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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Application de l’adage fraus omnia corrumpit en droit du cautionnement
Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites à peine de nullité de l’acte par plusieurs textes du Code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions pour se libérer de son engagement.
Il y a quelques semaines, la chambre commerciale de la Cour de cassation nous enseignait que la fraude pouvait avoir une incidence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement (Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033). Par le présent arrêt, elle complète l’enseignement tiré de sa précédente décision en jugeant que la fraude exerce une égale influence sur la nullité encourue en cas d’irrégularités des mentions manuscrites prescrites à titre de validité du cautionnement.
En l’espèce, par un acte du 1er avril 2005, une société avait conclu un contrat de crédit-bail portant sur divers matériels. À la suite d’impayés de loyers, le crédit-bailleur avait, par avenant du 5 novembre 2010, accordé à son cocontractant un échéancier des remboursements. Par un acte du 9 décembre 2010, le dirigeant de la société crédit-preneuse s’était rendu caution solidaire du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail. De nouveaux loyers étant restés impayés, les deux parties au contrat avaient conclu, le 19 avril 2013, un protocole de règlement se substituant à l’avenant du 5 novembre 2010. Ce protocole n’ayant pas été respecté, le crédit-bailleur avait assigné la société et la caution en paiement.
La cour d’appel déclara valide l’acte de cautionnement et, en conséquence, condamna solidairement la société et la caution à payer au créancier une certaine somme au titre de la créance en principal, ainsi que des pénalités et intérêts de retard. Les débiteurs se pourvurent donc en cassation au motif que les mentions manuscrites exigées par les articles L. 331-1 et L. 331-2 du Code de la consommation n’avaient pas été rédigées de la main de la caution, celle-ci ayant confié cette tâche à sa secrétaire. Mais l’argument est rejeté par la Cour de cassation, considérant qu’« (i)l résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3 du Code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions » (pt 4). Les hauts magistrats estiment qu’« Ayant constaté, par motifs adoptés, que les signatures de [du dirigeant] figurant sur l’acte de cautionnement et sur la fiche de renseignements étaient strictement identiques et que [le demandeur] ne pouvait donc alléguer n’avoir pas signé l’acte de cautionnement, puis relevé, par motifs propres, s’agissant des mentions manuscrites, qu’en dépit des précisions données dans l’acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par la loi, [le demandeur] a néanmoins cru devoir faire rédiger cette mention par sa secrétaire, au lieu d’y procéder lui-même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont il se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement, la cour d’appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, a exactement déduit de la faute intentionnelle dont elle a ainsi retenu l’existence dans l’exercice de son pouvoir souverain, que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement » (pt 5).
Bien que la caution soit largement protégée par le législateur, notamment en droit de la consommation, la portée générale conférée à l’adage fraus omnia corrumpit apporte une limite nécessaire à l’étendue de cette protection, qui doit cesser de bénéficier à la caution lorsque celle-ci tente, comme en l’espèce, de l’exploiter à des fins frauduleuses.
La sanction de la nullité du cautionnement pour non-respect des mentions manuscrites est fondée sur la protection de la caution (Com. 21 oct. 2020, n° 19-11.700). Le juge refuse toutefois de la prononcer lorsque le défaut d’une mention lui semble ne pas avoir affecté la nécessaire compréhension, par la caution, de la teneur et de la portée de son engagement. Privilégiant l’esprit à la lettre des textes applicables, le juge considère alors, dans plusieurs hypothèses, que le non-respect des formes requises doit rester sans incidence sur la validité du contrat de cautionnement :
■ d’une part, en cas de lacunes ou d’imprécisions des mentions rédigées par la caution, la simple limitation du droit de gage des créanciers est généralement préférée à la sanction radicale de la nullité du contrat (Com. 1er oct. 2013, n° 12-20.278 : « l’omission des termes "mes biens" n’avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n’affectait pas la validité du cautionnement » ; Com. 27 mai 2014, n° 13-16.989 : « l’omission (des termes « sur mes revenus ») n’avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n’affectait pas la validité du cautionnement » ; Com. 14 mars 2018, n° 14-17.931 : « (…) l’omission du mot "principal" dans la mention manuscrite prescrite par l’article L. 341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement aux accessoires de la dette, sans en affecter la validité ») ;
■ d’autre part, dans l’hypothèse plus rare, mais qui est celle de l’espèce, où la caution n’est pas l’auteure des mentions manuscrites requises, la sanction de la nullité a pu être écartée par les juges lorsque le non-respect de ce formalisme, protecteur des intérêts de la caution, est justifié par des motifs légitimes, c’est-à-dire compatibles avec cet objectif : ainsi, le manque de maîtrise de la langue française de la caution, ayant pour cette raison mandaté sa secrétaire de rédiger lesdites mentions, justifie d’écarter la nullité de l’acte dès lors que la caution avait néanmoins pu comprendre la teneur de l’engagement souscrit et en mesurer la portée (Com. 20 sept. 2017, n° 12-18.364 : « Mais attendu qu’après avoir relevé que M. X., arrivé en France en 1990 et sachant mal écrire, avait prié sa secrétaire, chargée habituellement de le faire à sa place, de l’accompagner lors de la souscription du cautionnement, qu’il avait signé après qu’elle eut inscrit la mention manuscrite, l’arrêt retient que ces circonstances établissent que la conscience et l’information de la caution sur son engagement étaient autant assurées que si elle avait été capable d’apposer cette mention de sa main, dès lors qu’il avait été procédé à sa rédaction, à sa demande et en sa présence ; qu’ayant ainsi déduit de ces circonstances l’existence d’un mandat régulièrement donné à sa secrétaire par M. X., c’est à bon droit que la cour d’appel a refusé d’annuler le cautionnement »).
Il en va en revanche différemment lorsque tel qu’en l’espèce, la caution, mue par une seule intention frauduleuse, a demandé à une personne de rédiger les mentions manuscrites à sa place dans le seul but de se prévaloir ensuite de la nullité de son engagement. Caractérisée, la fraude commise doit l’empêcher de se prévaloir de la nullité de protection de son engagement qu’elle a sciemment provoquée. L’antique principe fraus omnia corrumpit sert donc ici de limite nécessaire au formalisme légendaire du droit de la consommation, qui irrigue celui du droit du cautionnement : la sanction de la nullité en cas d’irrégularités de forme, protectrice des intérêts de la caution qui est la partie faible au contrat, ne doit toutefois pas être instrumentalisée par la caution pour pouvoir se libérer de son engagement au mépris des intérêts de son créancier. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle le droit prospectif entend renoncer à l’application de ce pointilleux formalisme au contrat de cautionnement (V. l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 déc. 2020, art. 2297: « La caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, le cautionnement ne vaut que pour la somme écrite en toutes lettres (…) »).
Pour augmenter ses chances de succès, qu’elle savait sans doute compromis par la fragilité de ce premier moyen, la caution avait également excipé de la disproportion de son engagement (C. consom., art. L. 332-1 et L. 343-4), ainsi que du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, ces deux griefs étant souvent invoqués de concert (v. par ex., Com. 21 oct. 2020, n° 18-25.205 ; Com. 13 sept.2017, n° 15-20.294). Elle échoua encore, sur ce terrain, à convaincre les hauts magistrats considérant, tout d’abord qu’« (e)n l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a retenu que [la caution] ne rapportait pas la preuve de la disproportion manifeste alléguée, à la date de son engagement, a légalement justifié sa décision » (pt 8) et, ensuite, que « (l)e crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’ il existe un risque de l’endettement né de la conclusion du crédit-bail garanti, lequel résulte de l’inadaptation dudit contrat aux capacités financières du crédit-preneur. Ayant relevé que [la caution] était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires, la cour d’appel, qui ne s’est pas ainsi fondée sur la seule qualité de gérant, abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième, troisième et quatrième branches, a pu retenir le caractère averti de la caution, dispensant le crédit-bailleur de toute obligation de mise en garde à son égard » (pt 11).
Il est acquis qu’une caution « non avertie » a la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de la banque en raison d’un manquement à son devoir de mise en garde (Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673), lequel inclut son obligation de vérifier la solvabilité du candidat au cautionnement en sorte de s’assurer que le financement de l’opération garantie ne présente pas pour le garant néophyte un risque démesuré au regard du montage financier opéré et des perspectives prévisibles offertes au débiteur principal (Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.435 ; Com. 17 nov. 2009, n° 08-70.197). Cependant, seules les cautions non averties sont en droit de se prévaloir de ce devoir de mise en garde, dont l’accomplissement au profit de ceux qui sont à même, de par les compétences et informations qu’ils détiennent, d’apprécier les risques liés au crédit, est jugé inutile. Les cautions averties, elles, ne peuvent y prétendre (Com. 3 févr. 2021, n° 18-24. 334 ; Com. 30 juin 2009, n° 08-10.719).
Au cœur de la qualification de caution « avertie » se trouve sa compétence juridique et financière, seule à même de la rendre apte à saisir l’étendue de sa garantie, c’est-à-dire, en pratique, à cerner la nature et à mesurer l’ampleur des engagements souscrits par le débiteur principal (Com. 14 mars 2018, n° 16-18.867 ; Com. 31 mai 2016, n° 15-12.354 ; Com. 22 mars 2016, n° 14-20.216 ; Com. 28 janv. 2014, n° 12-27.703). Pour être considérée comme « avertie », la caution doit donc disposer de compétences particulières, nécessaires à l’appréciation du risque inhérent à l’opération garantie et à la justesse du jugement qu’il doit avoir sur l’opportunité d’un crédit (Com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723).
En l’espèce, la caution contestait la validité de son engagement faute d’avoir bénéficié d’une mise en garde dont elle s’estimait créancière, sa seule qualité de professionnel, induite de ses fonctions de gérant de la société cautionnée, n’étant pas suffisante à la considérer comme une caution avertie. Exacte dans son principe, l’affirmation ne l’était cependant pas dans son application à l’espèce.
Souverainement appréciée par les juges du fond, il est vrai que la qualité de professionnel n’implique pas automatiquement celle de caution avertie (v. not. Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294). Une diversité d’éléments, non réductibles au seul exercice d’une profession déterminée, sont pris en compte : connaissance du monde des affaires, âge, expériences professionnelles, fréquence des opérations financières et du recours au crédit, montant de l’emprunt cautionné... Précisément, dans le présent arrêt, la cour d’appel s’était fondée, au-delà de la seule qualité de gérant de la caution, sur de tels éléments complémentaires, principalement sur « son expérience de la vie des affaires », en sorte qu’elle avait légalement justifié sa décision d'écarter l'obligation pour la banque de le mettre en garde.
À cet égard, il est enfin à noter que sur le constat d’un recoupement de la disproportion et du manquement au devoir de mise en garde, le second faisant doublon avec la première dès lors qu’il porte sur les capacités financières de la caution (v. M. Bourassin, Quelle réforme pour la formation du cautionnement ?, in Y. Blandin et V. Mazeaud [dir.], Quelle réforme pour le droit des sûretés, Dalloz, 2019, p. 99, n°25 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, « Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification », D.2018. 678), le projet de réforme du droit des sûretés prévoit de limiter le devoir de mise en garde aux capacités financières du débiteur principal (avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 déc. 2020, art. 2300: « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde [gratuitement] la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. À défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur de la perte de chance de ne pas contracter dont celle-ci a été privée »), conformément à l’objectif poursuivi par ses auteurs de simplifier le droit du cautionnement.
Références :
■ Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033: DAE 26 avr. 2021, note Merryl Hervieu; D. 2021. 696
■ Com. 21 oct. 2020, n° 19-11.700 P: DAE 30 nov. 2020, note Merryl Hervieu; D. 2020. 2116 ; RTD civ. 2021. 120, obs. H. Barbier
■ Com. 1er oct. 2013, n° 12-20.278 P: DAE 23 oct. 2013; D. 2014. 127, obs. V. Avena-Robardet
■ Com. 27 mai 2014, n° 13-16.989
■ Com. 14 mars 2018, n° 14-17.931
■ Com. 20 sept. 2017, n° 12-18.364: D. 2018. 1884, obs. P. Crocq
■ Com. 21 oct. 2020, n° 18-25.205 P: DAE 9 déc. 2020, note Merryl Hervieu; D. 2020. 2116 ; Rev. sociétés 2021. 174, note D. Houtcieff
■ Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294 P: DAE 9 oct. 2017; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq
■ Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673 P: D. 2007. 2081, note S. Piédelièvre ; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais
■ Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.435: AJ contrat 2020. 572, obs. Y. Picod
■ Com. 17 nov. 2009, n° 08-70.197 P:D. 2009. 2926 ; ibid. 2010. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin
■ Com. 3 févr. 2021, n° 18-24.334: DAE 16 mars 2021, note Merryl Hervieu
■ Com. 30 juin 2009, n° 08-10.719: D. 2009. 2163, obs. A. Lienhard ; ibid. 2010. 287, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau
■ Com. 14 mars 2018, n° 16-18.867: D. 2018. 1884, obs. P. Crocq
■ Com. 31 mai 2016, n° 15-12.354
■ Com. 22 mars 2016, n° 14-20.216: D. 2016. 780 ; ibid. 1955, obs. P. Crocq
■ Com. 28 janv. 2014, n° 12-27.703 P: DAE 20 févr. 2014; D. 2014. 364 ; ibid. 1010, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou et F. Arbellot ; RTD civ. 2014. 361, obs. H. Barbier
■ Com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723 P:D. 2017. 212 ; AJ contrat 2017. 122, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2017. 282, note J.-J. Ansault ; RTD com. 2017. 625, obs. A. Lecourt
■ Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294 P: DAE 9 oct. 2017; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq
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