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Le cas du mois

Le compte n’est pas bon

[ 25 mars 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Le compte n’est pas bon

Lassés des transports en commun, Désiré et Adhémar ont réuni leurs économies pour acquérir une voiture d’occasion. 

Il y a quelques mois, ils se sont rendus chez un concessionnaire qui leur a proposé une voiture de marque italienne pour un prix défiant toute concurrence. Malheureusement, depuis leur acquisition, il s’avère que celle-ci tombe assez régulièrement en panne. Après en avoir averti leur vendeur, qui n’a pu que les inviter à s’accommoder de ce problème inhérent aux véhicules d’occasion, ils se sont finalement résolus à emmener leur nouveau véhicule chez un garagiste. Or, alors qu’il procédait aux réparations nécessaires, ce dernier a informé les garçons d’un problème connexe à la panne du véhicule, lié à une sous-évaluation de son kilométrage, sur lequel il ne pouvait naturellement pas intervenir. Fort marris, Désiré et Adhémar ont surtout été surpris qu’une telle erreur ait pu être commise alors même que la société de vente du véhicule leur avait certifié son kilométrage. Les cousins ont alors repris contact avec leur vendeur, qui s’est à son tour étonné de cette inexactitude, dont elle s’estime en toute hypothèse irresponsable, ayant pris la précaution, avant la vente, de recourir à un expert pour faire certifier le compteur. Après s’être engagé, auprès de ses acheteurs, à rechercher la cause de cette erreur d’évaluation, le vendeur a découvert qu’elle provenait du précédent propriétaire lui ayant cédé le véhicule et qui, pour en obtenir un meilleur prix, avait fallacieusement modifié le kilométrage de la voiture. Sans douter des dires de leur vendeur, les cousins considèrent néanmoins que faute d’être en lien avec l’ancien propriétaire du véhicule, et au regard du préjudice subi, ils ont toutes les raisons d’assigner la société venderesse en responsabilité contractuelle puisque c’est elle qui, en tout état de cause, a certifié le compteur. Cependant, ils savent d’avance que celle-ci continuera de leur opposer n’y être pour rien, ayant elle-même découvert la manipulation opérée par le propriétaire précédent. Pour préparer leur défense, nos acolytes ont décidé de se renseigner sur les conditions de la responsabilité des professionnels en charge de la certification du kilométrage des véhicules. Pour l’heure, leurs recherches se sont malheureusement révélées infructueuses. Même en naviguant sur les sites d’actualité les mieux cotés, les seuls éléments qu’ils ont pu réunir concernent la responsabilité contractuelle du garagiste, qui fait manifestement l’objet d’une jurisprudence nourrie. Mais rien sur la responsabilité des professionnels pour la certification de kilométrage ! Ils comptent alors sur vous pour les éclairer sur le régime de leur responsabilité, même s’ils entendent bien poursuivre leurs investigations, ne pouvant imaginer que ce problème en pratique très fréquent soit laissé sans réponse par la jurisprudence.

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■ Sélection des faits : Désiré et Adhémar achètent un véhicule d’occasion auprès d’une société ayant certifié le kilométrage du véhicule. Ultérieurement, ils se rendent chez un garagiste pour remédier à une panne du véhicule. À cette occasion, ce dernier décèle une erreur dans le kilométrage, qui a été sous-évalué. Les cousins souhaitent engager la responsabilité contractuelle de leur vendeur. Ce dernier leur oppose son absence de faute, laquelle aurait été commise par le propriétaire précédent du véhicule.

■ Qualification des faits : Deux personnes physiques acquièrent un véhicule d’occasion auprès d’une société de concession ayant fait expertiser elle-même le véhicule pour certifier son kilométrage en amont de la conclusion du contrat. À la faveur de réparations devant être effectuées sur le véhicule, un garagiste détecte une sous-évaluation du kilométrage expertisé lors de la vente. Les acheteurs prévoient d’assigner la société venderesse ayant certifié le kilométrage en responsabilité contractuelle. Celle-ci leur oppose son absence de faute, la sous-évaluation du kilométrage résultant d’une manœuvre frauduleuse entreprise par le propriétaire précédent du véhicule.

■ Problème de droit : La responsabilité contractuelle du revendeur d’un véhicule d’occasion en raison de l’inexactitude du kilométrage du véhicule dont il a certifié le compteur suppose-t-elle de rapporter la preuve de sa faute ?

■ Majeure : La réponse au problème au droit soulevé suppose de déterminer au préalable le régime de responsabilité applicable au professionnel qui certifie le kilométrage d’un véhicule. La difficulté provient du fait que cette question semble nouvelle en jurisprudence, celle-ci étant depuis longtemps centrée sur les règles générales applicables à la responsabilité du garagiste réparateur, et non sur la question précise de la certification de kilométrage par un professionnel compétent, par exemple le revendeur professionnel d’un véhicule d’occasion. Pour combler cette lacune prétorienne, on pourrait penser, bien que le problème ne naisse pas directement du contrat de garage, à la jurisprudence connexe rendue sur la responsabilité contractuelle du garagiste. Or selon une jurisprudence désormais bien établie, le garagiste supporte une double présomption de faute et de causalité par laquelle ce dernier voit sa responsabilité engagée pour les désordres survenant ou persistant après son intervention, et ce même lorsque le demandeur n’établit pas l’existence de sa faute et/ou du rôle causal de celle-ci dans la survenance ou la persistance de ces désordres (Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867). Ainsi, encore récemment, la première chambre civile a pu préciser que ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté à déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions de faute et de causalité pesant sur le garagiste quand celui-ci est assigné en responsabilité contractuelle, dès lors que ces présomptions trouvent à s’appliquer chaque fois que des désordres surviennent ou persistent après son intervention (Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712). Devenue constante, cette jurisprudence permet de qualifier l’obligation du garagiste réparateur d’obligation de résultat, dispensant le demandeur de la preuve d’une faute.

Par analogie, le même régime de responsabilité pourrait trouver à s’appliquer à tout professionnel procédant à la certification du kilométrage. Certes, la question de la certification du compteur kilométrique n’a pas de rapport direct avec la responsabilité du garagiste, du moins lorsque le professionnel ayant certifié le compteur du véhicule n’a pas réalisé sa prestation à des fins de prestations de réparation ou d’entretien dudit véhicule, mais qu’il est seulement intervenu dans le cadre de la revente de celui-ci. Cependant, en faveur de l’alignement des deux régimes de responsabilité, on peut avancer que celui qui demande à voir le kilométrage certifié s’attend à ce que la prestation aboutisse à un compte exact. En effet, il existe bien un problème dans l’exécution de la prestation quand le compteur ne correspond pas à la réalité, ce qui pourrait d’ailleurs également justifier de remettre en cause la formation même de la vente d’occasion. En ce sens, cette correspondance avec le régime de responsabilité du garagiste vient d’être retenue par la Cour de cassation, censurant la décision des juges du fond ayant exigé la démonstration par le propriétaire du véhicule de la faute commise par la société de concession ayant mal certifié le compteur (Civ. 1re, 26 févr. 2025, n° 23-22.201). L’obligation de résultat ainsi consacrée facilitera naturellement la tâche probatoire du demandeur à la réparation dont on sait désormais qu’il peut se contenter d’établir que le résultat – l’exactitude du kilométrage - n’a pas été atteint.

■ Mineure : En sa qualité de professionnel, le revendeur du véhicule d’occasion ayant certifié le compteur devrait voir sa responsabilité contractuelle engagée même si Adhémar et Désiré ne peuvent prouver l’existence de sa faute, qui semble a priori exclue par la fraude commise par l’ancien propriétaire. Cela étant, la manipulation frauduleuse qui a conduit à sous-évaluer le kilométrage aurait tout de même dû être repérée par la société au moment de la certification du véhicule vendu. En tout état de cause, à partir du moment où tout professionnel qui certifie le kilométrage d’un véhicule d’occasion engage sa responsabilité contractuelle du seul fait de l’inexactitude de celui-ci, le moyen de la société de vente tiré de son absence de faute sera jugé inopérant. En effet, le seul constat que le résultat n’a pas été atteint (le kilométrage est inexact) établira le manquement de la société à son obligation de résultat.

■ Conclusion : L’action en responsabilité contractuelle que Désiré et Adhémar prévoient d’engager a toutes les chances de prospérer.

Sur la méthodologie du cas pratique : V. vidéo Dalloz

 

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