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Le cas du mois

Droit des obligations
Campement d’infortune
Depuis qu’il a monté son entreprise de peinture en bâtiment, Lucien, un cousin éloigné de Désiré et d’Adhémar, ne touche plus terre. Les chantiers se multiplient au point qu’il a dû sous-traiter une grande partie de son activité.
Non sans regrets car aux dires de Lucien, les sous-traitants, habitués à s’abriter derrière l’entrepreneur principal, ont une fâcheuse tendance à agir en irresponsables. Tel est le sentiment que lui a encore donné le jeune Léon, un peintre en bâtiment jouissant pourtant d’une bonne réputation dans la région des Alpilles où Lucien a installé son entreprise. Alors que Lucien lui avait confié la tâche de repeindre l’ensemble de la surface extérieure des chalets d’un camping qu’il venait d’acquérir, ce sous-traitant, sans doute dépassé par l’ampleur et le coût des travaux, a eu recours à des bombes de peinture généralement utilisées pour des boiseries intérieures, mais contre-indiquées pour celles situées à l’extérieur des bâtiments. C’est ainsi qu’à la suite d’importantes intempéries ayant frappé la région cet automne, la peinture déposée sur la façade extérieure des chalets du camping n’a pas tenu : la peinture utilisée ne correspondant pas au support à peindre, des infiltrations d’humidité ont entraîné l’apparition de cloques et le décollement de la peinture appliquée sur les boiseries extérieures de l’ouvrage au point que désormais, une rénovation complète de la façade s’impose. Lucien a alors informé son sous-traitant qu’il ne serait payé pour ses travaux de peinture qu’à la condition d’effectuer la rénovation exigée. Faute de gravité des désordres, Léon a refusé d’y procéder et pour être sûr d’obtenir le règlement de sa créance, assigné Lucien en justice. En réponse, Lucien entend lui réclamer les indemnités nécessaires à la réfection de la surface extérieure des chalets. Désiré et Adhémar, ses cousins, ont toutefois tenté de le convaincre de payer son contractant dans les meilleurs délais pour éviter le procès : juridiquement, ont-ils pris soin d’expliquer à Lucien, le sous-traitant n’est pas un constructeur, bien qu’il soit assuré pour les désordres de nature décennale, si bien que l’absence de gravité du désordre invoquée par Léon pourrait en effet lui permettre d’échapper à sa responsabilité. Insensible à cette argumentation, Lucien persiste à penser que comme tout professionnel d’entreprise, son sous-traitant ne peut valablement exciper de désordres prétendument mineurs pour s’exonérer de sa responsabilité. Souhaitant lui éviter, en plus du coût des travaux, le prix d’un procès, Désiré et Adhémar se tournent vers vous pour clarifier cette situation.
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■ Sélection des faits : Lucien sous-traite à Léon des travaux de peinture des chalets d’un camping, puis refuse de payer ces travaux, mal exécutés par l’usage d’une peinture inadaptée au bois de l’ouvrage. Il exige de Léon de repeindre les boiseries pour obtenir le paiement des premiers travaux. S’estimant irresponsable des désordres advenus, qu’il juge mineurs, Léon refuse de procéder à de nouveaux travaux de rénovation. Il assigne Lucien en paiement des travaux effectués. Ce dernier forme, quant à lui, une demande d’indemnisation du préjudice subi.
■ Qualification des faits : Un entrepreneur sous-traite des travaux de peinture sur les logements d’un camping. En raison de leur mauvaise exécution, il oppose à son sous-traitant une exception d’inexécution, érigeant en condition du paiement des travaux de peinture la réalisation par son contractant des travaux de rénovation de la façade de l’ouvrage. Le sous-traitant refuse d’y procéder, excipant de l’absence de gravité des désordres, puis assigne l’entrepreneur principal en paiement. Ce dernier forme, à titre reconventionnel, une action en responsabilité contractuelle pour obtenir l’indemnisation de son préjudice.
■ Problème de droit : L’absence de gravité décennale des désordres est-elle une cause exonératoire de la responsabilité du sous-traitant à l’égard de l’entrepreneur principal ?
■ Majeure : Aux termes de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, pendant dix ans à compter de la réception (1792-4-1), envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage, et de ceux qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Il s’agit par exemple d’une façade qui se fissure, d’un défaut d’étanchéité ou d’isolation, ou encore d’une toiture défectueuse. Encore faut-il que le vice soit caché lors de la réception des travaux.
Sont également couverts par la garantie décennale les éléments d’équipement faisant indissociablement corps avec la structure de l’ouvrage lorsque la dépose d’un tel élément, son démontage ou son remplacement, ne peut s’effectuer sans détérioration (C. civ., art. 1792-2). Sont visés, de façon élargie par la jurisprudence, les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, installés dès l’origine ou bien sur l’existant, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-16.637 ; Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.741). Ainsi, de nombreux éléments d’équipement qui autrefois relevaient soit de la garantie biennale, soit de la garantie des vices cachés de droit commun, relèvent désormais de la garantie décennale et de son assurance obligatoire (Civ. 3e, 26 oct. 2017, n° 16-18.120).
La garantie profite non seulement au maître de l’ouvrage mais également à tous les acquéreurs successifs de l’immeuble. Le constructeur peut s’exonérer de son obligation de garantie décennale s’il prouve la force majeure (art. 1792, in fine) mais sauf circonstances exceptionnelles, il est rare que soit satisfaite la condition d’extériorité.
Concernant l’identité des responsables, l’article 1792-1 du Code civil précise que sont notamment réputés constructeurs tout architecte, entrepreneur, technicien, et autre personne liée au maître par un louage d’ouvrage, ainsi que tout vendeur ayant construit ou fait construire. Les sous-traitants sont en revanche exclus de cette liste légale, et le demeurent même après la réforme du 8 juin 2005 ayant modifié le régime de la responsabilité et de l’assurance dans le domaine de la construction. Ils sont alors soumis au droit commun de la responsabilité contractuelle, sauf en ce qui concerne les délais de prescription, calqués sur ceux des constructeurs, en sorte d’éviter que les sous-traitants puissent être responsables plus longtemps que les entrepreneurs principaux.
Le sous-traitant n’étant pas débiteur de la responsabilité de plein droit des constructeurs, il échappe aux garanties légales. Les règles qui lui sont applicables pour engager sa responsabilité contractuelle sont donc celles du droit commun, étant précisé que, s’agissant d’une sous-traitance d’entreprise, la jurisprudence, constante, estime le sous-traitant débiteur d’une obligation de résultat (Civ. 3e, 10 nov. 2021, n° 20-18.510). Autrement dit, la responsabilité du sous-traitant est engagée à l’égard de l’entrepreneur principal sur le fondement du droit commun du contrat d’entreprise et au titre d’une obligation de résultat, en sorte qu’il ne peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle que par la preuve d’une cause étrangère (Civ. 3e, 4 mars 2021, n° 19-23.502).
■ Mineure : N’intervenant pas en qualité de constructeur mais en tant que simple sous-traitant, Léon considère à ce titre devoir être exonéré de toute responsabilité : le dommage résultant des travaux de peinture sous-traités par l’entrepreneur principal, les désordres constatés ne permettent pas de mettre en œuvre la responsabilité décennale des constructeurs sur le fondement de l’article 1792. S’il est vrai que le sous-traitant n’est pas débiteur de la responsabilité civile des constructeurs, Lucien a toutefois raison de soutenir que Léon reste responsable des désordres, même non structurels, advenus : le fait que le désordre ne compromette ni la solidité de l’ouvrage ni sa destination (critères d’engagement de la responsabilité décennale) n’a pas pour effet d’exonérer le sous-traitant de sa responsabilité contractuelle, sur le fondement distinct du droit commun. Ce dernier restant tenu de la mauvaise exécution des travaux, dès lors que le résultat promis n’a pas été atteint, l’absence de gravité décennale des désordres constatés ne peut être un motif valable d’exonération de sa responsabilité. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation pour censurer une cour d’appel qui, pour rejeter la demande d’indemnisation de l’entrepreneur principal à l’encontre de son sous-traitant, avait retenu que s’agissant de travaux de peinture, les désordres mineurs constatés ne portaient pas atteinte à la solidité des chalets et ne les rendaient pas impropres à leur destination, si bien qu’ils ne présentaient pas une gravité suffisante pour autoriser l’entreprise principale à opposer à son sous-traitant une exception d’inexécution. La censure est prononcée par la troisième chambre civile, au motif que le critère de gravité décennale n’est pas une condition d’engagement de la responsabilité contractuelle de droit commun du sous-traitant, dont il ne peut s’exonérer, eu égard à son obligation de résultat, que par la preuve d’un cas de force majeure (Civ. 3e, 9 oct. 2025, n° 23-23.924, F-D).
■ Conclusion : Faute d’un événement constitutif de la force majeure, Léon devra répondre de sa faute d’exécution des travaux de peinture sans pouvoir s’exonérer de sa responsabilité par l’absence invoquée de la gravité des désordres constatés sur la façade des chalets du camping.
Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz
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