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Introduction au droit
L’interprétation de la règle de la règle de droit : les causes de l’interprétation (épisode 2)
Le juge est donc le principal titulaire du pouvoir d’interpréter (v. épisode 1). Ce pouvoir d’interprétation est évidemment capital, constituant le véritable fondement du pouvoir créateur de la jurisprudence (v. Points sur le pouvoir normatif de la jurisprudence : DAE 21 sept. 2021 et 22 sept. 2021).
Mais le juge peut-il utiliser ce pouvoir d’interprétation en toute circonstance ? On pourrait encore poser la question différemment : y a-t-il toujours matière à interprétation ? Ne peut-on pas observer des cas où le texte, suffisamment clair, n’appelle donc aucune interprétation ?
De fait, selon l’approche traditionnelle, il existe deux types de textes : les textes clairs, qui ne nécessitent pas d’être interprétés et les textes obscurs, c’est-à-dire équivoques, qui ne sont pas clairs, ou en tout cas moins que les précédents, et qui appellent en conséquence une interprétation.
En outre, il existe en matière d’interprétation certaines difficultés classiques, qui tiennent : aux silences textuels, visant l’hypothèse où une situation n’est expressément envisagée par aucune norme, qui suppose également une démarche interprétatrice et à l’antinomie existant entre deux textes.
Ainsi, l’obscurité de la règle, les silences juridiques et l’antinomie entre les textes constituent-ils les trois causes principales de l’interprétation de la règle de droit.
■ L’obscurité de la règle
L’essence de l’interprétation consiste à rechercher le sens exact du texte. Il en résulte que la clarté du texte empêche son interprétation : Interpretatio cessat in claris. Cette maxime classique, selon laquelle l’interprétation cesse lorsqu’un texte est clair, exprime ce constat évident : pour qu’il y ait lieu à interprétation, encore faut-il qu’il y ait besoin d’interprétation. Cette théorie de l’acte clair était déjà présente dans l’esprit des rédacteurs du Code civil qui avaient entendu réserver l’interprétation aux seuls actes ambigus.
Les tribunaux ont ainsi généralement retenu deux applications de cette limitation :
- tout d'abord, en refusant d'élargir la portée d'un texte clair et sans ambiguïté, considérant qu’une telle extension ne relève pas de la compétence judiciaire ;
- ensuite, en faisant primer la lettre du texte sur la recherche de l'intention du législateur.
Le problème est évidemment de savoir ce qu’est un texte clair. Sur le plan théorique, on peut en effet défendre l’idée que tout texte appelle une interprétation de ses termes. Même sur un plan concret, à partir du moment où le sens d’un texte est discuté, cela ne veut-il pas dire qu’il n’est pas parfaitement clair et qu’il mérite donc d’être interprété ? Cependant, l’adoption d’une telle approche n’est pas souhaitable : dès lors que son sens est contesté, tout texte pourrait alors être interprété. Or l’interprétation ne doit pas servir de moyen de déformer les textes, et de leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. C’est la raison pour laquelle la nécessité d’interpréter la règle de droit doit être cantonnée au cas où les termes de celle-ci se révèlent équivoques, ambigus, imprécis.
L’obscurité de la règle se présente donc comme une condition de son interprétation. Elle tient le plus souvent à la grande généralité des termes employés dans les textes, dont le sens exact peine alors à être identifié. Prenons l’exemple de la loi de 2013 sur le « Mariage pour tous ». Que devait-on entendre par ce « tous » ? Si les couples homosexuels avaient été publiquement présentés comme les seuls visés par cette réforme, certains opposants à ce projet de loi ont fait valoir, à l’époque, que l’intitulé du projet laissait augurer, par cette formule très vague et excessivement générale de « Mariage pour tous », de la légalisation de l’inceste…
Depuis le XXè siècle, la difficulté de faire le départ entre des textes clairs et des textes obscurs s’est de surcroît accrue par le recours croissant aux notions-cadre et standards juridiques (la bonne foi contractuelle, l’abus de droit, la référence au « bon père de famille » ou désormais, à une « personne raisonnable », l’intérêt de l’enfant, etc.), normes souples et volontairement indéterminées. Ainsi la loi a-t-elle, en cette matière, le défaut de sa qualité, l’imprécision de ses termes étant le pendant naturel de son caractère général et abstrait, sans lequel elle ne pourrait être considérée comme une règle de droit (v. Les caractères de la règle droit).
La généralité et l’abstraction requises de la loi favorisent son obscurité. Elles causent aussi, parfois, ses silences.
■ Les silences
La loi ne peut pas tout prévoir. Dans son Discours préliminaire, Portalis en faisait déjà le constat, et en tirait la conclusion naturelle de l’intervention nécessaire du juge pour interpréter les textes.
Extrait du Discours préliminaire : « (…) il est impossible au législateur de pourvoir à tout. Dans les matières même qui fixent particulièrement son attention, il est une foule de détails qui lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l’objet d’un texte de loi. (…). Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à la discussion des hommes instruits, à l’arbitrage des juges ».
Certaines situations ne sont pas, en effet, expressément envisagées par la loi. Reprenons l’exemple du « Mariage pour tous ». Même avant cette loi, l’interdiction du mariage homosexuel ne figurait pas expressément dans le Code civil. Que devait-on en déduire ? Deux interprétations étaient en fait possibles : soit le silence du législateur sur ce point traduisait son refus de reconnaître le mariage entre deux personnes du même sexe, soit il révélait une vraie lacune, pour ne pas dire un oubli, du législateur sur cette question. Dans cette dernière hypothèse, sans anticiper sur l’épisode 3, précisons toutefois que le juge devra alors rechercher la volonté implicite du législateur, ce qu’avait précisément fait la Cour de cassation en affirmant dans une décision du 13 mars 2007 qu’au regard de la loi française, « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » (Civ. 1re, 13 mars 2007, n° 05-16.627 P).
■ Les antinomies
Il peut arriver que deux textes coexistent pour s’appliquer à une même situation, tout en prévoyant des règles différentes. Par exemple (tiré de X. Dijon, Méthodologie juridique), au 19è siècle, en Belgique, un soldat vole des coupons de chemin de fer destinés aux permissions des militaires et les utilise en y apposant la signature, imitée, de son chef de corps. Pris en flagrant délit, il est reconnu coupable de « faux en écriture publique ». Mais comment le sanctionner ? En effet, d’un côté, l’article 59 du Code pénal militaire prévoyait l’incorporation du délinquant dans une compagnie de correction ; de l’autre, les articles 31 et 84 du Code pénal de droit commun sanctionnaient ce type d’infractions par une interdiction de servir dans l’armée durant dix ans. On observait donc là une contradiction manifeste entre les différents textes applicables. Comment résoudre l’antinomie ?
● Soit par le recours à la hiérarchie des normes, mais celle-ci était inefficace en l’espèce, l’égale nature légale des textes applicables les plaçant à un rang identique ;
● Soit par le recours au mécanisme de l’abrogation tacite, qui suppose que le nouveau texte, sans dire explicitement qu’il abroge le texte antérieur existant, adopte une disposition nouvelle incompatible avec ce dernier. Ce mécanisme découle en réalité d’une règle d’interprétation qui revient à considérer que dans le silence du nouveau texte (v. supra, Les silences), sont abrogées les dispositions anciennes incompatibles avec les dispositions nouvelles. Ainsi, dans l’exemple rapporté, le Code pénal militaire, le plus récent, trouvait à s’appliquer ;
● Soit par le recours à la règle specialia generalibus derobant : dans l’hypothèse où leurs domaines d’application sont identiques mais leurs dispositions, incompatibles, le texte spécial doit l’emporter sur le texte général. La logique commande en effet dans ce cas de juger plus opportune l’application du texte spécialement édicté pour régir la situation considérée. Et l’application de ce principe conduisait également, dans l’exemple rapporté, à l’application du Code pénal militaire.
Au-delà du recours à la logique qui permet, comme dans le cas précité, de dégager des règles d’interprétation, il existe plus largement des méthodes d’interprétation de la règle. En effet, qu’il résulte de l’antinomie entre deux textes, de l’obscurité ou du silence d’un texte, le besoin d’interprétation pose immédiatement la question des moyens existant pour y répondre. Comment interpréter une règle obscure ? Comment résoudre une antinomie ? Comment lever le silence du législateur ?
Plusieurs techniques sont disponibles, suite au prochain épisode…
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