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À vos copies !
Droit des obligations
Caractère excusable de l’erreur du vendeur sur les qualités substantielles d’une œuvre d’art et responsabilité de la société de ventes
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 4 déc. 2024, n° 23-17.569
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Une personne remet à une société de ventes un tableau, estimé entre 200 à 300 euros, afin que cette œuvre soit identifiée puis mise en vente. À cette occasion, elle confie à la société de ventes ses archives familiales, comprenant des documents permettant d’établir le lien de parenté entre sa famille et le peintre Géricault, qui pourrait être le peintre du tableau. Au cours d'une vente aux enchères publiques organisée par la société de ventes le 3 juin 2015, une société est déclarée adjudicataire de l’œuvre pour un montant de 50 000 euros. L’adjudicataire revend ce tableau le 10 juin 2015 pour un prix de 90 000 euros à une galerie, qui elle-même le revend à un particulier, le 15 juin 2015, au prix de 130 000 euros. Au décès du vendeur originaire, qui ignorait la réelle paternité de l’œuvre, ses héritiers demandent l’annulation de la vente pour erreur sur la substance et l’engagement de la responsabilité contractuelle de la société de ventes.
■ Qualification des faits : En quelques jours, un tableau initialement estimé entre 200 et 300 euros fait l’objet de deux reventes pour être finalement vendu, lors de la dernière d’entre elles, au prix de 130 000 euros. La vente initiale avait été confiée par le propriétaire du tableau à une société de ventes, à laquelle le vendeur avait également transmis ses archives familiales, révélant l’existence d’un lien de parenté entre sa famille et le célèbre peintre Géricault, l’auteur véritable de la toile. Au décès du premier vendeur, ses héritiers décident d’assigner la société de ventes et l’adjudicataire en annulation de la vente pour erreur sur la substance et en responsabilité de la société de ventes.
■ Procédure : En cause d’appel, l’erreur commise par le vendeur est considérée comme inexcusable au sens des anciens articles 1109 et 1110 du Code civil, applicables à la cause. Les juges du fond ont retenu une circonstance propre au litige, tenant dans l’existence d’archives familiales du vendeur. La cour d’appel a en conséquence considéré que l’erreur du vendeur, persuadé du caractère ordinaire de la peinture, était inexcusable faute d’avoir procédé à un examen préalable de ses archives alors qu’en raison de son contexte familial, il savait le doute existant sur l’attribution du tableau à Géricault. Ce doute aurait dû le conduire, avant la mise en vente, à solliciter une expertise. La demande en nullité de la vente formée par ses héritiers est alors écartée. La responsabilité contractuelle de la société de ventes est en outre écartée, faute pour cette société d’avoir été alertée sur le doute relatif à l’attribution du tableau ou sollicitée par le vendeur pour le faire expertiser avant sa mise aux enchères en 2015.
■ Moyen du pourvoi : 1/ Appréciation in concreto du caractère inexcusable de l’erreur, dépendant des circonstances de la conclusion du contrat, de l'âge, de la compétence et de la profession de la victime ; en qualité de profane, la victime d’une erreur ne peut se voir reprocher une erreur inexcusable si les éléments qu'elle avait en sa possession et qu'elle a transmis au professionnel à l'avis duquel elle s'est rangée n'ont pas empêché à l’errans de commettre l’erreur alléguée ; or en l’espèce, les héritiers font valoir la communication à la société de ventes des archives familiales du vendeur, ayant permis à cette société de prendre connaissance des liens entre la famille du vendeur et le peintre Géricault au point de mentionner ce lien dans la description du bien en vue de sa vente ; pourtant, la société a maintenu l’évaluation initiale du tableau au prix de 200 à 300 euros et n’a pas cherché à faire expertiser l’œuvre, toutes circonstances qui excluaient par là-même la commission d'une erreur inexcusable par le vendeur.
2/ Obligation de l’opérateur de ventes volontaires, soumis à un devoir de transparence, de diligence et d’investigation à l’égard du vendeur profane tout au long du processus contractuel ; il doit lui apporter tous les éléments d'information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente, effectuer des recherches appropriées pour identifier le bien qui lui est confié en vue de la vente et s’enquérir, s’agissant d’une œuvre d’art, de son authenticité, en recourant le cas échéant à l'assistance d'un expert ; c’était donc, en l’espèce, à l’opérateur de questionner le vendeur sur le tableau mis en vente et d'attirer son attention sur la nécessité de le faire expertiser, et non l’inverse, comme l’a retenu à tort la cour d’appel pour imputer de tels manquements au vendeur profane.
■ Problème de droit : : 1/ Le manquement du professionnel chargé de la vente d’une œuvre d’art à son devoir d’investigation rend-il excusable l’erreur du vendeur sur la paternité de celle-ci ?
2/ La responsabilité contractuelle d’une société de ventes peut-elle être engagée lorsque le défaut d’identification de l’œuvre d’art résulte de l’absence d’initiative du vendeur pour faire expertiser celle-ci ?
■ Solution : À ces deux questions, la Cour de cassation répond par l’affirmative et casse en conséquence la décision des juges du fond.
1/ Cassation de la décision des juges du fond au visa des articles 1109 et 1110 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Il résulte de ces textes que l'erreur du vendeur sur les qualités substantielles de la chose vendue n'est une cause de nullité du contrat qu’à la condition d’être excusable. Tel est le cas si le vendeur a transmis tous les éléments en sa possession au professionnel chargé de la vente en s'en remettant à son avis et que celui-ci n'a pas procédé aux recherches qui auraient permis d'éviter cette erreur. Or en l’espèce, la société de ventes ayant été en possession des archives familiales du vendeur aurait dû s’interroger sur l’identité de l’auteur de l’œuvre et engager des démarches d’investigation à cette fin. N’y ayant pas procédé, l’erreur du vendeur est excusable.
2/ C’est ensuite sur le fondement du droit spécial et des règles déontologiques applicables aux opérateurs de vente volontaires que la cassation est prononcée. Au visa de l'article L. 321-17 du Code de commerce et des articles 1.2.2 et 1.5.4. de l'arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil déontologique des opérateurs de vente volontaires, applicables au litige, la Cour retient l’existence d’une faute commise par la société de ventes engageant sa responsabilité contractuelle, en raison d’un triple manquement à son obligation de transparence, de diligence et d’investigation à l’égard du vendeur pour identifier le bien qu’il lui a confié, peu important que ce dernier ne l’ait pas directement interrogé sur le tableau ni demandé de procéder à une expertise.
I. La vente du tableau annulée
A. En raison d’une erreur substantielle
● Pour justifier l’annulation du contrat, l’erreur doit porter sur les qualités substantielles du contrat ; erreur « vice du consentement » ; comp. erreur obstacle (sanction : inexistence du contrat), erreur indifférente (ex : erreur sur la valeur) ;
● Approche subjective de l’erreur substantielle : la qualité considérée comme substantielle est celle en considération de laquelle les parties ont contracté, même si elle ne porte pas objectivement sur la matière qui compose la chose ; recoupement avec l’exigence du caractère déterminant de l’erreur vice du consentement ;
● Authenticité d’une œuvre d’art : qualité substantielle de la chose selon une jp constante depuis l’affaire Poussin ; hypothèse : le vendeur croit vendre un tableau ordinaire alors que son auteur véritable est un peintre célèbre. L’erreur sur la paternité véritable de l’œuvre d’art est considérée comme substantielle, donc viciant le consentement au point d’entraîner la nullité de la vente.
B. En raison d’une erreur excusable
● Indifférence à l’erreur inexcusable, cad grossière ou détectable par sa victime ; devoir du contractant de se renseigner avant de conclure un contrat ; s’il commet une faute de négligence qui est à l’origine de son erreur, celle-ci ne sera pas sanctionnée ; la nullité du contrat ne peut être obtenue que si l’erreur est excusable ;
● Appréciation in concreto du caractère inexcusable : âge, profession, qualité de profane ou d’averti de la victime, circonstances entourant la conclusion du contrat ; rappeler le débat concernant la qualité de vendeur de l’errans ; possibilité pour un vendeur d’invoquer l’erreur sur sa propre prestation contestée par une partie de la doctrine car il s’agirait d’une erreur inexcusable, l’objet de l’erreur devant être cantonné à la prestation reçue (et non donnée); reconnaissance toutefois par la jp de l’erreur du vendeur sur sa propre prestation, sanctionnée par la nullité du contrat (arrêt Poussin, Civ. 1re, 22 févr. 1978, n° 76-11.551) ;
● En l’espèce, les circonstances entourant la conclusion du contrat (communication préalable des archives familiales) et la qualité de profane du vendeur sont déterminantes : erreur excusable car le vendeur a transmis tous les éléments utiles en sa possession au professionnel chargé de la vente, en s’en remettant à son avis (lui n’ayant pas les compétences) ; or le professionnel n’a pas procédé aux recherches qui auraient permis au vendeur d’éviter de commettre une erreur substantielle sur le tableau vendu = le manquement du professionnel à son devoir d’investigation malgré sa connaissance du lien de parenté entre la famille du vendeur et Géricault, information en outre portée à la connaissance du public avant la vente, sans modifier le prix de départ ni recourir à l’avis d’un expert, rend l’erreur du vendeur excusable ;
● Portée : malgré son erreur, le vendeur profane qui, avant de vendre, consulte un professionnel spécialiste de l’identification peut obtenir l’annulation du contrat en raison du caractère excusable de son erreur sur une qualité substantielle de la chose ;
● Illustration du caractère excusable de l’erreur justifiant l’annulation en matière de ventes aux enchères et d’identification par la société de ventes qui n’aurait pas procédé à toutes les recherches nécessaires.
II. La responsabilité de la société de ventes engagée
A. En raison de la caractérisation de la faute
● C.com., art. L. 321-17 : l'opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques engage sa responsabilité au cours ou à l'occasion des prisées et des ventes de meubles aux enchères publiques, conformément aux règles applicables à ces ventes ;
● Renvoi aux articles 1.2.2 et 1.5.4. de l'arrêté définissant les règles déontologiques applicables aux opérateurs de vente volontaires, et les devoirs multiples leur incombant : devoir de transparence et de diligence à l'égard du vendeur tout au long du processus de vente ; devoir d'information couvrant tous les éléments nécessaires pour éclairer la décision du cocontractant ; devoir d’investigation les obligeant à effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien qui leur est confié en vue de la vente en recourant, le cas échéant, à un expert ;
● En l’espèce, manquement de la société à l’ensemble de ses obligations ; faute caractérisée par la violation des règles déontologiques applicables à la profession, notamment de son obligation d’investigation, malgré les éléments figurant aux archives ; c’est encore une fois la communication des archives familiales qui justifie la cassation et permet d’engager la responsabilité de la société, à tort écartée par les juges du fond.
B. En raison de l’appréciation de la faute
● Faute appréciée en elle-même, indépendamment de l’absence d’initiative des autres intervenants, impropre à écarter sa propre responsabilité contractuelle ;
● Faute retenue bien que le tableau n’ait pas l’objet d’investigations particulières de la part du commissaire-priseur et que celui-ci n’a jamais été alerté et interrogé sur ce tableau ;
● Faute retenue bien que le vendeur ne lui ait jamais demandé de réaliser une expertise compte tenu des éléments figurant aux archives familiales ;
● Incidence de la reconnaissance du caractère excusable de l’erreur du vendeur sur l’appréciation de la faute du professionnel : le caractère excusable de l’erreur suppose que le professionnel chargé de la vente a manqué à son devoir d’investigation ;
= Violation des règles déontologiques constitutive d’une faute imputable à la société de ventes, engageant sa responsabilité contractuelle.
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