière, certains s’opposant à l’imputation de ces sommes quand d’autres considéraient, comme le soutenait la demanderesse au pourvoi, que les dommages et intérêts alloués par le juge pénal devaient être déduits du montant des restitutions. 

C’est en faveur de la seconde branche de cette alternative que tranche ici la Cour de cassation, qui casse et annule l'arrêt d'appel au visa des articles 1234 et 1304 anciens du Code civil. Elle rappelle que la nullité emporte l'effacement rétroactif du contrat et la restitution intégrale des prestations exécutées, sans perte ni profit pour le créancier. Ainsi, lorsque des dommages-intérêts alloués par le juge pénal produisent le même effet restitutoire que la créance de restitution née de l’annulation du prêt, ils doivent être imputés sur celle-ci afin de respecter le principe de la restitution intégrale, qui vise à empêcher tout enrichissement injustifié du demandeur à l’indemnisation.

En raison de la distinction des créances en restitution et en indemnisation, la solution n’allait pas de soi. Le principe de leur distinction aurait pu, en effet, justifier que l’annulation du prêt donne lieu cumulativement à la restitution des prestations et à des dommages intérêts. Alors que les restitutions sont la conséquence de la rétroactivité attachée à la nullité du contrat, impliquant de remettre en cause les effets contractuels passés, notamment par la restitution des sommes versées en exécution du contrat annulé (C. civ., art. 1178, al. 3), l’indemnisation résulte autrement de la nécessité de réparer un dommage de façon à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit. On notera également que si la restitution est un mécanisme objectif de retro-transfert, indifférent à l’appréciation du comportement des parties et jouant par ailleurs au profit de chacune d’entre elles, la responsabilité permet, par la voie de l’indemnisation, la réparation d’un préjudice qui ne profite qu’à la partie qui subit le dommage, sans la réciprocité propre au mécanisme des restitutions. C’est sur le fondement de cette distinction que la cour d’appel avait en l’espèce retenu que l’indemnisation par le juge pénal du préjudice financier subi par l’emprunteur, « de nature exclusivement indemnitaire » et donc distincte, par sa nature même, des restitutions réciproques devant être ordonnées en suite de la nullité du prêt, ne permettait pas de réduire le montant des restitutions dues à l’emprunteur : la dette de restitution n’ayant pas une nature indemnitaire, elle ne pourrait être minorée en considération d’une dette d’indemnisation.

C’était omettre que, quoique distinctes, responsabilité civile et restitutions entretiennent des liens étroits. Elles fonctionnent même comme des vases communicants chaque fois que la nullité du contrat peut s’accompagner d’une action en dommages et intérêts, ce que la loi prévoit, comme le rappelle la Cour : « Outre les restitutions consécutives à l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du préjudice subsistant dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle » (C. civ. art. 1178, al. 4). 

Or si en principe, l’annulation a pour seul but la suppression des effets illicites de l’acte, lorsque ces effets sont également la source d’un préjudice pour l’un des contractants, l’annulation viendra naturellement en tarir la source, supprimant ou réduisant le préjudice dont le contractant demande réparation par le jeu de la responsabilité. Il ne s’agit pas là du but de la nullité, mais d’une conséquence de son prononcé : la nullité peut donc exercer une influence sur l’existence même de la responsabilité en supprimant la source du préjudice ou en en minimisant les effets, et réduire l’ampleur de la réparation, en effaçant une partie du dommage. Il s’agit plus généralement de l’application de la règle, bien connue en théorie générale des obligations, de la compensation entre créances réciproques (C. civ., art. 1347 et 1347-1) : ainsi, la créance en restitution d’une banque à l’égard d’un emprunteur et la créance en indemnisation d’un emprunteur à l’égard d’une banque peuvent se compenser l’une avec l’autre. Partant, la réparation étant par principe intégrale, elle peut concerner l'ensemble des préjudices, sous réserve que la réparation ne soit pas déjà compensée par le biais des restitutions. C’est pourquoi il est acquis que si des dommages-intérêts sont demandés conjointement à l’annulation du contrat, ils doivent être réduits pour tenir compte du fait que les restitutions consécutives à l’anéantissement réparent une partie du préjudice. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la jurisprudence aussi constante qu’unanime de la Cour de cassation, dont chacune des chambres juge que la réparation, demandée en parallèle des restitutions, exige de la part de celui qui s’en prévaut la démonstration d'un préjudice distinct de celui réparé par l'annulation de l’acte. (Com. 9 oct. 2007, n° 05-22.023 ; Civ.3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.170 ; Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-21.671 ; Civ. 1re, 2 avr. 2025, n° 23-18.895). Seul le préjudice subsistant après les restitutions peut alors être indemnisé. Cette solution revient à exiger du juge - qui apprécie l’existence et l’étendue du préjudice dont le contractant demande réparation – de vérifier que ce préjudice n’est pas déjà compensé par le biais des restitutions.

La Cour adopte logiquement un raisonnement symétrique lorsque, comme dans la présente affaire, l’indemnisation précède les restitutions, permettant ainsi d’éviter tout enrichissement injustifié (sans cause) de l’emprunteur. Dans cette nouvelle perspective, il revient au juge de reconnaître que l’indemnisation du préjudice financier a déjà eu un effet de restitution de l’excès de prix et d’en déduire que les restitutions que lui-même prononce doivent en tenir compte. En admettant que l'indemnisation a le même effet restitutoire que celui résultant de l'annulation du prêt, la Cour est en l’espèce conduite à censurer les juges du fond, qui auraient dû prendre en compte les indemnités déjà allouées par le juge pénal pour le calcul des restitutions, et procéder à l’imputation de ces sommes, par respect du principe de la réparation intégrale, pour fixer le montant de la créance définitive en restitution. 

Références :

■ Com. 9 oct. 2007, n° 05-22.023

■ Civ.3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.170 : D. 2017. 2534 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2018. 378, obs. F. Cohet ; AJ contrat 2018. 193, obs. C.-E. Bucher ; RTD civ. 2018. 421, obs. P. Jourdain ; ibid. 661, obs. H. Barbier

■ Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-21.671 D. 2017. 2425 ; ibid. 2018. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ; RTD civ. 2018. 661, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 2 avr. 2025, n° 23-18.895

 

Auteur :Merryl Hervieu


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