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Le cas du mois

Mauvais état des lieux

[ 25 juin 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Mauvais état des lieux

Cela faisait longtemps qu’Alphonse, président de la Maison des jeunes en difficulté, connaissait des problèmes de trésorerie. 

Certains membres de l’association, dont nos deux comparses, lui avaient même proposé de l’argent, au moins pour assurer le paiement des frais de fonctionnement. Par principe autant que par peur de ne pas pouvoir les rembourser, Alphonse s’y était toujours refusé. Les fonds ayant toutefois continué de lui manquer, il avait alors pris une décision radicale : vendre sa maison d’habitation. Quelque part, cette solution l’arrangeait : depuis quelques temps, il ressentait le besoin de quitter cette maison dans laquelle il vivait depuis fort longtemps, l’ayant acquise juste après son mariage et la naissance de ses enfants. En outre, il venait d’apprendre par arrêté préfectoral que sa maison était située dans une zone déclarée à risque de contamination par les termites. Il n’était donc pas mécontent à l’idée de quitter les lieux. Soucieux d’agir dans les règles, Alphonse avait, sitôt sa maison mise en vente, fait appel à un contrôleur technique pour déceler l’existence éventuelle de termites. Il avait notamment demandé au technicien de vérifier l’état de la toiture, qu’il estimait être la plus à risques, l’autre zone concernée, un vieux grenier situé au premier étage, n’étant de toute façon pas accessible. Le diagnostiqueur avait alors procédé à un examen minutieux de la charpente, dont il n’avait relevé aucune trace d’infestation, ni défaut de construction, puis avait complété son état des lieux en contrôlant les autres pièces de la maison, à l’exception du grenier. Il avait alors convenu avec Alphonse de revenir ultérieurement pour compléter son constat, une fois cette zone dégagée, ce qu’Alphonse lui avait promis de faire. Ce dernier n’eut toutefois pas le temps de tenir sa promesse car il eut la chance de trouver un couple d’acquéreurs bien plus vite qu’il ne l’espérait. Il s’en souvient très bien, c’était exactement au premier janvier de cette année. Ses acheteurs, qui n’étaient que potentiels à l’époque, lui avaient alors téléphoné pour visiter la maison au plus vite. Alphonse y avait vu un signe prometteur. La nouvelle année 2024 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Il ne croyait pas si bien dire. Une semaine plus tard, le couple ayant été conquis par la maison dès leur première visite, la vente était conclue ! Sans condition suspensive, et pour le prix non négligeable de 350 000 euros ! Alphonse était ravi. Il allait enfin pouvoir envisager l’avenir de l’association sereinement, après avoir réglé les problèmes de trésorerie qui lui gâchent la vie depuis longtemps. Pour se mettre justement à l’abri de tout problème d’argent, Alphonse avait pris la sécurité d’inscrire dans l’acte de vente, malgré le diagnostic rassurant du technicien, une clause éludant sa garantie en cas de désordres. Ainsi, sur un plan financier, sa situation lui semblait pleinement sécurisée. Non seulement le prix issu de la vente allait lui permettre de renflouer les caisses de l’association, mais il se savait prémuni contre toute action en dommages-intérêts, en cas de vice éventuel. Bien lui en a pris puisque quelques jours après la signature de la vente, ses acheteurs, prétendant avoir découvert l’existence de termites dans la toiture, ont décidé d’engager une action indemnitaire contre lui. Alphonse s’étonna de leur assignation, dont il ne comprit pas l’objet compte tenu du diagnostic favorable rendu par le technicien, dont les acquéreurs avaient en outre eu connaissance puisque ce document avait été directement annexé à l’acte de vente. Après leur avoir fait part de son incompréhension, Alphonse s’est néanmoins vu reprocher par le couple, manifestement intransigeant, de ne pas avoir fait en sorte de dégager le grenier pour que le technicien puisse opérer, comme il avait été convenu, un état des lieux complet qui lui aurait permis d’identifier le vice resté caché. Craignant d’être en faute, Alphonse aimerait être rassuré quant à ce qu’il croit être sa meilleure arme de défense : la clause de non garantie stipulée à son profit. Cependant, après avoir interrogé les cousins, dont il sait la formation juridique, il est aujourd’hui on ne peut plus inquiet ! En effet, nos acolytes l’ont averti que ce type de clauses ne sont pas si protectrices qu’il y paraît. En pratique, elles seraient peu efficaces, au vu des nombreuses restrictions auxquelles le droit les soumet. Malgré la confiance qu’il porte en Désiré et Adhémar, Alphonse souhaiterait recueillir un second avis. Il faut dire que cette malheureuse expérience lui a appris à se méfier de la fiabilité des diagnostics ! Surtout, il ne comprend pas pourquoi les vendeurs continueraient à se prémunir par des clauses de non-garantie si en pratique, on les empêche de produire effet ! Remarque de profane, sans doute… Mais comme il en va de la survie financière de son association, il compte d’autant plus sur vous pour répondre à ses interrogations et en particulier, savoir si vous partagez l’analyse de nos deux acolytes quant à l’efficacité douteuse de la clause qu’il avait pris la précaution d’insérer à l’acte.

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■ Sélection des faits : Après avoir fait réaliser un diagnostic technique ayant conclu à la conformité des lieux, Alphonse vend sa maison d’habitation à un couple d’acquéreurs. Le contrat de vente contient une clause éludant sa garantie en cas de vices cachés. Après la vente, ces derniers découvrent l’existence de termites dans la toiture. Invoquant un vice caché, ils exercent une action en dommages-intérêts contre Alphonse, soutenant qu’en dépit d’un état parasitaire négatif, ce dernier ne peut se prévaloir de la clause de non-garantie stipulée au contrat dès lors que le diagnostiqueur a été mis dans l’impossibilité, par sa faute, d’accéder au grenier, ce qui lui aurait permis de compléter son constat et d’identifier la présence de termites.

■ Qualification des faits : Un particulier vend sa maison d’habitation, dont la toiture est infestée de termites, ce qui ne ressortait pas du diagnostic réalisé avant la vente et annexé à l’acte, lequel stipule, en toutes hypothèses, une clause élusive de la garantie des vices cachés. Après avoir découvert l’existence de termites dans la toiture du bien acquis, les acquéreurs engagent une action estimatoire contre leur vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, estimant la clause de non garantie stipulée par ce dernier inefficace en raison de son inaction fautive, le vendeur n’ayant pas agi en sorte de permettre au diagnostiqueur d’accéder à l’ensemble des pièces de la maison et de dresser ainsi un état des lieux complet qui lui aurait permis de déceler le vice caché.

■ Problème de droit : La clause de non-garantie stipulée dans l’acte de vente au profit d’un vendeur profane est-elle opposable à l’acquéreur malgré la présence de termites dans l’immeuble que le contrôleur technique, intervenu à la demande du vendeur, n’a pu diagnostiquer faute d’avoir été mis en mesure de contrôler l’ensemble des zones concernées ?

■ Majeure : Clauses élusives ou limitatives de garantie : admission en principe – La garantie légale contre les vices cachés peut en théorie être écartée par une clause de non-garantie, ou atténuée par une clause limitative de garantie (par ex. fixant un plafond à l’indemnité due, ou limitant son jeu dans le temps). Si celles-ci sont nulles en matière délictuelle, elles sont en principe valables dans le domaine contractuel, et par conséquent dans la vente. Ce principe de validité est expressément prévu par l’article 1643 in fine du Code civil. Cependant, il n’occupe plus qu’une place résiduelle du fait de l’intervention du législateur dans le domaine des contrats spéciaux. 

Restrictions d’origine légale Prévu par le code de la construction et de l’habitation, un dispositif législatif et réglementaire tendant à protéger les acquéreurs et propriétaires d’immeubles contre les termites et autres insectes xylophages, prévoit une limitation de la validité de la clause exonératoire de la garantie du vendeur non-professionnel pour vices cachés, quand l’acheteur découvre la présence de termites. En effet, lorsque la vente concerne un immeuble bâti situé dans une zone déclarée, par arrêté préfectoral, être contaminée par les termites, la clause de non-garantie n’est licite que si un état parasitaire de l’immeuble, relatif à la présence de termites, datant de moins de trois mois, a été annexé à l’acte authentique de vente (C. constr. hab., art. L.126-24). En cas de vente de tout en partie d’un immeuble ainsi localisé, l’acte doit comporter un état mentionnant la présence ou, le cas échéant, l’absence de termites (C. constr. hab., art. L.271-4 à L.271-6). En l’absence de cette annexe, aucune clause d’exonération de la garantie contre les vices cachés ne peut être valablement stipulée. En outre, même en présence d’un état parasitaire négatif, le vendeur peut rester tenu à garantir le vice caché résultant de la présence de termites dans les éléments de construction, lorsqu’il connaissait leur existence.

Restrictions d’origine prétorienne – La jurisprudence a ainsi déduit a contrario de l’article 1643 du Code civil que les clauses de non-garantie sont inefficaces lorsque le vendeur connaissait le vice de la chose et qu’il était donc de mauvaise foi. Autrement dit, les clauses sur la garantie ne peuvent pas exonérer le contractant des conséquences de sa réticence dolosive. Ainsi de la connaissance du vendeur de la présence de termites dont il n’a pas, délibérément, averti l’acheteur (Civ.3e, 16 déc. 2009, n° 09-10.540). Il serait en effet choquant de permettre à un contractant de ne pas exécuter volontairement ses obligations, alors que les contrats doivent être exécutés de bonne foi (C. civ., art. 1104). 

Incidence de la qualité du vendeur – Une distinction doit cependant être opérée selon la qualité de profane ou de professionnel du vendeur. En effet, depuis longtemps, la Cour de cassation établit le postulat que tout fabricant ou vendeur professionnel est censé connaître les vices cachés. Cette règle, de fond, est d’ordre public : elle est irréfragable. Étant ainsi présumé de mauvaise foi, le vendeur professionnel ne peut jamais invoquer en sa faveur une clause élusive ou limitative de responsabilité, même face à un acheteur professionnel, la mauvaise foi étant constitutive d’une faute lourde ou dolosive.

En revanche, concernant le vendeur non professionnel (particulier ou professionnel vendant hors du domaine de sa spécialité, ie le vendeur occasionnel), sa mauvaise foi doit être prouvée. La clause de non-garantie stipulée à son profit est donc en principe efficace mais le vendeur restant tenu de son obligation d’information, l’acquéreur peut établir l’inexécution de cette obligation pour obtenir, nonobstant la clause prévue, la garantie des vices cachés. Encore faut-il qu’il parvienne à caractériser la mauvaise foi du vendeur.

Caractérisation de la mauvaise foi du vendeur – Il convient pour l’acheteur d’établir objectivement la rétention d’information du vendeur, indépendamment de l’élément intentionnel. Peu importe donc que l’inexécution n’ait pas été dictée par l’intention de nuire au cocontractant : dès lors que le vice était connu du vendeur qui a conservé le silence, les clauses sur la garantie sont sans effet. 

En cas d’intervention d’un contrôleur technique, la connaissance du vice par le vendeur peut être déduite d’un état parasitaire positif. Cependant, dans cette hypothèse, les acheteurs ayant également accès à ce document, le vice n’est plus caché mais apparent et la garantie ne joue pas. En outre, le vendeur ne peut être tenu responsable de l’erreur de diagnostic du contrôleur, ni même d’un diagnostic partiel en raison de l’inaccessibilité de certaines parties de l’immeuble. En effet, l’absence de lien direct entre la défaillance du contrôleur et le vice de l’immeuble justifie qu’en ce cas, la bonne foi du vendeur profane reste présumée. Enfin, le vendeur n’a pas l’obligation d’agir en sorte que le diagnostiqueur puisse parachever ses investigations, en sorte qu’il peut alors se prévaloir de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés stipulée au contrat, à la condition toutefois qu'aucune dissimulation volontaire de la part du vendeur ne puisse être par ailleurs relevée (Civ. 3e, 4 avr. 2024, n° 22-22.350).

■ Mineure : En l’espèce, un diagnostic relatif à la présence de termites a été régulièrement annexé à l'acte de vente. Alphonse, qui est profane en la matière, n’est pas présumé avoir eu connaissance du vice et le diagnostic négatif relatif à la présence de termites dans le bâtiment n’a pas pu lui permettre d’en être informé. Aucun élément mentionné dans ce document ne permet en effet d’établir que le diagnostiqueur, intervenu avant la vente à la demande d’Alphonse pour examiner la toiture, a fait état de l’existence d’une infestation de celle-ci et de la nécessité de procéder à son assainissement. Alphonse n’a donc pas pu avoir connaissance, par l’intermédiaire du diagnostiqueur, du vice affectant la charpente avant la vente. Par ailleurs, aucun autre élément ne permet d’établir qu’Alphonse était informé de la présence de termites dans sa toiture. Sa mauvaise foi ne peut donc en aucun cas être établie. Certes, Alphonse n’a pas pris, à la suite de la première intervention du contrôleur, les dispositions nécessaires pour lui permettre d’accéder au grenier et de compléter ainsi ses constats mais n’en ayant pas l’obligation, sa faute ne peut être retenue. Ainsi, aucune circonstance propre à établir sa connaissance de l’existence du vice caché et donc sa mauvaise foi éventuelle ne semble pouvoir être établie. 

■ Conclusion : Le président de l’association pourra valablement se prévaloir de la clause élusive de garantie stipulée à son profit pour faire échec à l’action estimatoire engagée par ses acheteurs.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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