Actualité > À la une

À la une

[ 17 octobre 2022 ] Imprimer

Droit de la famille

GPA : c’est l’intention qui compte

La délégation d’autorité parentale aux fins d’adoption d’un enfant ne constitue pas un processus fondé sur une convention de GPA.

Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042 B

Résidant en Polynésie française, un couple hétérosexuel avait obtenu d’un juge aux affaires familiales la délégation de l’exercice de l’autorité parentale sur leur enfant biologique au profit d’un autre couple hétérosexuel résidant en métropole, étant précisé que conformément à une coutume polynésienne, la procédure en délégation d’autorité parentale avait en l’espèce pour objectif final de confier définitivement l’enfant aux délégataires par son adoption ultérieure (processus fondé sur la Fa'a'amu, pratique répandue en Polynésie française conduisant à prononcer une délégation d'autorité parentale en préalable à une adoption). La décision du JAF fut confirmée par la cour d’appel de Papeete. Or le procureur général près la cour d’appel faisait grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande de délégation d’autorité parentale, alors « qu’en statuant ainsi la cour d’appel a enfreint la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui spécifiée aux articles 16-7 et 16-9 du code civil ».

Autrement dit, le recours à une délégation volontaire d'autorité parentale comme préalable à une adoption caractériserait une pratique de gestation pour autrui prohibée. La question posée à la Cour de cassation consistait alors à se demander si le recours à la délégation parentale aux fins d’adoption d’un enfant déjà conçu naturellement par ses parents biologiques peut être assimilé à une forme de gestation pour autrui.

À cette question, la première chambre civile répond par la négative : le projet d’une mesure de délégation d’autorité parentale, par les parents biologiques d’un enfant à naître, au bénéfice de tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance, n’entre pas dans le champ des conventions prohibées par l’article 16-7 du Code civil : en effet, aucune atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes ne peut être constatée dès lors que l’enfant n’a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation et que la mesure de délégation, qui n’est qu’un mode d’organisation de l’exercice de l’autorité parentale, ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l’enfant. Or en l’espèce, la cour d’appel a constaté que la délégation d’autorité parentale n’avait été envisagée par les parents de l’enfant qu’au cours de la grossesse. Elle en a exactement déduit que la mesure sollicitée ne consacrait pas, entre les délégants et les délégataires, une relation fondée sur une convention de gestation pour autrui.

Nul n’ignore que les conventions de maternité pour autrui sont prohibées par l'article 16-7 du code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. » Ce texte qui fonde l’interdiction d’ordre public de la maternité pour autrui concerne tant la procréation pour autrui (situation dans laquelle la mère porteuse est aussi la mère biologique de l’enfant, issu de ses propres gamètes et de celles du père d’intention) que la gestation pour le compte d’autrui (faisant intervenir une mère d’intention, à l’origine du projet, une mère biologique, qui donne ses gamètes, et une mère porteuse, qui permet la grossesse). Ainsi, le domaine temporel de la prohibition couvre l’ensemble de la période qui s’étend de la fécondation à la naissance de l’enfant. Elle se justifie, en droit civil, par la contrariété de cette pratique avec les principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état de personnes (Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105). Ceci étant posé, les textes comme la jurisprudence restent lacunaires sur les critères constitutifs de la maternité pour autrui en général, et de la convention de GPA en particulier.

À cet égard, le droit pénal nous renseigne davantage. Rappelons qu’à l’interdiction prévue par le droit civil s’ajoutent des textes répressifs, qui sanctionnent notamment le délit de provocation à l’abandon d’enfant (C. pén., art. 227-12, al. 1) et celui constitué par « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de leur remettre » (C. pén., art. 227-12, al. 3). L’élément intentionnel, qu’il s’applique à l’abandon d’enfant ou à sa gestation, ressort ainsi clairement de ces dispositions, permettant d’expliquer l’analyse des juges dans l’affaire rapportée, qui semblent faire sien ce critère de l’intention prévu en droit pénal pour le transposer à la matière civile. En effet, au cas d’espèce, la cour d’appel a écarté la possibilité d’une GPA en relevant que la relation a été nouée « après la conception de l’enfant et en l’absence d’incitation à son abandon ou de contreparties matérielles ou financières ». Ainsi, à défaut d'accord entre les parents de l'enfant et la famille candidate à la délégation en vue de la conception de l'enfant, cet accord n’ayant été conclu qu’au cours de la grossesse, une convention de gestation pour autrui, laquelle aurait supposé que l’enfant ait été conçu dans le cadre d’une commande antérieure à sa conception, devait être écartée. Cette seule circonstance fondée sur l’absence d’élément intentionnel serait même suffisante, relèvent les juges du fond, pour exclure l’existence d’une relation fondée sur une convention de GPA. Ce qui signifie dans le même temps que ce serait moins le mode de conception de l’enfant (conçu, en l’espèce, naturellement par ses parents biologiques) que l’intention présidant à cette conception (remettre l’enfant à des parents d’intention) qui caractériserait la maternité pour autrui : « l’enfant n’a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation », souligne la Cour pour approuver l’exclusion, par les juges du fond, d’une convention de GPA dont aurait été issu le processus observé.

Pourtant, rappelons que la rédaction de l’article 16-7 du Code civil ne porte pas seulement sur la conception et la procréation de l’enfant, mais aussi sur la gestation pour autrui. Or la convention litigieuse revenait bien à faire porter l’enfant par une femme devenue « mère porteuse » pour le compte d’autrui. En conséquence, la question de la validité d’un accord conclu avec des tiers, pendant la grossesse de la mère, dans le but de recueillir l’enfant à naître et in fine, de l’adopter, méritait certainement d’être posée. Cependant, les juges ne remettent pas en cause la validité d’un tel accord, à l’appui du critère précité tiré de l’intentionnalité, lequel en implique un autre, en l’espèce décisif, celui fondé sur l’antériorité de la conclusion d’une convention de GPA à la conception de l’enfant. De même qu’en droit pénal, le délit de provocation à l’abandon d’un enfant à naître ne peut être constitué que si les tractations répréhensibles ont eu lieu après la conception de l’enfant (J. Garrigue, Droit de la famille, coll. « Hypercours », Dalloz, 2020, n° 1174), en droit civil, une convention de GPA ne pourrait être caractérisée que si sa conclusion précède la conception de l’enfant. Rapporté à l’espèce, ce critère est retenu par les juges pour considérer que le processus, quoiqu’empruntant à la gestation pour autrui, ne peut néanmoins y être assimilé dès lors qu’il n’a été enclenché qu’après la conception de l’enfant, au cours de la grossesse de sa mère biologique (v. égal., dans le même sens, les autres arrêts du même jour : Civ. 1re, 21 sept. 2022, nos 21-50.048, 21-50.049, 21-50.050, 21-50.051 et 21-50.052. – V. égal., 21-50.040).

On peut toutefois contester en pratique cette analyse, que questionne d’ailleurs l’avocat général dans son avis (pt. 46) « Quelle différence peut-on faire entre cette démarche (…) de mise en contact d’une mère portant un enfant à naître avec des candidats métropolitains à l’adoption et celle qui consiste à entrer en contact avec des cliniques de mères porteuses dans le cadre des GPA ? ». La différence est de fait peu sensible, et la tolérance des juges à l’égard de ce qui constituait sans doute une fraude à la prohibition de l’article 16-7, juridiquement contestable, a fortiori lorsque l’on met cette décision en perspective avec les autres arrêts rendus le même jour, qui en renforcent la portée.

Références :

■ Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 P : Proc. gén. C. cass., D. 1991. 417, rapp. Y. Chartier ; ibid. 318, obs. J.-L. Aubert, note D. Thouvenin ; ibid. 1992. 59, obs. F. Dekeuwer-Défossez ; RFDA 1991. 395, étude M. Long ; Rev. crit. DIP 1991. 711, note C. Labrusse-Riou ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller ; ibid. 1992. 88, obs. J. Mestre ; ibid. 489, étude M. Gobert.

■ Civ. 1re, 21 sept. 2022, nos 21-50.04821-50.04921-50.05021-50.051 et 21-50.052

■ Civ. 1re, 21 sept. 2022, 21-50.040 : AJ fam. 2022. 457, obs. A. Dionisi-Peyrusse.

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr