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[ 10 avril 2025 ] Imprimer

Le fonds patrimonial sur la Justice de la Cour de cassation

Je passe aujourd’hui par la Cour de cassation pour lier dans une seule interview d’actualité tant de thèmes qui nous sont chers : la Justice et le patrimoine commun. Philippe Galanopoulos, Conservateur en chef et Directeur de la Bibliothèque de la Cour de cassation, nous fait le plaisir et l’honneur de répondre à nos questions sur le fonds patrimonial de la plus haute institution judiciaire française.

Quels types de documents patrimoniaux la bibliothèque de la Cour de cassation conserve-t-elle ?

La bibliothèque conserve actuellement près de 30 000 volumes de monographies et une collection de périodiques de près de 500 titres. Pour moitié environ, ces collections sont antérieures à 1950. Pour les seules monographies, on estime à près de 12 000 volumes les ouvrages édités entre la fin du xve siècle et le début du xixe siècle. Il faut ajouter à cela environ 550 cotes de manuscrits et archives, et des milliers de documents iconographiques. C’est dire la richesse de nos fonds patrimoniaux, et leur diversité. Pour l’Ancien Régime, notre fonds juridique spécialisé est constitué d’une importante collection d’édits et ordonnances des rois de France (depuis Louis XII jusqu’à Louis XVI), de nombreux coutumiers (près d’un millier d’éditions différentes), de recueils de jurisprudence des anciennes cours de parlement — en particulier celle de Paris —, d’ouvrages de doctrine tant en matière civile que pénale, de livres de théologie et de droit canon, de règlements de corporations, etc. Sans oublier les travaux préparatoires aux différentes vagues de codifications qui ouvrent véritablement, à partir de 1804, l’ère juridique moderne.

Quel est le document le plus ancien de votre fonds ?

La bibliothèque de la Cour de cassation conserve une vingtaine d’incunables, essentiellement juridiques. Les incunables désignent les premiers imprimés, ceux sortis des presses de Johannes Gutenberg et de ses successeurs immédiats, entre 1454-1455 et 1500. Nos incunables datent tous de la fin de cette période (1480-1500). Certains sont ornés de grandes lettrines ou enluminés, comme l’un de nos coutumiers du Poitou, par exemple. Nos manuscrits les plus anciens datent de la même époque, c’est-à-dire de la fin du xve siècle. Certaines copies des registres du parlement de Paris (les « Olim »), copies datant des xviie-xviiie siècles, nous renseignent sur les décisions prises par les magistrats sous les règnes de Saint-Louis, Philippe le Hardi, Philippe le Bel et leurs successeurs immédiats jusqu’au milieu du xive siècle environ. Notre fonds iconographique, quant à lui, est de constitution plus récente et remonte au xixe siècle.

Quelles sont vos acquisitions patrimoniales les plus récentes ?

La plus récente concerne le don fait par Élisabeth Badinter d’un exemplaire du célèbre « J’accuse… ! » qui appartenait à son époux. Cette « Une » de l’Aurore, emblématique de l’affaire Dreyfus et de l’histoire de France, a été remise, selon les souhaits de Robert Badinter, au premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard. Quant à nos achats patrimoniaux, ils ont porté, ces dernières années, notamment sur des documents relatifs au rôle déterminant joué par la Cour de cassation en matière d’affranchissement des esclaves, et ce, avant la Loi d’abolition de 1848, ou encore sur le Palais de Justice au temps de la Commune de Paris (1871).

Quelles sont les modalités de préservation et de diffusion de ce patrimoine ?

En 1993, à l’initiative du premier président Pierre Drai et du procureur général Pierre Truche, une Association pour la Sauvegarde des Livres Anciens de la Bibliothèque de la Cour de cassation a été créée. En 30 ans, grâce aux cotisations de ses membres, l’ASLAB a permis la restauration de près de 500 ouvrages et documents patrimoniaux. À cela, il faut ajouter les mesures quotidiennes de préservation des collections de la bibliothèque assurées par les sept agents qui la composent. La valorisation du fonds patrimonial se fait à la faveur des trois à quatre expositions annuelles qu’elle organise en interne, avec une diffusion numérique réalisée par le service de la Communication de la Cour. Les expositions virtuelles sont ainsi accessibles à tous sur le site institutionnel de la Cour. Par ailleurs, la bibliothèque bénéficie de partenariats documentaires avec le réseau universitaire et avec la Bibliothèque nationale de France, en particulier pour le signalement de ses collections dans les grands catalogues nationaux (le Sudoc et le CCFr). Au niveau de la diffusion des contenus, on trouve dans la bibliothèque numérique Gallica 165 documents anciens provenant de nos collections. Par ailleurs, nos liens institutionnels avec les Archives nationales de France, notamment le site de Pierrefitte-sur-Seine où sont conservées toutes les archives juridictionnelles de la Cour de cassation, ouvrent de nouvelles perspectives de valorisation patrimoniale. Enfin, la création en 2018 d’un Comité d’histoire de la Cour de cassation, au sein de l’ASLAB, concourt à la valorisation de l’histoire et du patrimoine de notre haute juridiction. Il est à souligner que les actes du colloque thématique annuel, organisé par le Comité d’histoire, sont publiés grâce aux éditions Dalloz, dans une série dédiée de la collection « Thèmes & Commentaires ». 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Je jouais à l’époque dans un groupe de rock, avec des copains de mon quartier. Nous nous sommes retrouvés programmés pour un concert dans une soirée étudiante à l’Université Paris Dauphine. C’était merveilleux. La soirée était sponsorisée par une célèbre marque de bonbons… Il y avait à l’entrée de l’université, dans le grand hall d’accueil, un drakkar rempli à ras bord de fraises Tagada, de réglisses, de gommes aromatiques de toutes les couleurs et de tous parfums. Tel est mon souvenir. À l’étage, chaque salle de classe était un bar dédié à un thème, une boisson, une ambiance, le tout environné de jeunes gens et de friandises. Le reste de cette soirée est plus nébuleux, quoiqu’agréablement nébuleux.

Quels sont vos héros et héroïne de fiction préférés ?

Mes deux héros préférés sont Ulysse et Robinson. Ils incarnent, à mes yeux, les deux grandes options de l’Homme face au Destin : ou faire d’un bout de terre un lieu où s’établir durablement et tenter de vivre en harmonie avec la nature et avec soi ; ou faire de chaque île une étape d’un long voyage, qui est un retour. L’un désire ardemment ce retour ; le souvenir de sa femme, de son fils, de sa terre natale lui donne force et courage ; l’autre finit par comprendre qu’il n’y a pas de retour possible, et nul « ailleurs ». Les deux héroïnes qui me viennent immédiatement à l’esprit sont Emma Bovary et Nadja, mais sont-elles des héroïnes ? Sous la plume de Gustave Flaubert et d’André Breton, elles sont des figures féminines du malheur perçues au miroir de leur temps. Dans un autre domaine, j’aime beaucoup le personnage de Onze (super héroïne) dans la série à succès Stranger Things.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

J’aimerais défendre le droit à la déconnexion, tant il est dur, dans notre société, de pouvoir « couper », ou, pour le dire autrement, se soustraire à l’injonction quotidienne de la réponse (immédiate) attendue. Je rêve d’une journée entière, que dis-je, d’une semaine complète où chacun pourrait travailler le fond de ses dossiers, sans avoir à répondre à la multitude des mails qui polluent nos boîtes autant que nos esprits. Mais c’est là une utopie : l’humanité ne connaît pas la décroissance technologique. 

 

[Note de l’éditeur : Pour aller plus loin, sont parus dans la série « Histoire et patrimoine de la Cour de cassation » :

La Cour de cassation et la grande Guerre, 2019.

La Cour de cassation et l’évolution de la responsabilité civile. Du code civil des français à l’ordonnance du 10 février 2016, 2019.

La Cour de cassation hors métropole de l’empire colonial à la France d’outre-mer, 2021.

La Cour de cassation au service du droit et du justiciable (1790-2020), 2022.

La cassation : genèse, évolution, méthode et diffusion d’une technique singulière, 2023.

Histoire(s) de la Bibliothèque de la Cour de cassation au regard de la documentation juridique, 2024.]

 

Auteur :MBC


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