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Sur la qualification délictuelle de l'action en responsabilité fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies

[ 15 avril 2025 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Sur la qualification délictuelle de l'action en responsabilité fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.

Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 12 mars 2025, n° 23-22. 051.

Travail préparatoire

Rappel de méthodologie

Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.

En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.

En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.

Analyse de l’arrêt

Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :

– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;

– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;

– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;

– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;

– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.

Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :

■ Sélection des faits : : La société Daucourt mandate la société Palm Bay en tant qu'importateur exclusif aux États-Unis de vins et spiritueux. Il n'a pas été convenu de clause attributive de juridiction. Après plusieurs années de relation, la société Palm Bay rompt leur relation sans préavis. La société Daucourt s’estime victime de la rupture brutale de leur relation commerciale.

■ Qualification des faits : Une société française mandate une société américaine pour importer des spiritueux sur le territoire américain. Aucune clause attributive de juridiction n’était stipulée entre les parties. Subissant ultérieurement la rupture de leur relation commerciale, intervenue sans préavis, la société française reproche à sa cocontractante américaine la brutalité de cette rupture.

■ Procédure : Elle l’assigne donc en responsabilité devant le juge français. Pour accueillir l’exception d’incompétence internationale soulevée par la défenderesse, ce dernier retient que lorsqu'il existe une relation contractuelle tacite entre les parties, une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies ne relève de la matière délictuelle que dans l'ordre juridique interne, de sorte que la société victime de la rupture ne pouvait pas assigner la société de droit américain qui en était l’auteure en se fondant sur le critère du lieu de son siège social, où elle dit avoir subi un dommage résultant de la cessation de la relation commerciale sans qu'un préavis de résiliation ait été respecté. Ainsi la cour d’appel de Paris s’estime-t-elle incompétente en raison de la nature contractuelle de l’action, dont elle déduit qu’est seule compétente la juridiction du lieu d’exécution de la prestation de services (et donc le juge américain), à l’exclusion de celle du lieu du dommage (relevant de la compétence du juge français).

■ Moyens du pourvoi : Il résulte de l’article 46 du Code de procédure civile qu’en l’absence de convention internationale et de règlement européen relatif à la compétence judiciaire, la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne, de sorte qu’une action en réparation fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies relève de la matière délictuelle pour l’application de la compétence internationale des juridictions françaises ; l’exception d’incompétence ne pouvait donc en l’espèce être accueillie.

■ Problème de droit : Dans l’ordre international, la rupture brutale d’une relation commerciale établie entre une société française et une société américaine constitue-t-elle un délit civil justifiant que l’action en responsabilité, en raison de sa nature délictuelle, puisse être portée par sa victime devant le juge français ?

■ Solution : Au visa des principes qui régissent la compétence internationale, l'article L. 442-6, I, 5°, devenu L. 442-1, II, du Code de commerce et l'article 46 du Code de procédure civile, la Cour juge que, par extension des règles internes de compétence aux règles internationales, dans l’ordre international hors droit de l’UE, l’action délictuelle fondée sur la méconnaissance de l’exigence légale d’un préavis raisonnable préalablement à la rupture des relations commerciales établies autorisait la victime à assigner l’auteur de la rupture devant la juridiction française du lieu du fait dommageable.

I. Nature délictuelle de l’action 

A. Confirmation de la nature délictuelle de l’action

- Inscrites dans un contexte contractuel, les « relations commerciales établies » visent des partenariats commerciaux de longue durée reposant à la fois sur la conclusion d’accords cadre, suivis d’une succession de contrats d’application conclus entre les différents partenaires ; 

- Cpdt, la notion de « relations commerciales établies » est factuelle : ce n’est pas le concept juridique de relation contractuelle qui a été retenu par le législateur : la responsabilité de l’auteur de la rupture des relations commerciales établies, ne provenant pas d’une défaillance contractuelle, a donc été jugée de nature délictuelle : Com. 6 févr. 2007, n° 04-13.178 Com. 24 oct. 2018, n° 17-25.672 (pt 7).

B. Conséquences de la nature délictuelle de l’action

- Détermination de la loi applicable et de la compétence juridictionnelle : en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (art. 46 C. pr. civ. ; pt 8) ;

- Concernant la compétence internationale, rappel du principe d’extension des règles internes de compétence à la compétence internationale des tribunaux français : l’action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies relève de la matière délictuelle également dans l'ordre juridique international, auquel se transposent les règles de compétence édictées par l’art. 46 précité (pt 5) ;

- Conséquence en l’espèce : compétence du juge français (en raison du lieu du dommage).

II. Nature duale de l’action 

A. Le maintien de la nature contractuelle de l’action

- Dans l’espace européen, l’action pourra être qualifiée de contractuelle ; CJUE, saisie de 2 questions préjudicielles par la Cour d’appel de Paris, a opté pour la nature contractuelle de l’action indemnitaire engagée en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie s’il existait entre les parties une relation contractuelle, même tacite, et que l’existence d’une telle relation repose sur un faisceau d’indices concordants (CJUE Granarolo, 14 juill. 2016,  aff. C-196/15) ;

-  S’inscrivant dans le sillage de l’arrêt Granarolo rendu en 2016 par la CJUE, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que lorsque la relation commerciale repose sur une relation contractuelle tacite, alors l’action est de nature contractuelle (Com. 20 sept. 2017, n° 16-14.812), du moins en termes de compétence ; mais comme le précise ici la première chambre civile pour justifier la cassation de la décision des juges du fond, s’étant mépris sur la portée de cette jurisprudence commerciale, la solution ne vaut que pour l’application du droit de l’Union européenne : « dans l'ordre international, hors champ d'application du droit de l'Union européenne, cette action est de nature délictuelle ».

B. L’incertitude de la nature juridique de l’action

- Solution duale : nature de l’action en responsabilité tantôt délictuelle, tantôt contractuelle, selon les ordres juridiques en cause ;

- Action délictuelle en droit interne et en droit international français hors du droit de l’Union européenne ;

- Action contractuelle en droit international français mais uniquement pour l’application du droit de l’Union européenne et si la relation commerciale repose sur une relation contractuelle tacite (Com. 20 sept. 2017, préc.) ; ainsi, même dans l’espace européen, l’action demeurera délictuelle en l’absence d’une telle relation tacite.

- Critiques : manque de cohérence et de lisibilité.

 


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