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À vos copies !

Droit de la responsabilité civile
Limite au refus d’obliger la victime à minimiser son dommage
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 3e, 5 juin 2025, n° 23-23.775.
Travail préparatoire
Rappel de méthodologie
Un commentaire d’arrêt est un exercice qui comprend deux temps : l’explication de l’arrêt et son appréciation.
En d’autres termes, il faut, en premier lieu, expliquer le sens de l’arrêt. Ce qui suppose d’abord de le lire très attentivement, pour bien le comprendre. Ensuite, et c’est un temps essentiel de votre commentaire, il vous faut identifier la question que l’arrêt à commenter a résolue. En outre, il vous faut détecter la ou les règles de droit qui fondent la décision qui vous est soumise. Enfin, il vous faut faire un exercice de mémoire (si vous composez votre commentaire dans le cadre d’un examen) ou de recherche (si vous composez librement votre commentaire), non seulement pour découvrir le thème général dans lequel s’inscrit l’arrêt à commenter, mais encore pour trouver des éléments bibliographiques qui vous permettront de mieux comprendre l’arrêt que vous devez commentez et donc de mieux l’expliquer.
En second lieu, après avoir expliqué le sens de l’arrêt et démontrer que vous l’avez compris, vous devez apprécier l’arrêt à commenter, donner une opinion sur la façon dont la Cour de cassation a tranché le litige et répondu à la question de droit, au fond, il vous faut juger les juges, vous prononcer sur la valeur de la décision, ce qui sera d’autant plus simple que vous pourrez la situer dans le temps, c’est-à-dire en déterminer la portée. Dans cette perspective d’appréciation de la valeur de l’arrêt, il vous faut exploiter des éléments bibliographiques qui vous permettront de recueillir les diverses opinions doctrinales qui se sont prononcées sur la question de droit réglée par la Cour de cassation, et de vous prononcer sur la pertinence des diverses thèses en présence à propos de la question de droit, celle que soutenaient les juges du fond, celle du demandeur au pourvoi et puis celle retenue par la Cour de cassation qui sera fatalement peu ou prou une des deux précédentes.
Analyse de l’arrêt
Analyser l’arrêt conduit à s’en tenir à le présenter en vue d’introduire votre commentaire. Voici la démarche à suivre :
– d’abord, il vous faut sélectionner les faits qui seront utiles dans la perspective de votre commentaire ;
– en outre, il convient de qualifier les faits, ce qui revient à les faire entrer dans une catégorie juridique donnée ;
– ensuite, il faut exposer les différentes étapes de la procédure, à savoir la décision des juges du fond, puis le moyen du pourvoi ;
– de plus, il vous faut énoncer la question de droit que l’arrêt a tranchée ;
– enfin, il convient d’exposer la solution que la Cour de cassation a finalement retenue.
Dans l’arrêt qu’il vous faut ici commenter, reprenons cette démarche :
■ Sélection des faits : : Une société d’exploitation industrielle se voit reprocher par un couple d’éleveurs bovins la pollution des eaux et des sols dont ces derniers sont propriétaires. Cette pollution est causée par une décharge que la société exploite depuis plusieurs années. Les éleveurs ont connaissance depuis 2004 de l’existence de cette pollution industrielle, dont ils auraient pu éviter les méfaits en déplaçant leur cheptel sur les terres non polluées dont ils disposent. Ils demandent néanmoins à l’exploitant de réparer intégralement leur préjudice, consécutif à la surmortalité du cheptel.
■ Qualification des faits : Un couple d’éleveurs bovins est victime d’une pollution industrielle à l’origine d’une surmortalité de leur cheptel. Ayant constaté la nocivité de cette pollution, le couple a fait le choix de laisser pâturer son cheptel sur les terrains pollués, alors qu’il disposait également de terres non concernées par la pollution. Malgré leur inaction, les éleveurs demandent à la société à l’origine de cette pollution l’indemnisation intégrale de leur dommage.
■ Procédure : Le 28 septembre 2023, la Cour d’appel de Douai condamne l’exploitant à indemniser intégralement le couple d’éleveurs pour le préjudice subi. Les juges du fond relèvent que le fait que le couple ait simplement maintenu son cheptel sur les parcelles polluées, sans déplacer le pâturage, ne peut leur être reproché pour diminuer son droit à réparation. Selon les juges du fond, il n’y a aucune preuve que les victimes ont elles-mêmes aggravé leur dommage. La cour ajoute qu’elles n’avaient pas l’obligation de minimiser leur préjudice dans l’intérêt du pollueur. Par conséquent, la société exploitant la décharge doit intégralement indemniser le préjudice subi, sans partage possible de responsabilité.
■ Moyens du pourvoi : Un pourvoi principal est formé, mais seul le moyen du pourvoi incident est reproduit. Dans ce moyen, l’exploitant invoque une violation de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil. Selon le demandeur à la cassation, les juges du fond n’ont pas tenu compte du comportement des victimes, celles-ci ayant contribué à leur propre dommage en persistant à faire pâturer leur cheptel sur des parcelles qu’elles savaient polluées alors qu’elles en possédaient d’autres, non concernées par la pollution. Dès lors, la cour d’appel aurait dû réduire le montant de leur indemnisation.
■ Problème de droit : : Le refus d’obliger la victime à minimiser son dommage interdit-il de tenir compte de l’inaction de la victime pour empêcher de l’aggraver ?
■ Solution : À cette question, la troisième chambre civile répond par la négative. Elle casse et annule partiellement la solution de la Cour d’appel de Douai : si la Haute juridiction maintient le principe de la condamnation de l’exploitant, elle désapprouve les juges du fond ayant refusé de prononcer un partage de responsabilité, malgré la participation des victimes à l’aggravation de leur dommage. Au visa de l’article 1240 du code civil, la Cour rappelle le principe selon lequel la victime n’a pas l’obligation de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable. Elle tempère toutefois ce principe en précisant que lorsque la victime commet une faute qui contribue à l’aggravation de son dommage, son droit à réparation s’en trouve réduit. Ce faisant, la Haute juridiction confirme une jurisprudence constante concernant l’absence d’obligation pour la victime de minimiser son dommage. Mais dans le même temps, elle admet, sur le fondement de la faute, que l’abstention de la victime qui a contribué à aggraver le dommage peut diminuer son droit à réparation.
I. Principe : absence d’obligation de la victime de minimiser son dommage
A. Une reconnaissance possible
■ Issue des droits anglo-saxons, l’obligation de minimiser son dommage impose à la victime le devoir de prendre des mesures raisonnables pour minimiser son préjudice ; une participation est attendue de la part de la victime qui doit, dans la mesure du possible, minimiser le montant de son dommage avant la fixation de la réparation définitive.
■ Cette obligation est également consacrée par différents instruments internationaux, comme la Convention de la Haye du 1er juillet 1964 sur la vente internationale d’objets mobiliers corporels, les principes du droit européen des contrats, ou la convention de Vienne du 11 avril 1980.
■ Enfin, la reconnaissance de cette obligation en droit français est appelée de ses vœux par une partie de la doctrine : v. not., D. Mazeaud, « La passivité de la victime, l’intérêt de l’auteur du dommage », D. 2004.1346 ; P. Jourdain, « La Cour de cassation nie toute obligation de la victime de minimiser son propre dommage », RTD civ. 2003. 716.
B. Une reconnaissance exclue
■ Le droit français exclut toutefois l’obligation de la victime de minimiser son préjudice ; la troisième chambre civile réaffirme ici, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, que la victime n’est pas tenue de limiter son droit à réparation dans l’intérêt du responsable, obligation à laquelle la Cour de cassation s’oppose depuis longtemps : dès 2003, la deuxième chambre civile a posé de manière générale le principe selon lequel il n’existe pas pour la victime d’obligation de minimiser son dommage (Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 01-13.289 et 00-22.302) principe qui a été réitéré ultérieurement à de multiples reprises (v. not., Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 13-17.599 ; Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-16.011).
■ En l’espèce, cette exclusion est maintenue malgré les critiques doctrinales et les évolutions du droit prospectif, favorables à la reconnaissance de l’obligation de minimisation du dommage ; ainsi est-il prévu que les dommages et intérêts puissent être réduits lorsque la victime (sauf celle victime d’un dommage corporel) n’a pas pris les mesures sûres et raisonnables propres à éviter l’aggravation de son préjudice (Projet de réforme de la responsabilité civile, 2017, art. 1263 ; Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, 2020, art. 1264).
II. Limite : prise en compte de la faute de la victime dans l’aggravation de son dommage
A. Une prise en compte nouvelle
■ Dans la ligne de ce qui précède, la jurisprudence refusait jusqu’à présent que la faute de la victime qui aggrave simplement le dommage diminue son droit à réparation ; v. Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-19.349 : distinction entre la faute de la victime qui a causé le dommage initial et celle qui l’a aggravé, seule la première pouvant justifier un partage de responsabilité.
■ Critiques de cette solution : le dommage pris en compte pour apprécier le caractère causal de la faute de la victime est le dommage final, donc celui potentiellement aggravé par une faute de la victime ; de plus, conformément à la théorie de l’équivalence des conditions, chaque cause nécessaire du dommage, y compris la cause d’une aggravation, joue un rôle causal dans la survenance du dommage → il n’y a pas lieu de distinguer entre la faute de la victime qui a causé originairement le dommage et celle qui l’a aggravé puisque dans les deux cas, la faute de la victime joue un rôle dans le dommage final.
■ Abandon de cette solution : la faute de la victime, dès lors qu’elle a contribué à la réalisation du dommage final, conduit à diminuer son droit à indemnisation. La théorie de la causalité justifie cette prise en compte de la faute de la victime dans l’aggravation de son dommage, ce qui explique la censure de la cour d’appel ayant refusé de prononcer un partage de responsabilité. En l’espèce, le préjudice a été causé pour partie par la faute de l'industriel qui a souillé les eaux, pour partie par l'éleveur qui a continué à laisser paître son cheptel sur une parcelle qu'il savait polluée et dangereuse ; il convient donc d'opérer un partage de responsabilité, comme le fait la Cour de cassation, qui juge que « si la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable, sa faute, lorsqu’elle a contribué à l’aggravation du dommage, diminue son droit à réparation »
B. Une prise en compte conforme au refus de minimiser le dommage
■ À premières vues, la solution fragilise le refus d’obliger la victime à minimiser le dommage en lui imposant de ne pas l’aggraver, surtout qu’il est en l’espèce reproché aux victimes non pas une action positive, mais un comportement passif : ce qui est reproché aux éleveurs, c’est d’être restés passifs en n’ayant pas pris la peine de faire pâturer les bêtes sur des parcelles non polluées.
■ La conciliation entre le refus d’obliger la victime à minimiser son dommage et la sanction de l’aggravation de son préjudice semble pourtant possible. Deux situations sont en fait à distinguer. Prenons un préjudice de 100 : minimiser son préjudice, c'est prendre des mesures raisonnables pour le faire descendre en-deçà de 100 ; ne pas l'aggraver, c'est faire en sorte qu'il n’aille pas au-delà de 100. La frontière est fine mais existe en sorte que le refus d’obliger à la minimisation du dommage demeure inchangé par la solution commentée, dans laquelle la Cour s’oppose à l’obligation de minimiser le préjudice mais admet de sanctionner la victime qui, par sa faute, a aggravé son préjudice.
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