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[ 28 mai 2021 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

GPA et absence de lien biologique avec l’enfant

Ne constitue pas une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8) le refus de reconnaître parents un couple de femmes islandais sans lien biologique avec l’enfant.

CEDH 18 mai 2021,Valdís Fjölnisdóttir et autres c/ Islande, n° 71552/17

Deux femmes islandaises avaient eu recours à une gestation pour autrui (GPA) en Californie en 2013. À leur retour en Islande, elles demandèrent l’inscription de l’enfant à l’état civil et qu’il soit reconnu comme leur fils. La GPA est interdite en Islande.

Toutefois, elles obtinrent un refus à ces demandes. En effet, selon l’état civil islandais l’enfant né aux États-Unis d’une mère porteuse américaine ne pouvait obtenir automatiquement le droit à la nationalité islandaise. Mais cet enfant étant considéré comme un mineur non accompagné en Islande, les autorités décidèrent le placer en accueil familial auprès des deux femmes.

Celles-ci saisirent les tribunaux afin d’être reconnues comme parents.

Pendant la procédure, ce petit garçon obtint la nationalité islandaise grâce à une loi de 2015 relative à l’octroi de la nationalité, les épouses présentèrent également une demande d’adoption qu’elles retirèrent à la suite de leur divorce en 2015.

La procédure continua et en 2016, le tribunal de district rejeta les demandes des requérantes tendant à l’annulation de la décision leur refusant d’être considérées comme parents de l’enfant. Selon ce tribunal, en Islande, la mère biologique doit être la mère, et les autorités n’ont pas l’obligation de reconnaître les requérantes comme parents conformément au certificat de naissance étranger. En 2017, la Cour suprême confirma le jugement et elles saisirent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Après leur divorce, l’enfant fut placé en accueil familial auprès de chacune des deux femmes en alternance, pour une durée d’un an à chaque fois, tout en bénéficiant d’un droit d’accès égal à l’autre. Puis, en 2019, l’enfant fut accueilli de manière permanente chez l’une des deux femme avec sa nouvelle épouse, l’autre femme et également sa nouvelle épouse se voyant accorder un droit d’accès égal. 

L’existence d’une vie familiale

Selon la CEDH, les deux femmes se sont toujours occupées de l’enfant depuis sa naissance et se considèrent comme les parents de cet enfant, le gouvernement islandais ne conteste pas la qualité de leurs liens. Selon la Cour, il existe bien une « vie familiale » entre ces trois personnes.

La mère est celle qui accouche

La Cour estime que l’interprétation selon laquelle aucune des deux femmes islandaises n’ayant donné naissance à cet enfant, elles ne peuvent être considérées comme mères, n’est ni arbitraire ni déraisonnable. Ainsi, le refus par le gouvernement islandais de reconnaitre ces deux femmes comme les parents de l’enfant a une base légale suffisante.

La protection de la vie familiale 

La Cour considère que l’État islandais a pris des mesures pour protéger la vie familiale dans cette affaire : en plaçant l’enfant en accueil familial auprès des deux femmes, en préservant la possibilité pour elles d’une adoption conjointe pendant le temps de leur mariage et en octroyant à l’enfant la nationalité islandaise. 

La marge d’appréciation

Ainsi selon la Cour : « l’État a agi dans les limites de sa marge d’appréciation en la matière, dans le but de préserver son interdiction de la gestation pour autrui. Il n’y a donc pas eu de violation du droit des requérants au respect de la vie familiale. »

La notion de marge d’appréciation vise à concilier une norme commune défendue par la Convention avec la sauvegarde du pluralisme juridique. 

Le droit au respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8) bénéficie d’une large marge d’appréciation par les États. 

La décision d'autoriser ou non la GPA mais également la reconnaissance du lien de filiation entre les enfants conçus par GPA à l'étranger et les parents d'intention sont ainsi soumis à une large marge d’appréciation.

Ainsi, en 2017, la Grande Chambre de la CEDH avait décidé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention par l’Italie concernant la prise en charge par les services sociaux italiens d’un enfant de neuf mois né en Russie à la suite d’un contrat de GPA entre une femme russe et un couple italien composé d’un homme et d’une femme, dont il fut établi par la suite qu’il n’existait aucun lien biologique avec l’enfant (24 janv. 2017, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n° 25358/12). Compte tenu de l’absence de tout lien biologique entre l’enfant et les requérants, de la courte durée de la relation avec l’enfant et la précarité juridique des liens entre eux, et malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs, la Grande Chambre avait en l’espèce conclu à l’absence de vie familiale entre les requérants et l’enfant. Elle a également considéré que les mesures litigieuses avaient pour but légitime la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui et décidé que la volonté des autorités italiennes de réaffirmer la compétence exclusive de l’État pour reconnaître un lien de filiation – uniquement en cas de lien biologique ou d’adoption régulière – dans le but de protéger les enfants était légitime. Ainsi, les juridictions italiennes, ayant notamment conclu que l’enfant ne subirait pas un préjudice grave ou irréparable en conséquence de la séparation, avaient ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu, tout en demeurant dans les limites de la marge d’appréciation dont elles disposaient. 

Références

 CEDH, gr, ch., 24 janv. 2017, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n° 25358/12 DAE 3 févr. 2017, note Christelle de Gaudemont D. 2017. 897, obs. P. Le Maigat, note L. de Saint-Pern ; ibid. 663, chron. F. Chénedé ; ibid. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017. 301, obs. C. Clavin ; ibid. 93, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2017. 426, note T. Kouteeva-Vathelot ; RTD civ. 2017. 335, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 367, obs. J. Hauser

■ Sur la GPA : 

-        GPA et transcription de l’acte de naissance de l’enfantDAE, À vos copies !, 5 janv. 2021 

-        GPA : l’adoption plénière par le conjoint du père de l’enfant pour la première mais par deux fois prononcée !DAE 27 nov. 2020, note Merryl Hervieu ; 

-        GPA : conventionnalité de la jurisprudence française à l’égard de la mère d’intentionDAE 14 oct. 2020, note Emmanuelle Arnould ; 

-        GPA : la France n’a pas l’obligation d’inscrire la mère d’intention sur les registres de l’état civil : DAE 18 déc. 2019, note Christelle de Gaudemont 

-        La filiation des enfants nés d’une GPA ; DAE 11 oct. 2019, note Merryl Hervieu 

-        GPA : une procréation contestée, une filiation incontestableDAE 9 oct. 2019, note Merryl Hervieu ; 

-        Homoparentalité : c’est l’intention qui compte ?DAE 19 avr. 2019, note Merryl Hervieu 

-        GPA : la Cour de cassation s’interroge !DAE 15 oct. 2018, note Merryl Hervieu 

-        GPA et demande de naturalisationDAE 26 janv. 2018, note Christelle de Gaudemont ;

-        GPA: les apports des arrêts du 5 juillet 2017DAE 15 sept. 2017, note Christelle de Gaudemont;

-        AMP et GPA : vers une évolution législative ?DAE, Focus sur, 21 sept. 2017;

-        Point sur la GPA, DAE 22 sept. 2015, note Merryl Hervieu ;

-        GPA : la primeur de l’intérêt de l’enfant réaffirméDAE 9 févr. 2015 ;

-        Rejet des demandes d’annulation de la circulaire TaubiraDAE 16 déc. 2014, note Christelle de Gaudemont.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont

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